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Manifestation pour l’éducation bilingue au Chiapas
Publie le dimanche 16 septembre 2007 par Open-Publishing"Plus jamais un Mexique sans nous". Le slogan des zapatistes est bien connu, pourtant la revendication reste toujours d’actualité. Aujourd’hui à San Cristobal, en ce mercredi 12, ce sont des jeunes, étudiants en grande majorité, qui manifestent pour le droit à une éducation bilingue. Une centaine de personnes ayant répondu à l’appel défilent derrière une banderole où figurent les visages respectifs du Che, de Zapata, de Marcos et de Lucio Cabañas (1).
L’éducation bilingue fut une des principales revendications des zapatistes lors de leur soulèvement en 1994, puis lors des discussions avec le gouvernement qui aboutirent aux accords de San Andres le 16 fevrier 1996 devant accorder un certains nombre de droits aux indigènes et notamment une plus grande autonomie. Mais ces accords sont dans l’ensemble restés lettre morte, malgré l’arrivée au pouvoir en 2000 du PAN (Parti d’Action Nationale), mettant fin à 70 ans de domination du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel), qui s’était engagé à faire respecter ces accords. D’ailleurs quand on demande à Francisco, une des leaders de cette manifestation, ce qui a vraiment changé depuis ces accords, sa réponse est incisive : "Rien", sauf ce qu’il appelle "la fondation du 2 octobre". En fait, il fait référence à l’école Jacinto Canek (2), école où l’enseignement se fait en bilingue. Seulement aujourd’hui, l’état du Chiapas s’est totalement désengagé et les financements ne suivent plus. Un manifestant témoigne : "Les structures actuelles ne permettent plus une bonne éducation." Et chacun de rappeler l’article 3 de la constitution mexicaine, qui précise que l’éducation vise à un constant approfondissement de la culture, ainsi qu’à contribuer à l’amélioration du vivre ensemble. Et c’est là que le bât blesse. En effet, comment peut-on souhaiter pour les élèves toujours plus de culture(s) tout en sacrifiant celle des indigènes.
Après un passage devant le siège de campagne du PRI (le Chiapas élit ses maires et députés le 7 octobre), les manifestants se dirigent vers la mairie. De son côté, Francesco attend beaucoup de ces élections, pourtant il ne soutiendra personne. Sans doute décu par tant de promesses non tenues. Il peste au passage contre l’actuel gouverneur du Chiapas Juan Sabines (3). D’ailleurs, à travers le tract qu’ils distribuent aux passants, ils tiennent à rappeler le non-respect d’un slogan du mandat de la municipalité : "hechos, no palabras" (4). Arrivé devant la mairie, les manifestants attendent pacifiquement sur la place. Ce n’est qu’au bout d’un gros quart d’heure qu’un membre de l´equipe municipale vient à leur rencontre. Se voulant rassurant quant à l’écoute de la mairie par rapport à leurs revendications, il propose que soient désignées vingt personnes pour venir discuter avec lui d’ici une heure. Les manifestants s’organisent rapidement pour désigner leurs représentants. Ils insistent sur l’ensemble des revendications présentes sur le tract où figurent, en plus de l’exigence de ressources conséquentes, la demande de la mise en place de transports scolaires, un salaire décent pour les professeurs ou encore des bourses pour les familles les plus pauvres. Les représentants sont enfin prêts à rencontrer le conseiller. Mais l’entrevue va s’avérer très courte puisqu’au bout d’une demi-heure seulement, les délégués sont déjà ressortis. Francesco prend le mégaphone et propose de se retrouver d’ici trois heures pour préparer la suite des hostilités. Protestation d’un petit groupe : "il faut qu’on en parle maintenant". Après rapide concertation, décision est prise de se rendre à l’école pour discuter de cette journée. Entre temps, on passe du centre bourgeois de San Cristobal à la périphérie de la ville beaucoup plus délabrée.
Devant l’école trône un panneau sur lequel est inscrit : "Si vous savez lire et écrire : enseignez. Inscrivez-vous programme d’alphabétisation en tant que volontaire". Symbole d’une école qui ne peut plus remplir sa mission elle-même. Tout ce beau monde se réunit donc dans un petit bâtiment en bois et un toit en tôle. Le temps que tout le monde s’installe et la séance peut commencer. Premier point à aborder : l’impact de la marche. Se pose évidemment la question de la facon dont la presse va retranscrire les événements. D’où l’importance, selon Francesco, de trouver des moyens de communication et d’information alternatifs. Il souligne aussi l’importance de rester unis et interroge l’assemblée sur la tournure que doivent prendre les événements par la suite selon les différents scénarios possibles. Une date est déjà retenue au cas où une radicalisatoin des modes d’actions serait nécessaire : le 2 octobre. Deux raisons à cela : d’une part, c’est tout juste cinq jours avant les élections. C’est donc le bon moment pour obtenir des concessions de la part des candidats. D’autre part, ce sera le septième anniversaire de la construction de l’école Jacinto Canek. Une étudiante prend ensuite la parole pour faire le bilan de leur rencontre avec le conseiller municipal. Celui-ci leur a notamment demandé de définir un projet cohérent pour voir s’il est possible de le financer. Il est donc décidé que, tous ensemble, ils élaborent ce projet. D’autre part, il faut désigner des volontaires pour rencontrer les conseillers municipaux lundi. Timidement, des mains se lèvent. Lundi, ils seront donc dix pour parler du futur de cette école. Entre temps, ils se sont mis d’accord pour une action symbolique : accrocher sur la bibliothèque un drapeau rouge et noir (les couleurs zapatistes) pendant au moins deux heures. Ce qui est sûr, c’est que le combat est loin d’être fini. Mais un slogan de la manifestation résume bien leur état d’esprit : "L’éducation ne se vend pas, l’éducation ne se donne pas, l’éducation se défend par la lutte populaire".
(1) Chef du groupe armé Le parti des pauvres, il sera assassiné en 1974.
(2) Du nom d’un indien du Yucatan qui a tenté de resister aux colons espagnols dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle
(3) Maire PRI de Tuxtla Gutierrez de 1995 à 1996, il démissionne de son poste pour pouvoir se présenter au poste de gouverneur du Chiapas au sein de la coalition "Por el bien de todos" dans laquelle se retrouvent notamment le PRD (Parti Révolutionnaire Démocratique) et le PT (Parti des travailleurs)
(4) Des actes, pas des paroles