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Mireille Nicolas : petit dictionnaire pour servir à une approche de mon Haïti

Publie le mercredi 11 août 2004 par Open-Publishing
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de Mireille Nicolas

A : Aristide n’est pas un politicien. Ou bien : Aristide est devenu trop politicien. En tous cas, ce n’est pas un homme politique ; il s’est fourvoyé, entêté dès 1991 ; et ensuite, il n’a pas voulu changer de cap ; il s’est surestimé, ce qui n’est pas une preuve d’intelligence ; et puis, c’est un prêtre défroqué…

Voici un maigre aperçu de ce que les journaux français n’ont cessé de nous imposer, la dernière critique chariant sa charge de maléfice et devenant pour certains la preuve d’une personnalité sournoise (Voir plus bas le mot : Prêtre). Certains l’ont accusé aussi de vouloir mener le pays comme une paroisse, etc… Et ceci n’est rien ; les diffamations ont été sans fin et parfois d’une telle gravité que le Président a porté plainte en France et aux Etats-Unis.

Quel est l’homme politique qui ne reçoive constamment, et de tous bords, de son propre parti, même, des critiques ? La richesse de la démocratie est dans cette possibilité ; la démocratie est le continuel dialogue, la perpétuelle opposition entre des points de vue et des enjeux différents

A Paris, le 28 mars 2004, toute l’après-midi, il y eut une réunion, au 177 de la rue Charonne, dans le XIéme arrondissement ; partisans et opposants du Président Aristide étaient là pour s’opposer à la même réalité pourtant : le coup d’Etat du 29 février qui avait mis à la porte de son propre pays le Président qu’ils défendaient ou qu’ils critiquaient. Monsieur Kerns Fleurimond menait, avec d’autres personnalités, cette réunion ; elle était intéressante parce qu’après le lynchage médiatique contre Aristide, il y avait là une façon nouvelle, complexe, en tous cas, de voir les choses. Tous les journalistes des grands journaux de la capitale avaient été invités ; il n’y avait pas dans la salle un seul de leurs représentants. Cela fut souligné ; tout le monde, lavalassiens et anti-lavalassiens, le déplora.

Peu nombreux étaient les « Blancs » ; en haïtien, le mot a deux sens : il indique, certes, la couleur mais signifie aussi « étranger » ; je ne sais si les étrangers à Haïti étaient nombreux ce jour-là ; en tous cas, des autres, nous étions vraiment peu ; et l’ensemble de l’auditoire pensait si fort qu’Haïti avait été malmenée par la presse française qu’on se mit à entendre certaines remarques déplorant le racisme ; une fois de plus à bon ou mauvais escient, cette notion intervenait ; et moi aussi j’en suis persuadée, hélas ; je ne peux m’empêcher de croire que certains journalistes ne se sont permis des moqueries indignes de leur mission, par exemple sur le physique du Président Aristide, que parce qu’il est noir et issu de la classe populaire ; ils ont fait en sorte, par leurs remarques déplacées, de multiplier en France, des attitudes de rejet et de dégoût tout à fait surprenantes dans un débat qui ne devrait être qu’intellectuel.

B : Black-out : On appelle de ce nom en Haïti les coupures d’électricité qui peuvent parfois durer plus d’un jour ; pendant le coup d’Etat de 1991*, il souligna encore une fois la disparité de fortune entre les différentes classes sociales en Haïti ; une génératrice achetée aux Etats-Unis, et c’est pour les heureux propriétaires, la lumière assurée, pendant que les autres, dans le noir, craignent encore plus les agressions. Ce n’est pourtant pas de ce black-out là que je voudrais parler ; mais d’un tout autre, métaphorique, qui consiste à laisser dans l’obscurité ce qu’il faudrait divulguer.

