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Magistrat-citoyen perplexe et inquiet.
Publie le dimanche 3 décembre 2006 par Open-Publishing5 commentaires

de Jean-Pierre ROSENCZVEIG Juge des enfants - TGI de Bobigny
Le ministre de l’intérieur est donc candidat à l’élection présidentielle. C’est son droit, mais il se retrouve à devoir gérer que sur le court terme et le long terme quelques contradictions.
Ainsi, à court terme, il développe un programme sous signe de la “rupture tranquille ” tout en étant partie de l’équipe au pouvoir. Autre difficulté : comme ministre il a la responsabilité de l’organisation des élections auxquelles il est candidat. D’autres sont plus légitimes que moi à s’exprimer sur ces sujets qui par ailleurs ne sont pas le cœur de cible de ce blog.
En revanche, sur le plus long terme comme magistrat et comme citoyen je m’interroge sur certains propos comme ceux réitérés jeudi soir lors de l’émmission “A vous de juger” sur France 2 par le ministre de l’intérieur-président de l’UMP- candidat à la présidentielle.
N. Sarkozy n’a-t-il pas affirmé qu’il était inadmissible que le président du tribunal pour enfants de Bobigny n’ait prononcé aucune condamnation contre les 89 mineurs “émeutiers” de l’automne ajoutant qu’il faudrait que ce magistrat qui refuse d’appliquer la loi soit déplacé de ses fonctions. A quelques détails près, tel est le sens des propos prononcés.
Il s’avère que je suis le président du tribunal pour enfants de Bobigny. Mes fidèles lecteurs ne comprendraient pas que je ne réagisse pas.
Allons-y !
Premier point, je reste toujours aussi soufflé des erreurs juridiques du ministre de l’intérieur par ailleurs rappelons-le-avocat de formation. Ainsi sur un grand tribunal comme Bobigny qui à l’époque comptait 12 juges des enfants - aujourd’hui 14 sur le papier - une permanence est organisée chaque jour qui fait que ce sont plusieurs juges qui sur l’ensemble des évènements ont été amenés à gérer les déferements. Personnellement je l’ai fait sur une journée où j’ai eu à connaître de deux cas - sans qu’il y ait d’ailleurs la moindre réquisition de mandat de dépôt ; je crois même me souvenir qu’il n’y avait pas matière à mise en examen . Donc plusieurs juges des enfants sont concernés et pas un.
2° Il faut rappeler que la décision sur la détention provisoire dépend d’un juge délégué à la détention et à la liberté (JLD) saisi par le juge de l’instruction - juge des enfants ou juge d’instruction. Deuxième conclusion : ce n’est pas le Juge des enfants qui décide de l’incarcération
3° Il est possible, mais rarissime, que le juge prenne l’initiative de saisir le JLD. Les juges n’ont pas à être plus royalistes que le parquet. Cela m’est arrivé une fois, mais c’est naturellement rare ? Sur 89 cas dont nous avons eu à connaître en octobre-novembre 10 saisines de JLD ont été déposées par le parquet. Et encore faut-il observer qu’elles ont été concentrées sur 2 jours pour répondre à une demande ponctuelle du ministère de la justice. Dans un cas sur ces 10 le JLD a été saisi avec “succès”. Dans les autres cas le juge a trouvé des solutions qui protège l’ordre public dans le cadre de ce que prévoit la loi. -
4° Il faut encore préciser que sur les 89 cas, dans 40% il n’y avait pas matière à mettre en examen dans le dossier transmis au juge : la procédure policière ne tenait pas la route. D’ailleurs dans les cas dont le tribunal correctionnel a été saisi, c’est là encore dans 35 % des cas qu’il y a la relaxe faute de preuves (je renvois aux études des deux équipes de chercheurs qui ont repris depuis chaque procédure pour comprendre les réponses judicaires)
5° : aucune condamnation n’est possible pour les mineurs. C’est tellement vrai que justement le gouvernement dont est membre M. Sarkozy s’efforce aujourd’hui dans le prétexte dit sur la prévention de la délinquance tente d’introduire cette disposition. On voit donc mal à l’automne 2005, “le juge des enfants de Bobigny” prononcer une peine !!!
