Accueil > Lula, trop sage pour ne pas décevoir

Lula, trop sage pour ne pas décevoir

Publie le mardi 28 octobre 2003 par Open-Publishing

Depuis un an, le président brésilien s’est employé à rassurer les milieux économiques. Quitte à retarder certaines promesses électorales.

Par Chantal RAYES

São Paulo de notre correspondante

lors que Lula, élu il y a un an et entré en fonction le 1er janvier, conserve une popularité record, ses « camarades » la gauche de sa formation, le Parti des travailleurs (PT), le mouvement social et les intellectuels sont perplexes. Pour l’instant, le président brésilien ignore leurs appels à « l’audace » et ne démord pas de la politique économique dictée par le Fonds monétaire international (FMI), alliant orthodoxie monétaire et austérité fiscale. « Nous suivons cette politique, non pas parce qu’elle est bonne mais parce qu’il n’y en a pas d’autre, explique le ministre de l’Education, Cristovam Buarque (PT). Lula est un leader de gauche, il doit donc être plus prudent » avec les créanciers du Brésil qui, redoutant sa victoire, avaient provoqué une crise spéculative pendant la campagne électorale.

Exigences du FMI. Dès avant son élection, Lula avait dû s’engager à respecter les conditions du FMI, en échange d’un prêt de 30,4 milliards de dollars accordé dans l’urgence pour faire face à la tourmente. Une fois au pouvoir, il a, au nom d’un « choc de crédibilité », élevé de son propre chef, de 3,75 à 4,25 % du PIB, l’excédent budgétaire destiné à payer la dette et exigé par le FMI en échange de son prêt. Il a également augmenté les taux d’intérêt de base (réduits depuis juin) et fait voter une réforme ouvrant la voie à l’autonomie de la banque centrale. Les marchés ont apprécié. Le real s’est revalorisé, et le risque pays a chuté, signe d’une confiance retrouvée par les investisseurs.

Mais la cure d’austérité a laminé la croissance (0,5 % prévu cette année), accru le chômage et réduit les dépenses sociales. La réforme agraire en est presque au point mort. Le Président a rectifié le tir, en fédérant les programmes sociaux en un seul : Bolsa Familia, qui va accroître et étendre l’aide versée aux plus pauvres, et exiger en échange la scolarisation et la vaccination des enfants. Mais il va falloir amputer d’autres dépenses pour trouver les fonds nécessaires. Le budget 2004, le premier élaboré par le gouvernement Lula, reste soumis à la même rigueur fiscale.

Pour financer le social sans cesser de payer la dette, Lula s’est attaqué à l’une de ses principales assises, les fonctionnaires. Alors qu’il s’y était toujours opposé, il a fait voter la baisse de leurs généreuses retraites, source d’un grand déficit. L’aile gauche du PT, mais aussi les intellectuels qui ont toujours soutenu Lula, sont farouchement opposés à ces politiques « néolibérales ». Lula les compense par de timides mesures de gauche, comme la hausse du crédit à l’agriculture familiale, ou en suspendant l’application du décret punissant les occupations menées par son allié, le Mouvement des paysans sans-terre (MST), qui lutte pour la réforme agraire. Le mouvement poursuit les invasions de propriétés malgré l’élection de Lula.

Oui aux OGM. La décision controversée de Lula d’autoriser, jusqu’à la fin 2004, la culture du soja transgénique, alors que les OGM sont interdits au Brésil et que sa ministre de l’Environnement, Marina Silva (PT), est favorable au principe de précaution, a aussi été critiquée. 500 ONG lui ont envoyé une lettre, dénonçant sa politique peu respectueuse de l’environnement, et notamment « des projets d’infrastructures qui pourraient aggraver la déforestation de l’Amazonie ».

« De la gauche, Lula n’a gardé que deux choses : la fin des privatisations et la politique étrangère, qui sert à compenser le virage à droite sur l’économie », juge le politologue Octavio Amorim. Le Brésil de Lula, pour l’heure, a réussi à se poser en leader du monde émergent, créant le G 20, le groupe de pays du Sud qui a contesté les subventions agricoles du Nord lors du dernier sommet de l’OMC à Cancun. L’ex-ouvrier « qui sait à peine parler portugais » et dont une partie de l’élite brésilienne disait qu’il ferait honte au pays, fait sensation dans les forums internationaux. En dénonçant les injustices de la mondialisation néolibérale et en se faisant le chantre du pragmatisme au pouvoir...

http://www.liberation.com/page.php?Article=153154