Un étranger arrive en Haïti, la misère et l’inorganisation le surprennent immédiatement ; mais les injustices durent depuis si longtemps qu’elles sont comme le tissu même de cette société ; et les classes aisées ne les remarquent plus ; ou, bien pis, s’insurgent quand on veut les détruire. Pour le voyageur, qui ne connaît pas suffisamment l’histoire du pays, elles sont bien évidemment l’image de la mauvaise gestion du dernier chef d’Etat ; Duvalier avait bien compris cela qui, au passage de touristes dans le port, faisait préalablement vider, par sa police, la capitale de ses mendiants ; il les enfermait quelques jours, jusqu’au départ des bienheureux passagers. Black-out sur les pauvres. Aucune explication ; bien plutôt, de la prestidigitation.

Et c’est la même prestidigitation, le même black-out, et pour des raisons semblables, qui ont amené bien des radios et des télévisions haïtiennes ou étrangères à ne pas rendre compte des travaux du gouvernement lavalassien, pour faire croire qu’il ne se passait rien de bon

« Elles ne voulaient pas faire savoir à la population ce que nous faisions », me dit, fin mars 2004, un ancien ministre d’Aristide ; « on leur présentait nos réalisations, et il y en a eu, des écoles, des centres de santé, malgré nos problèmes financiers, mais elles ne transmettaient rien ; c’est ainsi qu’on a eu l’idée des « Mardis de la Presse » ; on a acheté une heure par mardi sur toutes les télés et les radios. » ; et le ministre continue : « Moi aussi, à la presse française, j’ai essayé de dire ce que j’ai vu ; ainsi pour les manifestations à l’Université le 7 décembre 2003 ; je peux vous affirmer que c’était de la provocation payée ; j’ai essayé de le dire à la presse française ; et conclusion, rien, juste un entrefilet est passé dans Le Monde où on me demandait pourquoi la bourgeoisie ne participait pas au mouvement des festivités de 2004. »

Chimères : « Le comble, c’est que ce sont les plus pauvres qui lui restent fidèles »… Quand j’ai entendu cette phrase d’un journaliste à la radio, je me suis dit qu’il ne devait guère s’être renseigné pour l’affirmer. C’est méconnaître la société haïtienne et l’histoire de ces dernières années ; c’est aussi avoir fermé les yeux sur les massacres contre les Lavalassiens après le départ forcé du Président Aristide ; celui-ci voulait très sincèrement détruire l’ignoble misère imposée à son pays et les habitants des bidonvilles lui restent fidèles ; la communauté internationale a fait semblant de ne pas comprendre que le gouvernement en place était plein d’une bonne volonté évidente mais qu’il manquait de possibilités matérielles et techniques ; les instances américaines, elles, le savent bien qui, dès 2000, sous des prétextes divers, ont refusé leurs prêts et, sous le prétexte de libérer le pays des « chimères »* ont, en mars 2004, comme en 1991, décimé les quartiers populaires.

Mais qui sont ces « chimès » si diabolisés par les media traditionnels, comme ils l’avaient fait jadis pour le « fellagha » et le « viet » ?

En créole haïtien, chimérique veut dire en colère.

Quand Aristide a commencé sa vie religieuse, se sont créùs des comités de quartier et des TKL, Ti Komité L’église ; ils régénéraient une tradition populaire ancienne, celle du Koumbit, ou combite (voir à la lettre K.) ; à ce moment, au milieu des années 80, ils ne purent se construire qu’avec l’aide des églises liées à la théologie de la libération. Le coup d’Etat de 1991 les détruisit ; ce sont les comités de quartier qui ont réalisé les fresques qui partout dans le pays ornaient les murs et prouvaient la montée de la démocratie.*

Et ce sont ces mêmes comités de quartiers qui furent les premiers massacrés par la répression ; le commandant Raoul Cédras organisa alors des troupes de « zenglendos » à sa solde et qui terrorisaient les habitants des bidonvilles ; des Etats-Unis furent renvoyés des délinquants, criminels d’origine haïtienne, sortis de prison et lâchés sur leur sol natal ; ils arrivaient entravés dans les avions puis étaient remis anonymement dans la foule, riches de leurs expériences carcérales, de leur implication dans la drogue et les armes.

