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Lettre ouverte de Shova GAJUREL

Publie le samedi 3 octobre 2009 par Open-Publishing
6 commentaires

Lettre ouverte de Shova GAJUREL à :

Mr Jean Michel BERARD Préfet du Nord-Pas-de-Calais

Mr Bernard KOUCHNER Ministre des Affaires Etrangères et Européennes

Mr Eric BESSON Ministre de l’Immigration de l’Intégration et de l’Identité Nationale

Je m’appelle Shova GAJUREL, je suis Népalaise et membre du Parti communiste du Népal – maoïste [PCN-m].

Je suis arrivée le 1er septembre 2006 en France pour avoir le statut de réfugiée et j’ai effectué ma première demande d’asile. Mais deux ans après, elle a été rejetée et on m’a remis une lettre qui me disait de rentrer au Népal. J’étais donc sans-papiers. La situation dans mon pays ne me permet pas d’y rentrer. C’est pourquoi je n’y suis pas allée et suis restée en France.

Mon frère, qui a fait sa demande d’asile avec moi en France (et qui a également été rejetée), lui, a décidé de rentrer au Népal, ce qui m’a inquiétée. En raison des dangers qu’il courait, il n’y est pas resté longtemps et il réside maintenant en Inde. Depuis, je n’ai pas eu plus de nouvelles.

Quand le CADA (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) n’a plus pu m’héberger, je n’ai plus eu de logement. Je logeais donc chez des amis népalais, changeant régulièrement d’endroit. Je les aidais au quotidien en leur rendant des services (cuisine, garde des enfants,…) et en échange ils m’aidaient financièrement, me nourrissaient et me logeaient.

Le 28 juin 2009, je suis allée en Belgique. Il y avait un grand programme culturel népalais. Après être arrivée là-bas, j’ai aidé mes amis népalais et ils m’ont aidée en retour pour manger et dormir. Ils m’ont donné de l’argent en prévision de mon retour en France.

En juillet, sur la route de retour à Paris, la police m’a arrêtée à la frontière franco-belge. Je suis restée une nuit et un jour en détention, trimbalée de cellule en cellule, avant que la police ne m’emmène au centre de rétention de Lille-Lesquin.

A Lille, je suis allée deux fois au tribunal. Après une réponse négative à ma demande d’asile, le 3 août, la police française m’a remis à la police belge à la frontière. Cela m’a étonnée, ainsi que tous les amis qui me soutiennent, car tout le monde sait, y compris les autorités françaises, que le pays par lequel je suis directement arrivée en Europe est bien la France.

La police belge m’a dit : « Quand les documents de France nous seront transmis, nous te renverrons en France. Si tu n’as pas fait de demande d’asile en France, nous te renverrons directement au Népal. » Ils m’ont arrêtée le 3 août et ne m’ont libérée que le 31 août après m’avoir dit : « Retourne en France ». Les autorités m’ont donné un papier me demandant de quitter le territoire belge sous 6 jours.

Des amis népalais sont venus me chercher au centre de rétention de Bruges. Je suis restée chez eux jusqu’à ce que je revienne en France. Je suis revenue car c’est ici que j’ai fait ma première demande d’asile et que c’est le pays dans lequel je suis arrivée directement du Népal. C’est donc le pays dans lequel je dois avoir mes papiers.

Je vais maintenant expliquer pourquoi je ne peux pas rentrer au Népal.

1) Durant la période de Guerre Populaire menée par le PCN-maoïste dont je fais partie, la police a établi de fausses accusations de meurtre à l’encontre des militants. Ils peuvent ainsi arrêter qui ils veulent. Pour les dirigeants de mon parti, la plupart de ces accusations ont été levées mais pas pour les militants de base. Aujourd’hui encore, la police profite de ces fausses accusations pour arrêter des maoïstes ou des sympathisants. Je suis moi-même accusée de crimes que je n’ai pas commis. Si il se passe quelque chose près de là où j’habite, ils peuvent m’arrêter.

2) Il y a plusieurs groupes armés au Népal qui s’en prennent aux maoïstes et les assassinent. Je suis la fille d’un des dirigeants du PCN-maoïste, CP Gajurel « Gaurav », qui a été emprisonné en Inde en 2004. Aujourd’hui encore, lui-même est menacé, ainsi que sa famille, surtout si nous prenons part aux activités du PCN-maoïste. Puisque mon père est un dirigeant du Parti, il bénéficie de la protection de gardes du corps mis à disposition par le Parti. Comme je ne suis qu’une militante de base, le Parti ne peut pas mettre à ma disposition des gardes du corps. Je suis donc exposée à la violence de nombreux groupes et individus armés qui s’en prennent aux maoïstes. D’ailleurs, des membres du PCN-maoïste sont régulièrement assassinés, même depuis l’entrée de notre parti dans le processus de paix.

3) Après que je sois arrivée en France, et même après que notre parti soit entré dans le processus de paix, mon mari a été arrêté et torturé en 2006. Cela prouve que même ma famille proche est directement menacée. Je me pose la question de savoir ce qui me serait arrivé si j’étais restée avec lui au Népal.

