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Luciana Castellini "On a assisté à une berlusconisation des esprits"
Publie le lundi 10 avril 2006 par Open-PublishingForte personnalité de la gauche italienne, la fondatrice du journal communiste Il Manifesto constate la « régression culturelle » de son pays.
Entretien réalisé par Paul Falzon
L’Italie qui s’apprête à voter en 2006 est-elle différente de celle de 2001 ?
Luciana Castellini. Quelque chose de très grave s’est passé dans ce pays. Berlusconi est arrivé à en changer les valeurs et la culture, il a promu des mythes comme celui de l’entrepreneur triomphant et, ainsi, a rabaissé le niveau des débats. Le pays est revenu des années en arrière - on reparle par exemple de savoir s’il faut limiter le droit à l’avortement. Et du coup Berlusconi a aussi réussi à changer la gauche. Quand il se livre à des charges anticommunistes primaires (1), on voit les communistes se sentir obligés de répondre. On a assisté à une vraie « berlusconisation » des esprits. Et ce qui m’agace le plus, c’est de penser que 47 ou 48 % des Italiens vont encore voter pour lui !
Berlusconi représente-t-il pour vous une menace pour la démocratie ?
Luciana Castellini. Partons du film que Nanni Moretti vient de consacrer à Silvio Berlusconi, le Caïman. Moretti a su, à mon avis, très bien interpréter le phénomène politique Berlusconi en montrant que cet homme n’est pas drôle, qu’il n’est pas un clown mais au contraire un homme dangereux. À la fin du film, Morretti montre son personnage adoptant une attitude fascisante ; c’est exactement ce qui est en train de se passer avec Berlusconi. Il a beaucoup changé ces temps derniers, ses réactions sont révélatrices. Par exemple, lorsqu’il est intervenu à la tribune de la Confindustria, le syndicat patronal, en méprisant les règles qui avaient été fixées à tous les intervenants, dont Prodi, et en s’emparant du micro pour en appeler directement aux PME et jouer sur leurs sentiments populistes.
Des patrons qui ont pris position pour Romano Prodi aux artistes qui ont critiqué les attaques contre la liberté d’expression comme Sabina Guzzanti (2), on sent pourtant que Berlusconi est fragilisé.
Luciana Castellini. Oui, après des années de régression culturelle, il y a enfin une réaction du monde intellectuel, économique ou encore des médias - le fait que le journal conservateur Il Corriere della Sera soutienne l’Unione est révélateur. Le mythe Berlusconi s’est dégradé. Et l’Italie n’a jamais cessé d’être ce pays complexe avec ses grands syndicats, ses mobilisations de rue, son bouillonnement associatif et culturel. Mais le mal est fait. Je pense que l’Unione va gagner ces élections mais que sa tâche ne sera pas facile. La gauche ne pourra pas se contenter de tourner la page et de dire « on repart de zéro », elle devra réfléchir aux moyens de reconstruire la société sur des bases démocratiques.
Pensez-vous que l’Unione de Romano Prodi est à la hauteur des défis que vous décrivez ?
Luciana Castellini. Cette gauche-là ne me plaît pas tellement. Elle me semble avoir très peu d’idées, et perd trop de temps et d’énergie à reculer et à se défendre. Ses dirigeants se sentent toujours obligés d’être modérés - par exemple en se disant croyants alors que l’Église mène ces dernières années une grave offensive sur les questions politiques et de société. Ce qui est positif tout de même, c’est d’avoir su recréer l’unité - quand on voit l’état de la gauche en France, on se rend compte que c’est un atout. L’Unione a su réunir des gens très différents, des communistes au centre droit, mener de nombreux débats entre toutes ces composantes et en sortir un programme, même si je le trouve tout de même très vague... Ce qui m’inquiète, c’est que les engagements programmatiques et le choix des candidats ont été décidés pour la plupart au plus haut niveau des partis. L’implication de la société civile et de la base militante a été faible.
(1) La dernière consiste à clamer haut et fort que les communistes chinois faisaient bouillir les petits enfants.
(2) Auteur du film documentaire Viva Zapatero.