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Mes grands parents chéris,
J’ai pu intégrer finalement l’unique classe de première scientifique qu’il reste au lycée. Par chance le lycée a fait de la place ça tout le monde et nous sommes 43 dans la classe. Nous n’avons pas depuis 2 mois de professeur de langue car le poste a été supprimé, mais le proviseur a passé une annonce dans une boite de soutien privé à domicile (ACADOMIA) pour en recruter un à temps partiel, comme le permet désormais la nouvelle loi (RGPP) de modernisation de la fonction publique. Cela coûtera moins cher à notre proviseur (manager) que d’en embaucher un à temps plein, même si au passage nous n’aurons pas de dédoublement de classe, ce qui est pratique pour apprendre l’anglais.
Les cours de soutien scolaire ont été également supprimés cette année, mais vu que papa et maman gagnent bien leur vie, ils bénéficient de réductions fiscales pour me payer des cours à l’agence ACADOMIA qui a ouvert à 2 rues du Lycée. Les parents d’Hakim et de Momo eux ne peuvent pas payer, mais ma copine Marie Cécile vient avec moi, donc je suis content tout de même.
Ma sœur Elsa de son côté va bien. Elle souhaitait intégrer un B.E.P coiffure, mais vu qu’il a été supprimé, elle n’a trouvé qu’une place en B.E.P Vente. Ce n’est pas tout à fait ce qu’elle voulait faire, mais c’est toujours mieux que ce que lui avait proposé le collège initialement, un BAC Pro Comptabilité. Elle s’est dit qu’avec 7 de moyenne en Math, elle risquait d’échouer dans cette voie, comme sa copine Natacha et qu’il valait tout de même mieux ça. Dans son Lycée, il n’y a pas de cours de langue, mais après tout elle pourra toujours apprendre le C’hti en venant vous voir à Calais.
Je vous embrasse très fort,
Votre petit fils Fredéric.
Messages
1. Mes grand parents chéris , 17 juin 2008, 11:08, par Pépé Batistou
Mon cher Fréderic
Ton pépé est tout content dans sa maison de retraite.
Ils m’attachent sur le lit ou sur ma chaise roulante parceque je crie quand ils me laissent ma couche "confiance" 2 ou 3 jours...
Ce qui peuvent payer 2500 euros par mois sont changés chaque jour.
Je n’ai plus mon dentier,on me l’a pris pour le donner à quelqu’un d’autre.
Mémé ils l’ont mise dans le hall avec les plantes vertes.
Grosses poutoutes
Ton Pépé.Bises baveuses de Mémé.
2. Mes grand parents chéris , 17 juin 2008, 14:55
Mon cher Frédéric
C’est ton Tonton Paul, à qui ton père vient de faire parvenir des nouvelles de toi et des tristes conditions dans lesquelles vous vous trouvez, toi et ta soeur...
Pour moi, les nouvelles ne sont pas meilleures : je croyais pouvoir m’en tirer mieux que tes parents parce-que ma retraite me permettait une maison de retraite plus chère. Je suis donc dans une "résidence" (ils appellent ça comme ça, ça fait plus luxueux) que je paie très cher, certes, mais qui a adhéré au GROUPE ORPEA*, COTE EN BOURSE.
Bien que n’ayant pas voté pour le président actuel, je vois que les choses sont encore pire que ce que je refusais. Je me rend donc compte que la majorité de ce que je donne part aux actionnaires de ce groupe. Depuis que ma "résidence" a adhéré à cet organisme, tout s’est dégradé : les aides soignants ont été harcelés et sont partis, remplacés par des flexibles et jetables, d’une mauvaise humeur bien compréhensible tellement ils sont traités comme des chiens. Il n’y a évidemment pas de matériel : ça ferait perdre de l’argent aux actionnaires qui se font du fric sur le dos des "personnes usagées", comme moi. Seul, le hall d’entrée est couvert de (faux) marbre et de dorures (d’un très mauvais goût, très "bling-bling", comme vous diriez) car c’est ce qu’on montre aux familles.
Cependant, tout ceci n’est pas très grave pour moi : je n’ai plus beaucoup de temps à passer sur cette planète. Ce même système de privatisation générale qui nous affecte tous deux l’est beaucoup plus pour toi, car ta vie est à faire.
Et je me sens si impuissant, dans mon fauteuil roulant, à empêcher toute cette casse...