4) En raison des menaces pesant sur moi, j’ai dû placer mes enfants en pension dans une école dont le directeur est membre du Parti. Il n’y a que lui qui sait de qui sont ces enfants. Personne d’autre ne le sait. C’est ce qui assure leur sécurité.

5) Au Népal, il y a un processus de paix et le PCN-maoïste est arrivé en tête des élections de l’Assemblée Constituante d’avril 2008 avec 40% des votes. Mais après environ huit mois à la tête du gouvernement, le PCN-maoïste a été obligé de démissionner car l’Armée Népalaise mettait en péril la suprématie civile en ne respectant pas les directives gouvernementales. De plus, il reste huit mois pour écrire la constitution mais le Congrès Népalais et le PCN-UML disent qu’il sera impossible de l’écrire à temps. Elle est pourtant nécessaire pour que de nouvelles élections aient lieu. Le Congrès Népalais et le PCN-UML posent également beaucoup d’obstacles à la fusion des deux armées (Armée Népalaise et Armée Populaire de Libération). Pourtant, écrire une nouvelle constitution, tenir de nouvelles élections et fusionner les deux armées est essentielles pour que le processus de paix puisse être mené à sa conclusion logique. Tant qu’il ne le sera pas, notre sécurité ne pourra être garantie. Il faut également ajouter que le gouvernement actuel est très instable. Le premier ministre à l’heure actuelle n’a pas été élu dans ses circonscriptions – il a perdu dans les deux. Le premier ministre actuel, Madhav Kumar Nepal, n’a pu devenir premier ministre que grâce au soutien de l’Inde et des Etats-Unis. Pourtant le Népal est devenu une République : il n’est pas légitime qu’une personne non élue à l’Assemblée Constituante devienne premier ministre. Cela nous amène à nous poser la question : peut être qu’un haut officier de l’armée, soutenu par l’Inde et/ou les Etats-Unis, peut devenir premier ministre par le biais d’un coup d’Etat ?

6) L’Armée Népalaise se renforce, politiquement et militairement. Politiquement car en refusant d’obéir aux directives du gouvernement lorsqu’il était dirigé par le PCN-maoïste, l’Armée Népalaise a pris une certaine autonomie politique. Militairement car l’Armée Népalaise relance les recrutements pour augmenter ses effectifs et que le gouvernement népalais et le gouvernement indien ont entamé des discussions pour importer des armes. Tout cela est particulièrement inquiétant pour la continuation du processus de paix.

Tout cela montre que la situation est encore très instable au Népal, que la guerre pourrait reprendre et que ma vie est toujours en danger là-bas.

Si je suis revenu ici, dans le Nord de la France, à Lille, c’est parce que dans cette ville, les autorités, le Préfet connaissent mon dossier, que cela doit leur permettre de donner une réponse rapide et favorable à ma demande de régularisation.

Oui je l’affirme : au regard de mon engagement politique au Népal, au regard de la situation politique actuelle au Népal, mon expulsion vers ce Pays représente un risque réel pour mon intégrité physique et morale, ma vie. Oui je le répète je suis en danger de mort.

Si aujourd’hui je suis revenue à Lille, c’est parce que des gens, des militants, des organisations, ont compris mes difficultés et se sont portés solidaires. Je remercie encore tous ceux et celles qui se sont manifestés en solidarité, ici, dans la région où je suis maintenant, les amis belges qui m’ont aidée et tous ceux et celles qui en France et ailleurs, partout dans le monde, me soutiennent et sont solidaires.

Je demande à toutes et tous de continuer à le faire. Shova GAJUREL le 30 septembre 2009


Messages

  • La camarade Gajurel peut compter sur mon soutien et mon aide sur le territoire français.
    Elle peut me contacter via le comité franco-népalais ou m’écrire directement par e-mail.

  • Cette remarque anonyme émane d’un expatrié français qui vit confortablement à Katmandou.

    Elle constitue pour les gens qui ont donné leur vie au "Jana Andolan" d’avril 2006 une insulte...

    Où était-il ce français quand la police et l’armée royales massacraient, torturaient, violaient les révolutionnaires népalais et leurs sympathisants ?

    A-t-il sauvé, grâce à son statut d’étranger et son ambassade, à Katmandou, ne serait-ce qu’un révolutionnaire, poursuivi par la police de Gyanendra ?

    Ecrivait-il, le 1er février 2005, "qu’un air de liberté flottait sur Katmandou" ?

    Voilà qu’il nous décrit, maintenant, une république populaire aux mains des ex-insurgés...

    Les maoistes représentent certes une force puissante mais ils sont loin de gouverner le Népal, en particulier la capitale.

    Comme le dit Shova, l’armée forte de 90 000 hommes recrute et n’accepte aucun ordre du pouvoir civil ; les généraux gurkhas, formés à l’anglaise, sont inféodées à l’étranger l’Inde et les Etats-Unis.

    L’armée népalaise constitue le troisième fournisseur de soldats à l’ONU.

    Il est fort possible que le processus de paix ne soit qu’une accalmie de la guerre civile où l’on compte et fiche les militants.