Quand Aristide a repris la présidence en octobre1994, ces pratiques continuèrent à l’insu du pouvoir en place ; des repris de justice haïtiens sortaient des geôles américaines et, sans que le gouvernement légal en soit informé, ces hommes arrivaient incognito par avion. La communauté internationale avait parlé d’organiser la police, de la réformer, d’en faire une réelle contribution au service de l’Etat ; mais l’aide a été plus symbolique que réelle ; dans un pays qui émergeait d’années si dures, le travail de régénérescence s’avérait titanesque ; d’autant plus qu’il fut impossible au Président Aristide, surveillé par les Américains au cœur même du Palais, de faire juger les criminels du coup d’Etat ; pour pouvoir revenir, il lui avait fallu affirmer qu’il leur pardonnait ; toutes les nouvelles fresques murales le disaient, il pardonnait, le peuple pardonnait à un Cédras en larmes à ses pieds. De façon sournoise, on utilisait le prêtre pour dénier au gouvernement et au peuple, une fois de plus, le droit à la justice. Aucun jugement, une police formée à la va vite, sans instructions véritables, ni armes, ni salaire décent, des juges de paix qui souvent ne savaient pas lire et réinventaient la loi à leir guise. Et des voyous arrivés des USA et les criminels du coup d’Etat toujours bien là ; et, bien enrichis par trois ans d’un faux embargo.

Alors, ils se sont infiltrés partout et, avec l’aide de la CIA et d’une partie de l’oligarchie, ils ont continué leur travail de sape. Qui aurait pu reprocher alors à un Président de défendre la souveraineté de la démocratie en appelant à l’incorporation active de civils dans un plan de sécurité contre d’éventuelles agressions ? Et pourtant, Jean-Bertrand Aristide ne l’a pas fait ; il est honteux de vouloir comparer les « Chimès » aux tontons-macoutes ; mais, comme me l’écrit un Français, Michel Buzzoni, présent en Haïti en janvier 2004 et écoeuré par l’interprétation que la presse française a faite des événements, « ce qui est certain c’est qu’on ne meurt pas de honte en Haïti ».

Si Titid a distribué des armes, il savait à qui il les donnait ; parce qu’il savait très bien qu’on en donnait bien plus à d’autres qui n’avaient pour but que de déstabiliser, discréditer, diaboliser, anéantir un régime qu’ils haïssaient depuis le 16 décembre 1990.

Peut-on ici discuter ce qui était bon et ne l’était pas ? Peut-on regretter que les vraies révolutions ne soient plus possibles dans un monde dominé par les Etats-Unis ou par l’hypocrisie qui si souvent se cache derrière le beau mot de démocratie ?

En tous cas, parce qu’il en aurait été de même quoiqu’eût fait la jeune démocratie, cela s’est retourné contre le président Aristide, et se serait retourné contre lui de toutes façons, en tous les cas, puisque si les USA avaient pu le corrompre ou le diriger, il serait toujours en Haïti.

S’il avait accepté de privatiser les entreprises d’Etat, cimenterie, Teléco, Banque Nationale, électricité ; s’il avait accepté de fermer les yeux sur le trafic de la drogue que le grand voisin du nord apprécie tant pour financer ses campagnes militaires…Mais voilà, il n’a pas accepté et le gouvernement américain, aidé par un certain nombre d’Haïtiens de l’intérieur, a eu tout intérêt à infiltrer des « zenglendos », toujours vaillants auprès des gardes de la Présidence. Dans un pays où l’on peut acheter les services d’un jeune non conscientisé pour la modique somme de cinq gourdes, pourquoi un seul journaliste n’a-t-il pas évoqué la possibilité de provocations ? Or, elles sont certaines en ce qui concerne, par exemple, l’agression contre le Recteur de l’Université en décembre 2003.

