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Les syndicats et l’agenda social-sarkozyste

Publie le mercredi 26 décembre 2007 par Open-Publishing

de Michel Noblecourt

Tout juste libéré de l’encombrante présence du colonel Kadhafi et de sa tente bédouine, l’Hôtel de Marigny a été le théâtre, mercredi 19 décembre, d’un événement inédit. Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, le chef de l’Etat a présidé une conférence sociale avec les cinq confédérations syndicales représentatives (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) et les trois organisations patronales (Medef, CGPME et UPA). Dépourvue de la représentativité qu’elle réclame, l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) n’a pas été conviée, mais son secrétaire général, Alain Olive, a été reçu par Nicolas Sarkozy. A l’ordre du jour de ce Marigny du social figurait un seul sujet : l’agenda social de 2008.

Après avoir affronté sa première bourrasque sociale - sur les régimes spéciaux de retraite -, en réussissant, moyennant de coûteuses contreparties, sa réforme, M. Sarkozy a mis en scène la saison 2 du social-sarkozysme, un ambitieux remodelage des relations sociales qu’il avait défini le 18 septembre. M. Sarkozy doit convaincre qu’il est capable de réussir ses réformes par la carte du dialogue. "Ma volonté de changement est sans faille parce que notre pays a besoin de changement, il l’attend avec impatience", a affirmé le président de la République le 19 décembre, en observant que "le tempo du changement n’est pas toujours compatible avec celui du dialogue social".

Avec la foi du néophyte, converti de fraîche date aux vertus de la négociation, M. Sarkozy assure qu’"on ne trouve de bonnes solutions aux attentes des salariés et des entreprises que dans un cadre concerté avec ceux qui les représentent". Et il a proposé aux partenaires sociaux de ne "mettre dans le champ de la négociation que les sujets sur lesquels (ils pensent) avoir des chances sérieuses d’aboutir dans des délais raisonnables". Les syndicats veulent démontrer leur aptitude à négocier des compromis. Sur les trois grands dossiers de 2008 (emploi et 35 heures, représentativité et financement des syndicats, retraites), l’objectif est de boucler les négociations avant l’été tant la proximité des élections prud’homales, en décembre, risque d’attiser, dès l’automne, les surenchères entre les syndicats. La saison 2 du social-sarkozysme ne sera donc pas un long fleuve tranquille.

Le premier chantier, l’emploi, est crucial. Cadrée par un "document d’orientation" de François Fillon, la négociation sur la modernisation du marché du travail peine à trouver son équilibre entre la demande patronale de plus grande flexibilité et la volonté syndicale de conquérir de nouvelles sécurités. Pourtant, tous les partenaires sont en quête d’accord. La présidente du Medef, Laurence Parisot, aimerait réussir là où un de ses prédécesseurs, Yvon Gattaz, a échoué, en 1984, quand la négociation sur la flexibilité a capoté. Mais le patronat offre un front très désuni, qui s’est traduit, aux yeux des syndicats, le 21 décembre, par une marche arrière de ses propositions.

Trois rounds de négociations - les 7, 9 et 10 janvier 2008 - sont programmés, mais le Medef semble plus soucieux d’allonger les périodes d’essai pour les salariés, d’inventer un "contrat de projet", dont la durée serait limitée à la réalisation de son objectif, et une rupture "amiable" du contrat à durée indéterminée, que d’aller dans la voie de la sécurisation des parcours professionnels, pourtant encouragée par M. Sarkozy. Bernard Thibault, artisan du compromis de sortie de crise sur les régimes spéciaux, aimerait signer un accord qui lui permettrait de montrer une capacité nouvelle à rechercher des compromis dans des négociations nationales. La confédération CGT se mettrait ainsi au diapason de ses syndicats d’entreprise qui sont les premiers signataires d’accords.

François Chérèque veut d’autant plus un accord qu’à défaut, dit-il, le gouvernement concoctera un projet de loi "sur des positions radicales de libéralisation du marché du travail". Sur la même ligne que son homologue de la CFDT, M. Thibault met en garde le législateur contre "la tentation de venir comme roue de secours au patronat s’il n’obtenait pas gain de cause dans les négociations". Le coût politique d’un échec serait d’autant plus préjudiciable à la méthode Sarkozy qu’il aurait peu de chances d’être compensé par une moisson d’accords remettant en question les 35 heures. Les syndicats ne sont pas prêts à s’y engager, même s’ils auront du mal à barrer la route aux salariés qui, pour améliorer un pouvoir d’achat en souffrance, souhaiteront "travailler plus pour gagner plus".

Le deuxième chantier - la représentativité et le financement des syndicats - est très mal engagé au point que nul n’imagine que la négociation, qui doit démarrer le 24 janvier pour s’achever en mars, ait la moindre chance d’aboutir. Selon la dernière enquête du ministère du travail, en avril 2007, la présence syndicale s’est accrue dans les établissements de 20 salariés et plus, passant de 33 % en 1998-1999 à 38 % en 2004-2005. Ce clignotant positif est compensé par le mauvais indice des élections de 2005 aux comités d’entreprise, où les non-syndiqués (23,5 %) sont repassés devant la CGT (22,5 %). Le mal français de la faible syndicalisation se traduit par un tel déficit de légitimité que chacun convient qu’il faut changer la donne mais sans se retrouver sur les solutions.

Le Medef redoute, au lendemain de l’affaire Gautier-Sauvagnac qui l’oblige déjà à un aggiornamento sur son financement, d’avoir à discuter de sa propre représentativité. La CGT et la CFDT proposent une réforme pour rendre la représentativité "incontestable" sur la base "d’élections professionnelles généralisées à tous les salariés". Au Conseil économique et social, en novembre 2006, l’idée d’une représentativité fondée sur des élections a été combattue par FO et la CFTC. FO refuse désormais tout "critère électoral". Quant à la CFTC qui, présente dans 7 % des établissements, craint de disparaître si le seuil de représentativité est placé trop haut, elle se résignerait à une mesure par les prud’homales de 2008 où une expérience de vote sur Internet est déjà prévue à Paris.

Le troisième chantier, celui des retraites, sera lancé, début 2008, par une nouvelle conférence. La loi du 21 août 2003 prévoit déjà que la durée de cotisation pour une retraite à taux plein devrait atteindre 41 ans en 2012. Mais les syndicats sont d’autant plus réticents à cette nouvelle étape qu’ils craignent qu’un recul de l’âge de la retraite se traduise par un afflux de chômeurs, l’accord interprofessionnel du 9 mars 2006 sur l’emploi des seniors, qui a pour objectif de porter le taux d’activité des plus de 55 ans de 37,3 % actuellement à 50 % en 2010, étant resté lettre morte. Comme quoi la saison 2 du social-sarkozysme ne s’annonce pas sous les meilleurs augures.

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