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MAFIA ET CORRUPTION : LA MOSAÏQUE NOIRE DE BERLUSCONI, PREVITI, DELL’UTRI
Publie le mercredi 15 décembre 2004 par Open-Publishing
de Marco Travaglio
Et comme ça, en à peine seize heures, l’Italie apprend que Silvio Berlusconi
est un corrupteur, impuni et non punissable, de magistrats. Comme son bras droit
Cesare Previti, déjà condamné à seize ans en première instance. En revanche,
son bras gauche (dans tous les sens du terme), Marcello Dell’Utri ne se contentant
pas d’être un repris de justice pour fraude fiscale et fausses factures, est
aussi mafieux. Pendant au moins trente ans, de 1974 à aujourd’hui, il a protégé et
renforcé la mafia des massacres et des meurtres politiques en concourant de l’extérieur
au délit d’association mafieuse, d’abord en sa qualité de secrétaire de Berlusconi
puis de numéro trois du groupe Fininvest et enfin de fondateur, député, député européen
et sénateur de Forza Italia. C’est-à-dire du parti de majorité relative qui gouverne
l’Italie depuis trois ans et demi, après l’avoir gouvernée pendant sept mois
en 1994.
Avec les sentences des Tribunaux de Milan et de Palerme sur la Très Sainte Trinité Berlusconi-Previti-Dell’Utri, les mots "mafia" et "corruption" - qui sont , et ce n’est pas un hasard, imprononçables sur (toutes) les télévisions de régime - s’impriment en grosses lettres sur le drapeau de celui qui nous gouverne, comme nombre de gens - se basant sur les faits et anticipant les juges - avaient dit et écrit des années durant, taxés de poursuiveurs diaboliques de théorèmes, de dérangeurs de la tranquillité publique.
Mosaïque noire
Les deux sentences, avec celles qui furent prononcées l’année dernière dans les procès faits à Previti, Squillante, Metta et Pacifico pour la Mondadori et l’Imi-Sir, recomposent les tesselles de cette mosaïque noire qu’ est la carrière d’entrepreneur et ensuite d’homme politique de Silvio Berlusconi. Elles expliquent comment est née et a grandi la Fininvest, comment Berlusconi s’est emparé de toute l’information qui compte, comment - et surtout pourquoi - il a réalisé en 1993 un parti gagnant en quelques mois. Mais elles expliquent aussi le pouvoir extraordinaire de conditionnement que deux personnages comme Previti et Dell’Utri ont eu, ont et auront encore sur le Cavaliere, sur son parti, sur sa coalition et sur le Parlement tout entier.
Cela commence en 1974, quand Previti assiste la jeune orpheline Anna Maria Casati Stampa qui "décide" de vendre à bas prix la maison de famille à Berlusconi, dont le même Previti est ami et associé. Dans cette villa de Arcore, quelques mois plus tard, Dell’Utri faufile un jeune et prometteur mafieux, Vittorio Mangano, le fameux "garçon d’écurie" qui appelait "chevaux" les stock de drogue (comme le rappellera Paolo Borsellino dans sa fameuse interview à deux journalistes français, peu avant de mourir assassiné comme Falcone).
Arrive ensuite la P2, la seule aventure vécue par le Cavaliere solitaire, sans la traîne de Cesare et Marcello. Il y aura ensuite la conquête de la télé, avec de l’argent frais à la pelle procuré par Dell’Utri grâce à Publitalia et, peut-être, aussi grâce aux amis siciliens. Ensuite arrive Craxi, que le Cavaliere est contraint de servir parce que - comme il le confesse dans un appel de 1983 au co-directeur du Giornale - "c’est celui qui doit me faire la loi sur les télévisions". A la place de la loi, Craxi lui fait tout de suite deux décrets, pour neutraliser les arrêtés des juges de première instance qui ont bloqué les émissions illégales de ses télévisions sur le territoire national. En 1985, Silvio s’acquitte avec Bettino en entravant, sur ordre de ce dernier, son ennemi implacable Carlo De Benedetti dans l’achat de la Sme par l’Iri, aussi parce que le deuxième décret sauve télévisions doit encore être converti en loi.
