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Maroc : Lettre ouverte de l’A.M.D.H. au président du parlement marocain

Publie le mardi 15 juin 2010 par Open-Publishing

Rabat, le 11 juin 2010

Lettre ouverte

À

Monsieur le Président de la Chambre des conseillers

Objet : Condamnation de l’attitude hostile de Monsieur Driss Radi à l’encontre de l’Association Marocaine des Droits Humains et l’utilisation d’une instance constitutionnelle – la Chambre des conseillers – comme instrument de protestation contre l’Association.

Référence : Allocution de monsieur Driss Radi président du Groupe du Rassemblement constitutionnel unifié du 08/0682010 et la dépêche s’y rapportant de l’Agence Maghreb Arabe Presse.

Monsieur le Président,

Nous vous adressons cette lettre ouverte, et à travers vous à tous les Conseillers, pour condamner, en tant que Bureau central de l’Association Marocaine des Droits Humains, les propos mensongers et les attaques évoquées dans l’allocution de monsieur Driss Radi président du Groupe du Rassemblement constitutionnel unifié dans le cadre d’une demande d’information concernant le 9e Congrès national de l’Association tenu du 20 au 23 mai dernier. Nous vous exprimons de même notre protestation contre un antécédent grave illustré dans la levée des travaux de la Chambre pendant 10 minutes comme signe de protestation contre l’Association Marocaine des Droits Humains !!

Nous voulons d’abord vous rappeler que l’Association Marocaine des Droits Humains est fondée le 24 juin 1979 au milieu des ardeurs des années de braises et de plomb et n’a cessé depuis aux cotés de toutes les forces démocratiques d’affronter avec audace et clairvoyance les violations graves des droits humains relatives à la répression politique consistant en des enlèvements, la torture, les détentions arbitraires, les procès inéquitables, le bannissement forcé hors du pays, les tueries collectives pendant les grands soulèvements sociaux, les exécutions extrajudiciaires, les violations graves relatives à la dilapidation des deniers publics, à la corruption et aux différentes formes de dépravation économique qui ont eu des répercussions néfastes sur les droits économiques, sociaux et culturels dans notre pays. Parmi les victimes des violations graves que notre pays a connues figure un bon nombre des membres de l’Association dont les luttes qu’elle a engagées, parallèlement avec les luttes de tous les démocrates dans notre pays, ont été couronnées par la reconnaissance de ces violations par l’État qui a débuté à les réparer en partie.

Eu égard aux sacrifices de l’Association et de sa lutte de longue haleine, elle a été adoptée par la population et a connu une évolution que tout le monde connaît et reconnue même par les autorités en la considérant depuis l’année 2000 comme association d’utilité publique. De nos jours, l’Association après que le nombre de ses adhérents a dépassé 10 mille membres avec 90 sections allant de Laâyoune au Sahara à Berkane au Nord-Est, s’intéresse non pas seulement aux droits politiques et civils mais aussi des droits économiques, sociaux et culturels. De même, elle s’intéresse en plus de la protection des droits humains – l’observation des violations, leurs dénonciations, la lutte pour qu’elles cessent, le soutien des victimes des violations pour leur rendre justice – à la promotion de ses droits et surtout par le biais de l’éducation et la diffusion de la culture des droits humains.

L’Association Marocaine des Droits Humains a tenu son 9e Congrès du 20 au 23 mai dernier auquel ont participé 422 congressistes dont 36% de femmes en plus de 120 observatrices/eurs environ et 30 invitéEs en provenance de l’étranger et du Maroc parmi lesquels des journalistes. En dépit du retrait dans la dernière étape du Congrès d’un nombre de congressistes (situation à laquelle nous trouverons une solution), le Congrès était une réussite caractérisée par l’approbation de tous les rapports, les recommandations et le communiqué final et a été couronné par l’élection de la Commission administrative dont le tiers est composé de femmes et par un Bureau central constitué de 17 membres dont 8 femmes.