Philippe Thureau-Dangin, dans son article En attendant l’homme important* , écrit : « Certains dirigeants croient avoir toujours raison, parce qu’ils ont face à eux des adversaires peu recommandables. Et, parce qu’ils combattent au nom du peuple, ils se croient au-dessus des institutrions légales ou même des simples contingences du pouvoir » ; et il continue en comparant Aristide à Hugo Chavez, comme Régis Debray a pu faire une comparaison entre Aristide et Salvador Allende*. Mais toute la réflexion est dans les mots « institutions légales » ; si on donne au mot de légitimité une connotation politique et éthique, la légalité n’est pas forcément légitime.
Et moi, j’en ai connu dans les rues de Port-au-Prince, de ces « chimères », de ces jeunes gens en colère, et qui avaient bien raison de l’être, car, en toute impunité, on leur volait leur rêve de vraie démocratie, comme on avait essayé déjà de l’anéantir par le coup d’Etat de 1991.

D : Drogue : De toutes les insultes que les journaux ont déversées sur le Président Aristide, celle qui a eu le plus de retentissement, c’est bien l’accusation de narco-trafic ; c’est d’ailleurs pourquoi le Président porte plainte contre Le Canard Enchaîné ; le gouvernement américain prétend d’ailleurs qu’il le jugera pour cette raison ; en attendant qu’il le fasse réellement, rappelons que la drogue existe depuis longtemps en Haïti. Déjà, pendant l’embargo de 1991, elle crée, dans le pays, vingt familles milliardaires de plus. Plus de dix ans après, l’analyse qui me paraît la plus intéressante est celle de Michel Chossudovsky, dans son article La déstabilisation de Haïti : un coup d’Etat orchestré et financé par les Etats-Unis, 4-4-2004.

Sa référence : http://www.risal.collectifs.net ; en voici des extraits, page 10 et suivantes :

« Le commerce du transbordement des drogues : Alors que l’économie réelle a été poussée à la banqueroute sous le choc des réformes du FMI, le commerce du transbordement des narcotiques continue à être florissant. Selon la DEA (Drug Enforcement Administration) américaine, Haïti reste « le premier pays de transbordement de la drogue pour toute la région des Caraïbes, il achemine d’importants chargements de cocaïne depuis la Colombie jusqu’aux Etats-Unis » ( Voir Chambre américaine des Représentants, Justice criminelle, Sous-commission sur la politique en matière de drogues et sur les ressources humaines, Transcriptions HDHC, 12 avril 2000 ).

On estime que Haïti, actuellement, est responsable de 14 pour cent de toutes les entrées de cocaïne aux Etats-Unis, ce qui représente des milliards de dollars de revenus pour le crime organisé et les institutions financières américaines qui blanchissent des quantités colossales d’argent sale. Le commerce mondial des narcotiques est estimé de l’ordre de 500 milliards de dollars.

Une grande partie de ces transbordements va directement à Miami, qui constitue également un centre de recyclage de l’argent sale en investissements « de bonne foi » par exemple en propriétés immobilières et autres activités du même genre.

Les preuves confirment que la CIA a protégé ce commerce tout au long de la dictature militaire, de 1991 à 1994. En 1987, le sénateur John Kerry, en sa qualité de président de la sous-commission sénatoriale des Affaires étrangères sur les narcotiques, le terrorisme et les opérations internationales, se vit confier une enquête importante qui s’intéressa de près aux liens entre la CIA et le trafic de drogue, y compris le blanchiment de l’argent de la drogue aux fins de financer des insurrections armées.

En 1988, le sénat américain apprit également, par le biais d’un témoignage, que le ministre de l’intérieur de l’époque, le général Williams Regala, et son officier de liaison de la DEA, protégeaient et supervisaient des livraisons de cocaïne. Le témoignage accusait également le commandant de l’armée haïtienne à l’époque, le général Henry Namphy d’avoir accepté, au milieu des années 80, des pots-de-vin de la part des trafiquants colombiens en échange d’autorisation d’atterrissage.