    Les ambassades indienne, américaine et anglaise seraient très intéressées par une expérience militaire à la pakistanaise, au Népal.

    Les occidentaux et les indiens demeurent dans une politique d’endiguement de la république populaire de Chine, toute proche.

    Sans protection policière et militaire, la vie de Shova, de son mari et de ses enfants sont en danger au Népal comme en Inde.

    • Cette remarque anonyme émane d’un expatrié français qui vit confortablement à Katmandou.

      Bingo himalove !!! effectivement après avoir vérifié l’IP les commentaires proviens biens de Katmandou...

      un de ces commentaires se termine avec cet phrase :

      "Le lecteur comprendra sans doute pourquoi je prefere rester anonyme."

      On a du faire un "erreur" dans la colonne a droite on a "oublie" d’écrire que même "les fascistes" ne sont pas le bien venue sur notre site et l’écrire en anglaise pour être sur que le comprend... résultat des courses... les commentaires en question sont parti du sont arrivé... dans les caniveaux...

      Bellaciao

    • Il existe à Katmandou une ambassade américaine, très "militante" ; elle s’est considérablement agrandie, dans le centre ville, tout à côté de l’ex-palais royal ; elle aide discrètement les réfugiés tibétains, entre autres. On parle d’une éventuelle renaissance de la résistance armée au Mustang...

      La CIA en relation étroite avec le RAW (research and analyses wing, services secrets indiens) et le M16 observent de très près l’évolution politique de la république du Népal. Pour l’heure, le Premier ministre, Madavav kumar Nepal, un communiste qui n’a pas été élu à l’assemblée constituante, gouverne...

      En fait, il fait illusion. Le Premier ministre élu Prachanda a quitté le gouvernement car il a ordonné la démission du général en chef de l’armée, nommé par le tyran Gyanendra. En vain.

      Les puissances étrangères dont l’Inde qui a organisé un vaste plan Marshall, après la chute de la monarchie, veulent à tout prix garder l’armée népalaise sous leur dépendance...

      Le leitmotiv des maobaadi est "la suprématie du pouvoir civil" et le renouvellement des traités avec le voisin indien qui dispose du contrôle des ressources hydro-électriques du pays.

  • Pourquoi des européens comme toi restent-ils au Népal si le pays est dans un tel "chaos anarchique" ?

    A bien y regarder, la dernière fois où j’étais à Katmandou, en février 2008, ce chaos était savamment organisé par les forces réactionnaires qui craignaient l’arrivée au pouvoir, par la voie électorale, des maobaatis.

    J’avais écrit, à l’époque, un texte intitulé "NEPAL : UN CHAOS BIEN ORGANISE".

    Un article où j’annonçais la victoire électorale des maoïstes et décrivais les moyens mis en oeuvre, par les services secrets étrangers, la compagnie pétrolière indienne ONGC, les groupes armés Madhesis, dans le Téraï, liées au Mahant de Gorakpur et aux fondamentalistes du Vishna Hindu Parishad, pour contrecarrer la révolution communiste.

    Je concluais que les forces féodales, liées à l’Etranger, préféraient un Népal, livré au gangstérisme, "à feux et à sang", plutôt qu’une république populaire démocratique.

    Les enjeux sur un plan international sont d’importance. Le royaume du Népal, qui a acquis son "indépendance" en 1923 de la Grande-Bretagne, pour avoir livré lors de la Première guerre mondiale, 250 000 hommes à l’armée des Indes, est passé en 1947 sous la protection de l’Union indienne.

    Aujourd’hui, le Népal livre encore des régiments de mercenaires Gurkhas à l’Inde et à la Grande-Bretagne. Ces derniers se sont battus et se battent en Irak et Afghanistan.

    Le gouvernement indien use de leurs services pour les poster sur la ligne de contrôle face au Pakistan et sur les 4 000 kilomètres avec la Chine.

    Le Parti communiste maoïste népalais prévoit, dans son programme, de réduire l’armée professionnelle du Népal à 20 000 hommes et à rapatrier les régiments népalais qui se battent à la solde de l’étranger.

    De plus, il souhaite mettre fin au trafic d’êtres vivants auquel se livrent de nombreuses agences ManPower, avec la complicité des ambassades.

    Alors que l’infrastructure routière du pays est dans un état de délabrement avancé, les travailleurs népalais continuent, pour des salaires de misère, à entretenir les routes himalayennes sur le sol indien, par exemple.

    Ce ne sont pas les maobaadi qui ont mis, dans cet état, le Népal, mais 240 ans de féodalisme (pensez l’esclavage n’a été aboli officiellement qu’en 1960 !), le système des castes hérités de l’hindouisme et, surtout, les appétits impérialistes qui vident les campagnes, les villes et les villages, de leurs forces vives.

    Le recrutement de Gurkhas, par des officiers britanniques, sur le sol national continue toujours...

    S’ajoutent à cela les rivalités de la Chine et de l’Inde pour l’hégémonie, dans la région.

    Le Parti communiste maoïste népalais n’est, peut-être, pas un parangon de vertu mais il mérite puisqu’il a été élu démocratiquement qu’on le soutienne.