Monsieur le Président,

L’allocution de monsieur Driss Radi est constituée de propos mensongers visant à impliquer la Chambre des Conseillers dans une position dont l’aspect est la défense de la Nation et de l’unité territoriale et dont l’essence consiste à s’opposer aux droits humains selon leur conception universelle et pousser le Maroc à se dérober à ses engagements constitutionnels (la reconnaissance des droits humains universellement reconnus) et internationaux issus de la ratification d’un nombre de conventions et notamment le Pacte international relatif aux droits politiques et civils ratifié depuis le 3 mai 1979.

Tout d’abord, nous voulons attirer votre attention à quelques erreurs qui montrent que monsieur Driss Radi connaît assez mal le sujet dans lequel il s’est enlisé :

Primo, le Congrès objet de discussion n’est pas le 8e comme il a été mentionné dans l’allocution de monsieur Driss Radi mais c’est le 9e Congrès. D’autre part, il n’a nullement eu lieu le 19 avril selon ses propos mais du 20 au 23 mai.

Secundo, qu’est-il advenu à monsieur Driss Radi qui évoque dans son allocution « que quelqu’un parmi eux et dans une chaîne de diffusion exprime son désir de présider la république » ? Par là, il fait clairement allusion à la déclaration de monsieur Hicham Ayouch à radio Mars. Et sans entrer dans le vif du sujet qui entre dans le cadre de la liberté d’opinion et d’expression dans cette affaire comme dans d’autres, le fait de soulever ce sujet n’est qu’une simple tentative d’exhibition de monsieur Driss Radi et ce aux dépens de l’Association pour se montrer tel un héros qui défend la Royauté et qu’il est « plus royaliste que le Roi » selon l’expression française. Il en fait de même en ce qui concerne l’unité nationale pour s’exhiber encore une fois au détriment de l’Association pour montrer qu’il est plus nationaliste que la Nation elle-même. En tout cas, le moins que l’on puisse dire est que monsieur Driss Radi, en soulevant ce sujet tout en sachant que le concerné n’a aucune relation avec l’Association Marocaine des Droits Humains, a recouru à des absurdités et à se moquer de tout le monde.
Tertio, concernant le conflit du Sahara, la position exprimée par l’Association lors du 9e Congrès a été précisée dans un seul document – le communiqué général – et figure dans un seul paragraphe comme suit :

« Concernant le conflit du Sahara, le Congrès exprime son mécontentement du fait que ce conflit a duré depuis des décennies avec tout ce qui en résulte comme victimes, le gaspillage de ressources économiques, les entraves à l’édification de l’unité du Maghreb souhaitée. Le Congrès réaffirme la position de l’Association relative à la solution démocratique au conflit sur le Sahara et à s’opposer à toutes les violations qui en résultent de quelques origines que ce soit. »
C’est la position officielle de l’Association qui est issue de son autorité suprême en l’occurrence son Congrès. Et toute autre position n’est que simple palabre et détails sans importance. Et ce que monsieur Driss Radi ignore qui a entrainé la Chambre des conseillers dans l’embarras c’est que cette position ne date pas de ce Congrès et que l’Association l’a adoptée à l’unanimité de ses membres depuis une dizaine d’années ce qui est confirmé dans le communiqué général du 8e Congrès en avril 2007 dans lequel se trouve le même paragraphe avec la même ponctuation adopté pour exprimer alors la position de l’Association sur le conflit du Sahara.

En résumé, contrairement à tous les propos mensongers, l’Association n’a adopté, lors de son dernier Congrès (en mai dernier), aucune nouvelle position relative au conflit sur le Sahara. Par ailleurs, une minorité de congressistes a tenté vainement dans les derniers moments de faire en sorte à ce que l’Association révise sa position sur la question ce qui constitue évidemment son plein droit.