Comme j’ai gardé toute ma tête, la seule chose que je puis faire, c’est de rappeler le souvenir de mes parents résistants, du temps de leur jeunesse, et des combats qu’ils ont mené pour construire tout ce qui est maintenant détruit à coups de masse sauvages et brutaux. Le "programme de la Résistance" est la preuve que les êtres humains sont capables de fraternité, de solidarité, et d’imagination. Cependant, les Resistants et les deux générations qui les suivirent ont pensé que ces valeurs avaient triomphé pour toujours, et - moi le premier - se sont quelque peu endormis.
Important, peut-être : les Résistants n’avaient pas de télévision.
Mon cher Frédéric, je vous souhaite à vous, à tous ceux qui ont leur vie à faire maintenant, d’inventer vos formes de résistance, et de les mettre en oeuvre vite. Parce-qu’un dictature qui ne dit pas son nom, qui le déguise au contraire en celui de "démocratie", s’installe à pas feutrés. Ton cousin m’a écrit que 600 prisons étaient prêtes aux USA pour y enfermer les opposants au régime.
Prenez donc soin de vous, et tenez compte, dans vos luttes, du fait que nous ne sommes plus en démocratie.
Les souffrances de ma vieillesse ne seront rien si je peux entrevoir une lueur d’espoir que les jeunes générations vont se lever, pour triompher de l’infâmie qui s’abbat sur l’humanité. Avec intelligence, imagination, et prudence. Ce dont je vous sais aussi capables que ne le furent vos "vieux".
Je vous embrasse, et vous ferai parvenir ce courrier par ton cousin : ici, je ne suis pas sûr qu’il serait posté.
Tonton Paul
*ORPEA : http://linsubversible.blog.lemonde....
3. Mes grand parents chéris , 17 juin 2008, 20:03
Cher Frédéric,
Je suis Adeline, la copine de ta soeur Elsa qui a eu la gentillesse la semaine passée de m’inviter à un petit goûter chez vous. Je suis très contente que tu aies réussi à choisir ta voie. Moi, de mon côté, férue de handball, je voulais intégrer la section "sport-études" au lycée, mais comme mon dossier scolaire présentait des faiblesses dans quelques matières, le proviseur a rejeté ma demande. La conseillère d’orientation m’a dit qu’il valait mieux que je m’investisse dans un métier d’avenir comme la vente, parce que dit-elle, il y a de l’avenir dans ce secteur, il faut écouler toutes les marchandises qui sont fabriquées en Chine, au Pakistan ou en Inde, parce que c’est là-bas qu’il y a pratiquement toutes les industries, qui n’existent plus chez nous. La conseillère m’avais proposée auparavant d’apprendre un métier dans le BTP, mais j’avoue que je ne me vois pas monter des murs de briques pendant 10 h chaque jour, je suis sportive mais tout de même, faut pas pousser "mémé dans les orties".
C’est comme maman, elle a voulu reprendre le travail après nous avoir élevés mes frères et moi. La dame de l’ANPE lui a dit qu’elle ne pouvait plus avoir une mise à niveau dans son ancien métier, le secrétariat, parce que le gouvernement venait juste de supprimer les subventions pour la mise à niveau en bureautique. Maman a demandé pourquoi ? La dame lui a dit que c’était bouché. Alors maman lui a demandé quelles étaient les formations aidées, la dame lui a répondu qu’il y avait du travail dans le BTP (tu parles à 50 ans !), la vente (le dimanche très peu, c’est pour la famille), et l’aide à la personne âgée. Elle lui a même proposé un CDD de 20 h par semaine payé 400 euros par mois. Maman a dit non, vu que l’essence était trop cher. Alors elle a demandé "et en couture, il y a une possibilité ?". La dame a dit que non hélas, car pour en bénéficier il aurait fallu avoir travaillé au moins 12 mois avant l’inscription au chômage.
Maman est repartie perplexe ! Tout le monde lui avait pourtant dit qu’une mère de famille de trois enfants avait des facilités pour retrouver un emploi !
Qu’à cela ne tienne, maman, obstinée comme elle est, a décidé d’emprunter les chemins de traverse, elle a donc téléphoné au "Syndicat de l’habillement" à Paris et le monsieur très gentiment, lui a rétorqué qu’il n’existait pas de formation en couture accessible aux adultes, à cause de la disparition de l’industrie du textile dans notre pays liée à la concurrence et à la délocalisation. "C’est une catastrophe" a-t-il dit. "Maintenant, si on voulait réintroduire cette formation, il faudrait faire appel aux couturières âgées de 80 ans, les seules détentrices de ce savoir-faire !"