(…) Haïti non seulement reste au centre du trafic du transbordement de cocaïne mais ce dernier s’est accru de façon considérable depuis les années 80. L’actuelle crise est liée entre autres au rôle de Haïti dans le trafic de drogue. Washington veut un gouvernement haïtien qui lui soit servile et qui protègera les voies d’acheminement de la drogue lesquelles vont de la Colombie, passent par Haiti avant d’aboutir en Floride.

L’afflux de narcodollars, qui reste la principale source des rentrées d’échange du pays est utilisé pour « honorer » la spirale de la dette extérieure d’Haïti et, de cette façon sert également les intérêts des créanciers étrangers.

Sur ce plan, la libéralisation du marché des échanges avec l’étranger telle qu’elle a été imposée par le FMI, et malgré l’implication pour la forme des autorités dans le combat comme le trafic de drogue, a fourni une voie bien pratique pour le blanchiment des narcodollars au sein du système bancaire domestique. Ces narcodollars, en même temps que les « envois de bonne foi » des Haïtiens vivant à l’étranger, peuvent être recyclés vers le Trésor où ils sont utilisés pour honorer les obligations de remboursement de la dette.

Haïti, toutefois, ne ramasse qu’un infime pourcentage des échanges totaux avec l’étranger concernant cette contrebande lucrative. (…) Les principales banques de Wall Street et d’Europe et les firmes de courtage boursier blanchissent des milliards de dollars en provenance du trafic des narcotiques.

Qui plus est, l’expansion des livraisons d’argent en dollars par le Système de la Réserve fédérale, y compris l’impression de milliards de dollars papier aux fins de nouer les narco-transactions, constitue un bénéfice pour la Réserve fédérale et les institutions bancaires privées qui la constituent et dont la partie la plus importante est la New York Federal Reserve Bank.( Voir Jeffrey Steinberg, Les revenus de la came atteignent 600 milliards de dollars et ne cessent de croître, Executive Intelligence Review, 14-12-2001. , http://www.larouchepub.com/2001/2848dope_money.html)

En d’autres termes, l’establishment financier de Wall Street qui joue un rôle en coulisse dans la formulation de la politique étrangère américaine, a un intérêt certain dans la poursuite du commerce haïtien de transbordement, tout en mettant en place une « narcodémocratie » fiable à Port-au-Prince, laquelle protègera efficacement les voies d’acheminement.

La manipulation médiatique : Au cours des semaines qui ont précédé directement le coup d’Etat, les media ont largement concentré leur attention sur les « gangs armés » et les « hommes de main » partisans d’Aristide, sans se soucier de fournir la moindre explication sur le rôle des rebelles du FLRN. ( Les rebelles du FLRN sont extrêmement bien équipés et entraînés. Le peuple haïtien sait qui ils sont. Ce sont les Tontons macoutes de l’époque Duvalier et les assassins de l’ancien FRAPH.)

Les media occidentaux sont muets sur ce sujet, ils rejettent le blâme des violences sur le Président Aristide.(…)

La militarisation du bassin caraïbe : Washington cherche à remodeler Haïti en tant que colonie à part entière des Etats-Unis mais sous toutes les apparences d’une démocratie. L’objectif consiste à imposer un régime fantoche à Port-au-Prince et à établir une présence militaire permanente à Haïti.(…) La militarisation de l’île, avec l’installation de bases militaires américaines vise non seulement à accroître la pression politique sur Cuba et le Venezuela, mais elle vise également la protection du trafic de stupéfiants, lourd de plusieurs milliards de dollars qui transite par Haïti, en provenance des sites de production situés en Colombie, au Pérou et en Bolivie. »

E : Etat et coups d’Etat : C’est ainsi que se tricote depuis toujours la vie haïtienne. Le président Aristide, le 29 février 2004, a fait les frais d’un nouveau coup d’Etat. Il avait aussi essuyé le précédent, du 29 septembre 1991. Ce dernier, les preuves en ont été abondantes, avait été mené par la CIA et financé en partie par quelques membres des plus riches familles de l’île.