Monsieur le Président,

Monsieur Driss Radi a insisté sur une idée principale à savoir que « l’Association profite des droits humains pour transmettre des tendances séparatistes… et comme une plateforme pour viser la Nation et ses piliers ».

De notre part, nous vous demandons où se trouve cette visée dans le paragraphe cité dans le communiqué général du Congrès. Que vous lisiez ce paragraphe de n’importe quel angle, vous ne trouverez nullement place aux niaiseries de monsieur Driss Radi.

Donc, quel est le vrai objectif du chahut fait par Driss Radi par lequel il a enfoncé dans un bourbier la Chambre des conseillers ?

Autant monsieur Driss Radi, et un bon nombre de ses semblables, n’a jamais sympathisé avec les droits humains universels, autant il ne peut s’en convaincre ni lutter pour leurs respects et il ne ratera aucunement et sans scrupule les occasions pour les mépriser.

Monsieur Driss Radi accuse l’Association de se servir des droits humains pour atteindre des fins politiques. Il n’est alors ni le premier ni le dernier à adopter une telle accusation. Chaque fois que l’Association ose prendre une position de droits humains conforme aux droits humains universels – c’est pourtant notre devoir et non pas d’attirer la sympathie de monsieur Driss Radi – elle est alors accusée de faire de la politique.

N’était-ce pas le cas quand nous avons demandé que les personnes responsables des violations graves doivent rendre compte de leurs actes et nous avons donné une liste préliminaire avec les noms de certains d’entre eux ?

N’était-ce pas le cas quand nous avons appelé à dépasser la Constitution non démocratique actuelle et de la remplacer par une Constitution démocratique comme étape pour l’édification de l’État de droit et la société de la citoyenneté ?

N’était-ce pas le cas quand nous avons revendiqué que l’État présente explicitement des excuses publiques sur les violations graves des droits humains qu’il a commises ?

De même, nous avons été accusés de prendre des positions politiques après avoir demandé la non ratification par le Maroc de conventions commerciales qui ne respectent ses engagements dans le domaine des droits humains ; et quand nous avons lutté contre le sionisme comme mouvement colonialiste, raciste, belligérant et impérialiste, un mouvement hostile aux droits des peuples, nos positions ont été considérées à caractère politique.

Le fond des choses est que monsieur Driss Radi ne peut pas comprendre la noblesse de la ligne des droits humains adoptée par l’Association Marocaine des Droits Humains car cette ligne ne considère comme sacré que la vie et la dignité humaine. Et quand monsieur Driss Radi a jugé le moment opportun – surtout après que monsieur Abbés Fassi en personne, en tant que secrétaire général du Parti de l’Istiqlal dans son allocution lors du Congrès de la Jeunesse istiqlalienne, a osé tenter de salir la renommée de l’Association – a accusé lui-même l’Association de se servir des droits humains pour réaliser des desseins politiques à savoir porter atteinte à l’Unité nationale !

Du fait que, dans l’Association, n’ayant à attendre recevoir de leçon de quiconque dans le domaine des nobles valeurs, nous considérons que monsieur Driss Radi est de la nature des personnes dont les parties, ayant soutenu les abominations des années de plomb, se sont embourbés jusqu’à la moelle et qui se servent de la Nation et les sentiments patriotiques de façon à donner le coup de grâce à l’idée même de droits humains.

L’Association Marocaine des Droits Humains et l’un des piliers de la défense des droits humains dans notre pays, et partant nous placer dans le collimateur signifie exposer au danger les droits humains universels dans notre pays.

En somme, monsieur Driss Radi se sert de notions telles la nation et l’Unité nationale pour tenter d’entraver la marche de notre peuple vers la société de la citoyenneté comme alternative à la société des sujets. Et malheureusement pour monsieur Driss Radi que les Marocains, femmes et hommes, ont commencé à faire la distinction entre l’ivraie et le bon grain et savent qui honnêtement et loyalement défend la Nation et ceux qui usent des devises patriotiques et de la Nation à dessein de s’opposer aux droits humains universels.