6° : et enfin un président de tribunal n’a aucun pouvoir pour imposer à “ses” juges de prendre telle ou telle décision. Il s’aviserait d’essayer de le faire qu’il se recevrait - à juste titre - une volée de bois vert.
Toutes ces données juridiques et institutionnelles sont vérifiables, notamment par un ministre de l’intérieur-avocat. Ce serait lui faire injure de dire qu’il ne sait pas ce que je viens de rappeler. On se demandera donc pourquoi le ministre essaie de tromper l’opinion. Chacun est libre de se faire sa réponse. Pour moi, la fin ne justife pas les moyens !
Mais le plus grave et le plus inquiétant dans le propos de jeudi soir est ailleurs.
1° un ministre estime qu’un juge n’applique pas la loi s’il ne réprime pas comme il le souhaite. Tel n’est pas l’ordre de la loi. L’ordre de la loi c’est de prononcer la décision adaptée à la protection de l’ordre public - dès lors que les faits sont établis devrai-je ajouter. En d’autres termes c’est quand même une sacrée conception de l’autorité judiciaire que de lui demander de prononcer les décisions que l’on veut. Le gouvernement s’il n’est pas d’accord avec une décision de justice a les moyens via le parquet de faire appel.
On voit bien déjà comment se traduit la défiance à l’égard des juges spécialement des juges des enfants réputés - à tort- être laxistes. On reduit leur capacité d’appréciation comme dans la loi du 9 septembre 2002 dite Perben I où le juge a l’obligation de saisir le TPE pour un jeune de plus de 16 ans ayant commis un fait qui fait encourir 7 ans d’emprisonnement.
Comme chacun le sait c’est le cas pour un téléphone portable arraché par deux personnes ! Peu importe que depuis le jeune qui a commis un fait unique ait été réinséré : il faut saisir le TPE. Aujourd’hui on veut introduire les peines plancher ! On a vu (in Le Monde) aux USA ce qu’y avait produit ce dispositif. La société se tire ainsi une balle dans le pied en empêchant les juges d’adapter leurs décisions. Mais les parlementaires décideront. J’observe que le premier ministre et le ministre de la justice sont contre.
2° J’en viens alors au pire : le candidat à la présidence de la République donc à la présidence du conseil supérieur de la magistrature en est toujours - il l’avait dejà fait en conseil des ministres en mai dernier - conf. le Canard Enchaine ) a demander à ce qu’un magistrat du siège soit déplacé de son poste parce qu’il n’aurait pas une pratique conforme à son souhait. C’est porter atteinte à l’un des principes fondateurs de la justice française : l’inamovibilité des magistrats du siège. Il ne s’agit pas d’une garantie personnelle. On estime de longue date que pour défendre les libertés un juge doit être libre ! Comment M. N. Sarkozy pourra garantir l’indépendance de l’autorité judicaire quand le candidat était sur de telle position.
Dans n’importe quel pays d’Europe un ministre de l’intérieur, ministre d’Etat avançant une telle allégation qui s’analyse en une demande de sanction contre un juge du fait de ses pratiques - supposées mais peu importe - devrait démissionner.Nous sommes en France ! La vie continue.
On a déjà entendu le même ministre demander la rétroactivité des lois pénales en matière de violence sexuelle sans que quiconque ou si peu réagisse alors que la non-rétroactivité des lois pénale (conf. les sections spéciales de 1942 ) est un grand principe de notre démocratie et de notre Etat de droit. J’entend qu’un ministre de l’intérieur - et il n’est ni le premier ni le dernier - vitupère contre les décisions des magistrats, du siège comme du parquet. Il me semblait qu’en septembre dernier le président de la République répondant à l’interpellation de M. Canivet premier de la Cour de Cassation avait rappelé les frontières à ne pas franchir.
Vous aurez remarqué que je ne personnalise absolument pas le débat. C’est une stratégie politique bien connue que de focaliser la critique politique que l’on porte. Je n’y cède pas.
De minimis non curat praetor....
En revanche on me permettra de relever que le silence des politiques sur l’attaque à l’inamobilité des magistrats du siège, l’appel à la rétroactivité des lois pénales etc. est assourdissant et tout aussi préoccupant pour l’avenir que les propos ministériels ...