A Rome aussi, il y a en 1984 une enquête sur Fininvest pour des antennes abusives. Mais là il n’y a pas de problème. C’est le juge Renato Squillante qui s’en occupe, qui interroge Berlusconi assisté de Previti et l’acquitte ensuite dans un temps record. C’est le même Squillante que la sentence Sme de l’année dernière à condamné à six ans et défini "de façon stable sur le registre des salaires de la Fininvest". Puis, la loi sur la TV arrive tranquillement. La tristement célèbre Mammi en 1990. C’est encore une fois Craxi qui l’impose avec force, avec la complicité de Forlani et d’Andreotti (qui remplace en une seule nuit les cinq ministres de la sinistre Dc, démissionnaires par protestation). Bettino aussi y trouvera largement son compte. Entre 1991 et 1992, il recevra de All Oberian (Finivest) 22 milliards sur ses comptes personnels en Suisse.
En 1990, tout arrive, même le passage de propriété de la première maison d’édition italienne, la Mondadori, qui publie Espresso, Panorama, Epoca, Repubblica et quinze journaux locaux. Cela a le tort de déranger Craxi, donc Berlusconi. Peur de rien. Le Cavaliere donne l’assaut avec la complicité de la volteface des héritiers de Mondadori. Debenedetti, l’actionnaire majoritaire, résiste. On va à l’arbitrage. Qui donne raison à l’Ingegnere. Mais il y a la Cour d’Appel de Rome, c’est l’ami Vittorio Metta qui s’en occupe. Il annule le jugement arbitral, écrit 270 pages de motivation en une nuit ( ou du moins c’est ce qu’il dit : en réalité ce sont les avocats de Berlusconi qui l’ont d’abord écrite) et finit en encaissant de Pacifico 400 millions en contant.
Des millions qui arrivent, via Previti, des habituels comptes extérieurs de Fininvest. C’est ce que dit la sentence du Tribunal de Milan qui a condamné Previti, le 29 avril 2003, à treize ans de réclusion, avec Pacifico et les juges Metta et Squillante (également pour avoir acheté une autre sentence, celle qui condamne l’Imi, c’est-à-dire l’Etat italien, à payer un dédommagement indu à la Sir de Nino Rovelli : mille milliards, contre une liasse de 67, ou peut-être de 100, aux juges et aux avocats, manifestes ou occultes). Seule l’intervention d’Andreotti, alarmé par le super pouvoir médiatique de Berlusconi (et donc de Craxi) le contraint à rendre une partie de ce qui a été pris malhonnêtement (Repubblica et Espresso) au propriétaire légitime Debenedetti.
L’enchevêtrement des pouvoirs
Cet enchevêtrement de pouvoirs, ce mélange d’arrogance et d’impunité est immortalisé, grâce au déclencheur automatique, dans l’album de Stefania Ariosto : politiciens, intrigants, avocats et magistrats, festoyant furieusement lors d’expéditions transocéaniques tous ensemble derrière Cesare e Bettino, tous de futurs clients des parquets et des tribunaux. Mais la meilleure photo polaroïd de ces rapports illicites se trouve dans les relevés bancaires qui arrivent de Suisse et révèlent, durant le seul printemps 1991, trois versements décisifs. Le 14 février 1991, Previti paie 425 millions au Juge Metta par l’intermédiaire de Pacifico. Le 6 mars 1991, il verse 500 millions à Squillante. Le 16 avril 1991, toujours via Pacifico, il détourne 500 millions dur le compte du juge Verde (relaxé ensuite). Toujours avec l’argent de Fininvest et du patrimoine personnel de Silvio Berlusconi.
En 1992-1993, les nœuds commencent, avec Mani Pulite, à être démêlés. Les vieux parrains se répartissent entre tribunaux et cavale. Même Cosa Nostra perd ses vieux points de repère politiques, tellement affaiblis qu’ils ne peuvent plus la garantir des procès. Il faut un parti nouveau, mais vieux aussi. Dell’Utri qui n’a jamais fait de politique de sa vie se lance dans l’entreprise, la tête la première. Il engage un consultant ad hoc, Ezio Cartotto, dés mai-juin 1992. Celui-ci commence à travailler en secret. En quelques mois, grâce aux structures et aux milliards de Publitalia, les jeux sont faits.
Le Cavaliere, abandonné par ses amis, endetté jusqu’au cou et terrorisé par les juges, confesse à Cartotto :"A ce rythme, ils vont m’accuser de tout, même d’être mafieux. De temps en temps, je me surprends à pleurer tout seul sous la douche". Et puis, à Montanelli et à Biagi :" Si je ne me mets pas à faire de la politique, ils me mettent en prison". Mais Marcello, l’ami sicilien y pourvoit. Les télévisions et les journaux font un miracle. Le nouveau miracle italien. Forza Italia.
Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao