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MANDRAKE

Publie le jeudi 27 décembre 2007 par Open-Publishing

Cape noire à doublure rouge et chapeau haut de forme : à cause de son accoutrement on le surnommait Mandrake. Du héros de bande dessinée il empruntait aussi la moustache, le nœud papillon et le geste. Magique. Il fréquentait les grandes foires et, aux moments d’affluence, dressait vite fait son éventaire : une espèce de castelet de marionnettiste tapissé de tissu cramoisi. L’assistait une jeune femme dont les habits de soubrette ne laissaient pas ignorer grand chose de ses charmes, selon qu’elle se baissait ou se hissait. De quoi attirer les premiers badauds.

Une fois le castelet édifié, Mandrake se glissait à l’intérieur et commençait à haranguer le chaland. Mesdames et messieurs, damoiselles et damoiseaux, pour la première fois dans votre bonne ville vous allez assister à quelque chose d’extraordinaire, du jamais vu. Ne craignez pas une entourloupe : je n’ai rien à vendre. Je veux seulement vous rendre heureux. Vous offrir quelques instants de bonheur, comme fait le soleil quand il est de sortie, de l’inoubliable.

Il se décoiffait alors pour exhiber son chapeau claque qu’il aplatissait puis reformait avant de le placer devant lui sur une étagère. Puis il demandait à la soubrette de se débarrasser de son foulard dont il enveloppait le couvre-chef.

Non nobles sires et damoiseaux, le spectacle n’est pas dans le corsage de mademoiselle Babette, mais devant moi, sous ce chapeau recouvert d’un foulard. Des accessoires ordinaires croyez-vous, mais en réalité magiques comme je vais vous le prouver. Non monsieur il n’y a pas de truc, de ficelle, d’embrouille. Il vous suffit de contrôler pour vous en convaincre. Pendant que vous y êtes, fouillez-moi aussi les poches… Et maintenant je vous expose le but de l’opération. Dans ce chapeau, je vais faire apparaître de fantastique, du fabuleux, du jamais vu. Ou plutôt NOUS, car c’est vous qui allez décider. Faites travailler vos méninges braves gens. Sue voulez-vous voir sortir de ce chapeau ? Un lapin ???!!!… Allons donc, monsieur, ce serait trop facile !!!… À ce lapin, vous voulez combien de pattes ? Sept et demi ?… Oké, c’est dans la boite. Ou plutôt dans le chapeau. Mais c’est encore trop fastoche. Allons-y de propositions plus originales. La première patte, vous la voulez comment ? En forme de tire-bouchon ? Oké c’est fait. La seconde en brosse à dents, la troisième en goupillon, la quatrième en briquet…

Après chaque proposition, Mandrake promenait ses mains par-dessus le chapeau, grimaçait de satisfaction, puis poursuivait son numéro. Une oreille en chou-fleur, l’autre en ampoule de cent watts… Nous avons donc dit : un lapin à sept pattes et demi avec… Ainsi se constituait un animal fabuleux qui n’avait plus rien d’un lapin. Plus personne ne regardait la soubrette, dont les charmes paraissaient dérisoires.

C’est du chiqué ???!!! Non monsieur c’est pas du chiqué. Je vous ai promis de l’extraordinaire ? Je vous donnerai de l’extraordinaire. Je l’ai dit, je le ferai. Cochon qui s’en dédit !… Ouvrez bien les quinquets, braves gens, le moment de vérité est arrivé. Vous voulez un lapin à sept pattes et demi, avec une oreille en chou-fleur, une queue en parapluie…

Après avoir récapitulé les composantes de la créature fantastique, Mandrake enlevait précautionneusement le foulard, soulevait un peu le chapeau pour y risquer un œil. Puis il se redressait, triomphal, avant de s’exclamer, goguenard :

Allons donc, braves gens, vous croyez que c’est réalisable, ce que vous me demandez là ? De la foutaise ! Mais ne partez pas, je vais vous proposer quelque chose de plus extraordinaire qu’un lapin monstrueux : des montres gratuites ! Vous avez bien entendu : des montres gratuites !!!… Pourquoi ce don ? Eh bien c’est tout simple. Je roulais en bagnole, peut-être un peu vite j’en conviens, quand un pneu a éclaté. Et je suis parti dans le ravin. Par ma foi, j’ai bien cru que ma dernière heure était arrivée.

Alors, pendant que je me fracassais de rocher en rocher, j’ai fait une promesse : si je m’en tire, j’offrirai gratuitement tout mon chargement de montres. Des montres suisses, incassables, ouatère-prouf, inusables, garanties à vie. Chose promise, chose due… Seulement ouala, je ne suis pas le père Noël. Alors je vous demanderai seulement de me rembourser les frais de douane. Rien que les frais de douane… Tant pis pour ma ouature bousillée… La prochaine fois je serai plus prudent. Aussi ce sera fini des montres gratuites. Profitez donc de l’occasion exceptionnelle. Mais pressez-vous, y’en aura pas pour tout le monde…