Messages
1. > Magistrat-citoyen perplexe et inquiet., 3 décembre 2006, 13:52
"Oh les beaux jours" ....
bientôt le fascisme pornographe.
Bigoudène
2. > Magistrat-citoyen perplexe et inquiet., 3 décembre 2006, 14:22
Voilà un texte - parfait - sur les dangers d’un homme sans qualité par quelqu’un qui en a beaucoup.
Avec toute mon admiration, mr Jean-Pierre ROSENCZVEIG
Jean-Michel (PCF)
3. > Magistrat-citoyen perplexe et inquiet., 3 décembre 2006, 15:12
Dont acte, et merci pour cette analyse.
4. > Magistrat-citoyen perplexe et inquiet., 3 décembre 2006, 15:47
En ce qui concerne ses propres résultats en tant que MINISTRE de L’INTERIEUR,
Monsieur SARKOSY est beaucoup moins pointilleux.
d’après le "Canard Enchaîné" de cette semaine
il a demandé que des plaintes ne soient pas enregistrées,
mais portées uniquement sur la main courante et
que dans le domaine de la drogue,
toutes les saisies de moins de 5 grammes
soient purement et simplement annulées dans les statistiques.
Ceci, naturellement pour pouvoir présenter un bilan MOINS CATASTROPHIQUE !
Michèle
1. > Magistrat-citoyen perplexe et inquiet., 4 décembre 2006, 16:21
Ca ne m’étonne pas. Je pense que dans les semaines à venir, on va encore apprendre pas mal de choses.
Une certitude, si par malheur il devenait président, faut pas rêver, les alentours de l’Elysée serait immédiatement vidé de ses habitants, et des passants, sur un grand rayon, comme il l’a fait à Arcachon cet été. Il est atteint de paranoïa !
Sarkozy porte de graves atteintes à nos institutions. Le peuple devra s’en souvenir et le sanctionner le jour "j", c’est encore la meilleure des réponses.
Je constate que beaucoup de juges sont plus humains que ce que je croyais. Eux aussi, ont bien compris que le mal être des jeunes est forcément lié aux conditions de vie de leurs parents, même si Sarkozy veut masquer la réalité, en disant que les jeunes viennent de milieux parfois favorisés.
Dommage que je n’aies pas enregistré l’émission, car il s’est contredit de nombreuses fois, comme par exemple :
– qu’il fallait arrêter que les étudiants se dirigent en masse vers "sociologie" ou "psychologie" ou "sport" parce que c’est du temps perdu (sous-entendu de l’argent perdu), et ensuite il a souligné qu’il n’y avait pas assez d’étudiants à la fac !!! ??? Comprenne qui pourra !
– il a parlé de sélection nécessaire,
– mais il a dit aussi qu’il fallait un retour aux enseignements classiques (grec, latin, pourquoi l’avoir supprimé alors ?),
– qu’il fallait laisser les jeunes choisir leur voie !!!??? (en contradiction avec socio et psycho)
– Il a parlé d’aider à l’accession à la propriété à cette mère de famille qui élève seule ses 3 enfants et touchant seulement 780 euros/mois. Faudra donner la recette, qui relève du miracle ou de la magie ! ?
– Il lui a assuré qu’il mettrait en place une épargne-formation pour des gens dans la même situation qu’elle, pour se payer sa formation tout au long de sa vie et selon ses besoins. Mais comment et avec quel argent pourra-t-elle épargner ? Il se fout du peuple !
Et quand l’intervenant M. Cohen, statiticien, s’est permis de lui dire avec quel argent il finançait toutes ses propositions, qui dépassait à vrai dire ses chiffres, Sarkozy n’a pas été foutu de répondre clairement, quelque peu embarassé par la question non prévue par A. Chabot.
Et rappelez-vous aussi, que lui ou ses espions doivent regarder Bellaciao, car pour entretenir la confusion, il n’a pas cessé de marteler le terme "d’alternative", qu’on ne trouve que dans les collectifs de gauche.
Sarko est pris en flagrant délit de pompage et de mensonge. Triste sire que voilà !!! Il me fait froid dans le dos...