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Rapport spécial de la Commission nationale de déontologie de la sécurité
NOR : CNDX0831477X
Le 10 avril 2006, M. Gérard Bapt, député de la Haute-Garonne, a communiqué à la commission un courrier
de M. P.D. faisant état de violences policières commises en sa présence sur la personne d’un homme menotté
et allongé à terre, le 15 mars 2006, à l’entrée du couloir d’embarquement de l’aéroport de Toulouse-Blagnac.
La loi no 2000-494 du 6 juin 2000 portant création de la commission fixe sa compétence, ses obligations et
ses pouvoirs. Après enquête sur les faits et conformément à l’article 7, alinéa 1, de cette loi, la commission a
adressé ses avis et recommandations au ministre de l’intérieur et au garde des sceaux, le 8 octobre 2007, en
leur demandant, en application du même article, de bien vouloir lui faire connaître la suite donnée à ceux-ci,
dans un délai de deux mois. L’intégralité de cet avis, qui porte le numéro 2006-29, et des réponses qu’il a
suscitées, est consultable sur le site web http://www.cnds.fr
Après avoir pris connaissance de la réponse du garde des sceaux, datée du 1er avril 2008 et de celles du
ministre de l’intérieur, en date des 7 janvier et 4 décembre 2008, les membres de la commission, réunis en
séance plénière le 15 décembre 2008, ont estimé que leurs propositions n’avaient pas été suivies d’effet. Ils ont
donc décidé qu’un rapport spécial sur cette affaire serait adressé au Journal officiel pour publication,
conformément à l’article 7, alinéa 3, de la loi no 2000-494 du 6 juin 2000.
Tel est l’objet du présent rapport qui, après un bref rappel de la teneur du témoignage de M. P.D. et des
constatations de la commission, reprendra ses recommandations, en soulignant celles qui n’ont pas, à son avis,
été effectivement prises en compte.
I. -
Le témoignage de M. P.D. et les constatations de la commission :
Le 15 mars 2006, alors qu’il se trouve dans le hall 2 de l’aéroport de Toulouse-Blagnac pour prendre un
avion à destination de Paris, précisément à 7 h 17, heure affichée à cet instant par l’horloge, l’attention de
M. P.D. est appelée par « des cris intenses exprimant une douleur profonde ». Contournant l’escalier pour
observer la scène, il constate la présence d’un « homme à terre, immobile, (...) en souffrance, (...) qui n’oppose
aucune résistance ». Dans le même laps de temps, il voit « un policier (...) donner des coups de pied espacés à
l’homme au sol », coups qui l’atteignent à l’abdomen. Selon lui, « l’individu ne se défend pas (...). Entravé les
mains dans le dos, il n’a pas la possibilité de se protéger ». La scène dure trois minutes, jusqu’à ce qu’un
attroupement se forme et que les policiers cessent de frapper. Indigné de voir des agents publics se comporter
de cette manière, il en informe le parlementaire susdésigné pour lui permettre de saisir la commission.
L’article 5 de la loi no 2000-494 du 6 juin 2000 l’astreignant à « recueillir sur les faits portés à sa
connaissance toute information utile », la commission, après avoir interrogé le témoin, convoque, le
5 décembre 2006, les deux fonctionnaires de police susceptibles d’être mis en cause pour connaître leur version
des faits et assurer ainsi le plein respect de la contradiction. Ceux-ci refusent d’être entendus, confortés dans
leur position par les propos du directeur départemental de la police aux frontières de la Haute-Garonne, qui les
assiste. Ils prétendent que les faits soumis à la commission ont été définitivement jugés, le 19 juillet 2006,
lorsque la cour d’appel de Toulouse a condamné le ressortissant turc F.A. pour refus de se soumettre à une
mesure d’éloignement et violences à agents de la force publique. Ils lui opposent donc les dispositions de
l’article 8 de la loi du 6 juin 2000, qui interdit à la commission de remettre en cause le bien-fondé d’une
décision juridictionnelle.
Deux jours plus tard, ces mêmes fonctionnaires portent plainte en dénonciation calomnieuse contre M. P.D.,
cette plainte étant directement transmise au procureur de la République compétent par leur supérieur
hiérarchique. M. P.D. maintient son témoignage, par « exigence morale », précise-t-il, et ce malgré les
pressions morales dont il fait l’objet, de la part des gendarmes enquêteurs, pour qu’il revienne sur ses
déclarations ou les édulcore. Il confirme notamment que, s’il n’a pas vu l’intégralité de la scène, le peu qu’il en
a vu l’a « choqué profondément ». A réception de l’enquête, le procureur de la République près le tribunal de
grande instance de Toulouse lui propose un classement sans suite de la plainte des policiers sous condition de
rédaction d’une lettre d’excuses et du versement d’une somme d’argent à chacun des fonctionnaires,
proposition qu’il accepte, après réflexion et concertation avec son avocat.