Monsieur le Président,

Notre Bureau central a été étonné par la levée de la séance pendant 10 minutes en guise de protestation contre l’Association Marocaine des Droits Humains.

La Chambre a-t-elle le droit d’agir de la sorte sans même écouter l’autre avis, celui de l’Association ?

Depuis quand une association telle la notre à savoir l’Association qui est digne de respect à l’échelle nationale et internationale et qui jouit de l’honneur d’accueillir la Coordination Maghrébine des Organisations des Droits Humains devient un sujet de protestation ?

Votre Chambre a commis un péché flagrant en suivant monsieur Driss Radi dans sa proposition irresponsable de lever la séance.

N’incombait-il pas que vous leviez la séance en signe de protestation contre la répression que subissent quotidiennement les chômeurs devant votre Chambre et contre leur privation de leur droit constitutionnel au travail ce qui les a conduits au désespoir et à s’immoler par le feu à l’avenue Mohammed V ?

N’incombait-il pas que vous leviez la séance pour protester contre l’opération terroriste du 31 mai contre la caravane de la liberté qui se dirigeait vers Gaza ?

N’incombait-il pas que vous leviez la séance pour protester contre les opérations continuelles de normalisation, de différentes façons avec l’entité sioniste ?

N’incombait-il pas que vous leviez la séance pour protester contre la répression de la population de Sidi Ifni qui a subi les formes extrêmes de vengeance, et de vous lever pour désapprouver le fait que persiste l’impunité des crimes commis contre la population de Sidi Ifni sachant que votre Chambre se réunit durant deux années entières après les graves incidents ?

N’incombait-il pas que vous leviez la séance pour protester contre l’incendie de la Compagnie Rozamor qui a causé la mort de 55 ouvrières et ouvriers à Casablanca ? Et contre les violations quotidiennes du statut du travail reconnues officiellement par les responsables ?
N’incombait-il pas que vous leviez la séance pour protester contre le licenciement de 850 ouvriers de SMESI REGIE par l’administration de l’Office Chérifien des Phosphates et la détention et le procès intenté contre certains parmi eux en raison de leur lutte contre ce qui leur est arrivé ?

N’incombait-il pas que vous leviez la séance pour protester contre les situations dramatiques vécues dans les prisons du Maroc, dans ses hôpitaux, ses écoles, ses villages marginalisés et les quartiers de la misère sis dans la périphérie des villes marocaines ?

N’incombait-il pas que vous leviez la séance pour protester contre la répression de la presse illuminée dont les derniers cas sont l’interdiction de Lejournal, la saisie de Nichane et Telquel et l’interdiction de l’hebdomadaire al-Michâal, le journal Akhbar al-Yaoum… ?

N’incombait-il pas que vous leviez vous pour protester contre les situations catastrophiques de la Justice marocaine et la fréquence des procès inéquitables dans les tribunaux du Maroc et la poursuite des détentions et des procès en raison de l’opinion ou l’activité politique, syndicale ou de droits humains ?

Par le biais de cette lettre, nous annonçons que nous n’accepterons d’aucune façon le plan terrible qui a conduit une instance constitutionnelle toute entière à protester contre notre noble Association et revendiquons de trouver comment réhabiliter notre Association et par la même occasion réhabiliter votre institution que monsieur Driss Radi, avec l’aide du président de la séance, a impliquée dans la malheureuse opération résidant dans la levée des travaux de la séance pendant 10 minutes pour protester contre l’Association Marocaine des Droits Humains.

Dans l’attente de nous faire parvenir ce qui vous paraît convenable comme mesures à même de sortir votre Chambre du pétrin, recevez, monsieur le Président, l’expression de nos sincères sentiments

Pour le Bureau central.

La Présidente : KHADIJA RYADI.

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