Alors, maman toujours aussi perplexe s’est tournée vers le travail saisonnier. Elle a fait les vendanges, du 11 h par jour en moyenne avec des pointes à 13 h, convoquée tous les matins à 7 h 45, prête à l’attaque des rangs de vigne, mais comptabilisé qu’à partir de 8 h, donc un 1/4 d’heure offert chaque jour au château. Heureusement que le repas du midi englouti en 30 mn seulement était offert, pour mieux repartir regaillardie à la table de tri jusqu’à la tombée du jour. Là-dessus, les heures supps défiscalisées sont arrivées, permettant à maman d’avoir un smig en 11 jours, mais à quel prix, un vrai zombie le soir ! Elle dit que faire 13 h par jour, c’est criminel, parce que c’est accélérer l’usure de la personne, et en même temps, il n’y a pas la possibilité de tout concilier, travail, famille, loisir !
Après cette expérience, maman a voulu déposer sa candidature comme technicienne de surface (enfin, plus simplement connu sous l’expression moins moderne de femme de ménage) dans un lycée hôtelier. C’est une collègue de la vigne qui lui avait donné le tuyau. On embauchait en CDD renouvelable, sur une durée de 2 ans maximum, et pour 4 h par jour, en suivant le rythme scolaire. A défaut de mieux, maman s’est faite à cette idée. Mais voilà quand elle a contacté la chef du personnel, cette dernière a refusé sa candidature, au prétexte que toute CAE (contrat d’aide à l’embauche) ne s’appliquait qu’aux chômeurs de plus de 6 mois.
Alors, maman commence à s’inquiéter sérieusement. Elle voit le temps passer, sans perspectives d’emploi. Elle regarde aussi le nombre d’annuités qu’il lui reste à acquérir pour avoir le minimum retraite. Elle se dit qu’elle n’y arrivera jamais parce que, pas de chance, l’état vient d’augmenter la durée d’annuités à 41 ans dès 2012. D’après ses calculs, elle a découvert effarée, qu’elle pourrait partir à la retraite, au mieux à 67 ans, et au pire... tout dépend du travail disponible, maintenant que les patrons pourront imposer 65 h par semaine ! Bruxelles a même dit que c’était une « avancée sociale » ! Force est de constater que du travail il y en aura encore moins.
Maman dit qu’elle n’est pas sortie de l’auberge avec un gouvernement aussi contrariant ! Elle veut même se syndiquer, même si elle est chômeuse, parce que dit-elle "il y a des limites à tout, ces gens-là qui nous mettent dans la m., ne l’emporteront pas au paradis". La moutarde lui monte au nez, c’est mauvais signe ! Il y a du rififi dans l’air. Avant maman manifestait avec nous quand on était petits pour soutenir l’école publique, maintenant elle va à toutes les manifs du public et du privé, parce qu’elle dit qu’elle se rend bien compte que tous les salariés sont floués d’une façon ignoble ! Elle me consulte même pour vérifier si les définitions des mots n’auraient pas changé. Elle vient de se rendre compte que les expressions de gauche, rassurantes pour les citoyens avaient été usurpées pour être détournées, remodelées à la sauce bruxelloise comme par exemple, les fameux 65 h par semaine qui seraient une « avancée sociale » ! « Tu parles Charlie » !
Alors tu vois Frédéric, j’ai l’impression qu’il va falloir s’inventer notre avenir, parce que si nos grands-parents se sont battus pour éclairer le parcours, pour le rendre plus doux, plus agréable, eh bien nos parents commencent à trébucher, et je te dis pas, nous c’est la brousse qui nous attend, voire la forêt amazonienne, avec tous ses dangers et ses obstacles. Nous n’avons pas fini d’être piqués, mordus, flagellés, entravés, bloqués, contrariés. Le parcours ne sera pas rectiligne. A moins que tous ensemble nous en décidions autrement. C’est ce que maman nous souhaite vivement.
A très bientôt, cher Frédéric. Pense à réserver ton vendredi soir pour une soirée tarot chez moi avec Elsa et mes frères. J’ai une petite surprise pour vous. Bises. Adeline.