Analysant dans le détail les déclarations du témoin et celles des fonctionnaires de police consignées dans la
procédure de refus d’embarquement immédiatement après les faits, la commission constate que les violences
dénoncées par le témoin n’ont pas été soumises à la juridiction correctionnelle parce qu’elles n’ont ni la même
localisation géographique, ni le même cadre temporel, ni la même gestuelle que les violences sanctionnées par
la cour d’appel : elles sont en effet survenues plusieurs minutes après le refus d’embarquement, dans le hall 2
et non pas, comme l’indiquent les policiers, en bas ou sur la passerelle d’embarquement, à proximité de la-porte de l’avion. Elles ont atteint un homme menotté dans le dos et couché à terre, n’opposant aucune
résistance, et ne peuvent donc être confondues avec les gestes techniques de maîtrise d’un homme donnant des
coups de pieds et griffant les policiers qui sont évoqués par les fonctionnaires dans la procédure initiale.
La commission observe également que les violences décrites par le témoin sont en tous points compatibles
avec les traces de coups constatées au niveau des côtes inférieures gauches et du tiers inférieur de l’avant-bras
gauche de F.A., lors des examens cliniques réalisés sur sa personne le jour des faits par le département des
urgences de l’hôpital Purpan.
Elle en conclut que, quel que soit le degré de violence dont a fait preuve cet étranger au moment du refus
d’embarquement, les coups portés par un représentant de la force publique sur un homme à terre, entravé et
immobile, ainsi que la passivité de l’autre policier présent, sont contraires aux articles 7 et 10 du code de
déontologie de la police nationale, qui leur enjoignent un respect absolu des personnes appréhendées, placées
sous leur responsabilité et leur protection.
II. – Les recommandations de la commission et leurs suites :
La commission a transmis son avis au ministre de l’intérieur, en vue de l’engagement de poursuites
disciplinaires. Elle a également exprimé le souhait que soient fermement rappelés aux fonctionnaires concernés
les missions de la commission, ses obligations légales et ses pouvoirs, ainsi que la prohibition absolue faite aux
titulaires de la force légale de tout acte de violence commis sans nécessité sur une personne menottée.
Préoccupée par les conséquences que fait peser, sur son propre fonctionnement comme sur la sincérité des
déclarations recueillies, la pression susceptible d’être exercée sur les plaignants ou témoins désirant s’adresser à
la commission par le biais d’une plainte en dénonciation calomnieuse déposée immédiatement après une
convocation des fonctionnaires mis en cause et traitée par les parquets sans attendre ses propres conclusions, la
commission a en outre adressé son avis au garde des sceaux, lui demandant plus précisément, dans une lettre
de rappel datée du 29 janvier 2008, d’inviter les parquets à privilégier la compétence territoriale du tribunal de
grande instance de Paris et à différer les poursuites de ce chef jusqu’à la communication des conclusions de la
commission sur les faits dénoncés.
Dans sa réponse, le ministre de la justice a estimé que la proposition de traitement unifié et coordonné de ce
type de plaintes à Paris n’était pas souhaitable, au motif qu’elles « nécessitent non seulement l’audition de
l’ensemble des protagonistes mais également, si nécessaire, des transports sur les lieux ». Il a ajouté que « la
qualité de l’enquête dépend étroitement des échanges nourris entre les officiers de police judiciaire et le
procureur de la République de leur ressort, naturel directeur d’enquête ».
La commission réfute les deux arguments, observant que les transports sur les lieux sont exceptionnels, sauf
en matière criminelle, et que la qualité principale d’une enquête dépend plus étroitement encore de
l’impartialité objective et subjective de ceux qui la mènent, impartialité qu’assure, y compris au niveau des
apparences, le traitement à distance des procédures susceptibles de mettre en jeu la responsabilité pénale de
fonctionnaires locaux.
Sur le second point, le garde des sceaux, arguant de la permission de la loi, a refusé de demander aux
parquets de différer l’action du ministère public, qui ne « remet nullement en cause le fonctionnement de
l’autorité administrative indépendante qu’est la CNDS » et constitue même « une garantie pour la commission
(...) de ne pas être saisie pour des raisons fallacieuses ».
La commission, dont les rapports annuels témoignent, depuis sa création, qu’elle n’a nullement besoin d’une
aide extérieure pour départager les réclamations infondées et celles qui ne le sont pas, considère au contraire
que, si les dispositions du code pénal permettent aujourd’hui à l’autorité judiciaire de poursuivre et de
sanctionner le délit de dénonciation calomnieuse sans attendre son avis sur la véracité des faits dénoncés, sa
proposition, qui n’est pas contraire à la loi, favorise une complète information de l’autorité judiciaire, garantie
de bonne justice.
De son côté, le ministre de l’intérieur a répondu aux recommandations de la commission en lui indiquant
saisir l’inspection générale de la police nationale pour vérifier, à titre préalable, si les faits dénoncés avaient été
« examinés par l’autorité judiciaire » et, dans la négative, pour déterminer « si des suites disciplinaires doivent
y être réservées ».
Consulté sur le premier point, le directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a
confirmé en tous points l’analyse de la commission, les juges du refus d’embarquement n’ayant pas été saisis
des faits de violences policières et la médiation proposée par le procureur de la République de Toulouse ne
pouvant constituer une décision juridictionnelle.
Sur le second point et après avoir pris connaissance de l’enquête de l’IGPN réalisée à sa demande, le
ministre de l’intérieur a informé la commission qu’aucun élément ne permettait « d’imputer de faute
professionnelle ou déontologique aux policiers mis en cause » qui, « confrontés à la résistance de M. F.A.., (...)
ont dû user de la force strictement nécessaire pour le maîtriser ».
Tout en maintenant son analyse des faits, solidement adossée au témoignage d’un tiers étranger à la scène
décrite et aux constatations médicales, la commission observe que l’exercice des poursuites disciplinaires relève
exclusivement des pouvoirs de l’autorité ministérielle et de sa responsabilité propre.
Elle déplore cependant que sa demande de rappel des principes légaux qui gouvernent ses missions, ses
obligations et ses pouvoirs n’ait pas été suivie d’effet et n’ait pas même donné lieu à des observations écrites
adressées aux deux fonctionnaires mis en cause et à leur supérieur hiérarchique, alors qu’ils ont tenté, à-plusieurs reprises et par différents procédés, de faire obstacle à l’exercice des missions de la commission et de
donner une interprétation fallacieuse des dispositions de la loi portant création de cette autorité administrative
indépendante.
La commission déplore également qu’aucune réponse n’ait été apportée à sa demande de rappel solennel aux
agents de la force publique de la prohibition absolue de tout traitement inhumain ou dégradant.
Cette absence délibérée de prise en compte de ses recommandations justifie la publication du présent rapport
au Journal officiel.
Fait à Paris, le 15 décembre 2008.
Le président de la Commission nationale
de déontologie de la sécurité,
R. BEAUVOIS
– 18 janvier 2009 JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Texte 33
Messages
1. MAM et Dati, au piquet !, 19 janvier 2009, 11:05, par Deloin
1) : Une lettre à son député peut s’avérer efficace pour contester l’organisation des services publiques ; d’autant plus si elle est rédigée par plusieurs témoins d’une maltraîtance. (je pense à ces trois profs de philos qui ont contesté un mauvais traitement auprès de policiers dans un avion) ;
2) Cette commission n’a pas de pouvoir, comme d’habitude, mais ses recommandations sont sensées : respect de la personne.
3) Mise en évidence de la collusion entre les services ministériels et la protection de leurs fonctionnaires, toujours de la même manière : "Ha ! mais ce ne s’est pas passé ainsi ! " en parlant d’autre chose : déplacement du focus de l’affaire : n’oublions pas ! c’est une technique du spectacle, du "magicien", du berneur et ici la Commission a fait un bon boulot en conservant le bon focus : bravo !
4) Les ministères donnent indirectement raison à ces fonctionnaires dans l’étrange exercice de leur fonction : ils ne craignent rien, et surtout les services de police----
5) Politisation, donc de la---- fonction publique qui s’excerse à l’encontre des administrés et non plus pour les administrés.
6) La haine de ces services contre les gens qui les critiquent dans cette étrange manière d’exercer leur fonction, par la plainte, après coup, de diffamation (on rejoint le délit d’outrage : le plaignant est le témoin et l’accusateur ; ou celui de rébellion : il n’est pas permis de contester ce qu’on considère comme une injustice, un manque de respect etc. auprès des services publiques, etc. — comme s’il était naturel de voir sa liberté bafouée par ces services parce qu’ils sont une émanation de l’organisation publique).
7) Le jugement "en son âme et conscience" d’un député, transmettant, selon la loi, une contestation d’un citoyen qu’il estime valable, n’est pas pris en compte par les services publiques que ce député est réputé organiser pour le BIEN publique. Je veux dire que ces services n’ont pas le respect dû à la fonction d’un député — dont en étant pas parler dans ce rapport, d’ailleurs, c’est-à-dire qu’il n’a fait que transmettre la lettre, sans prendre parti de défense ni de son (pouvoir public, ni du pouvoir de ce citoyen.
Je trouve cette commission bien courageuse devant autant de démission, de foutoir et de baisage de gueule !