Ce dernier putsch du 29 février 2004 est des plus surprenants et fera sûrement date puisqu’il s’affiche aux yeux de la communauté internationale, longuement préparée auparavant par une campagne de dénigrements très dure contre le Président Aristide. Apparemment, les media français ont été particulièrement sectaires ; je n’ai vu que dans Le Courrier International des articles qui voulaient rendre la complexité des événements et qui cherchaient la présentation d’une autre interprétation des faits.*

Heureusement que grâce à Internet, une autre presse s’est vite en place.

F : Fanmi Selavi, Fanmi Lavalas…

Tout le monde en Haïti connaît l’association La Fanmi Selavi ; c’était un orphelinat créé par le Père Aristide du temps qu’il n’était que le curé des bidonvilles ; un jour, il trouve dans la rue un enfant qui lui dit s’appeler Selavi. Les prénoms sont souvent d’un humour cruel dans ce pays ; il faut imaginer, cette fois-ci, une mère, dépassée par les événements et une progéniture déjà fort nombreuse ; et avec un fatalisme impuissant elle dit : « C’est la vie » ; l’enfant devient « Selavi ». Pour les enfants des rues, les petits garçons en tous cas, le père Titid créa l’ orphelinat La Fanmi Selavi le 20 juillet 1986. Les petites filles, elles, ne sont pas, ou c’est très rare, enfants des rues ; elles deviennent plutôt des « restavek », sortes de petites esclaves dans des familles d’adoption qui souvent les emploient au-delà de leurs forces.

Ainsi Selavi prêtera-t-il son prénom à l’association ; et « Fanmi », pour honorer une institution bien dégradée dans ce pays où les négriers ont pris l’habitude de détruire tout lien de parenté et d’amener chez les hommes une absence de responsabilité paternelle.

Le père Aristide a consacré beaucoup de temps à cet orphelinat ; devenu président, il a créé La Fondation Aristide, qui reçoit filles et garçons ; aussi quand, dans l’émission d’Arte en avril 2004, il est si ridiculisé quand lors des fêtes de Noël, il distribue un ballon à chacun de ces enfants, j’ai trouvé ce documentaire très biaisé et injuste ; rien ne disait qu’il était dans le local de La Fondation, et cela changeait tout à la perception qu’on pouvait avoir de ce moment. Ce n’était pas un chef d’Etat distribuant des jouets aux enfants de ses fonctionnaires comme ont la coutume de le faire les présidents français ; mais celui qui a créé cet orphelinat et qui continue de l’entretenir qui s’adressait à des enfants qu’il éduque, aidé effectivement par des assistants.

Même sensation d’injustice quand Laënnec Hurbon commente le nom donné au parti du président Fanmi Lavalas.*

Méprisant l’affection pour le mot « famille » que Jean-Bertrand Aristide a depuis la rencontre avec l’enfant Selavi, Laënnec Hurbon donne au mot une connotation toute européenne qui n’a absolument pas de place dans le vocabulaire haïtien : « Il appelle son parti « Fanmi », c’est une sorte de « causa nostra » dont il est le Parrain » !

G : Gouvernement. Aucun gouvernement en Haiti n’a tenu longtemps, sauf celui des Duvalier, père et fils, soutenu notamment par la France et les Etats-Unis d’Amérique.

Je venais d’arriver en Haïti, une deuxième fois, en 1988, quand un vieil homme, sur le bord d’une rue des Gonaïves me dit, quand il sut que j’étais Française : « La France est une poubelle ». La France avait accepté Baby Doc, elle était donc une poubelle.

La tradition démocratique n’a jamais eu le temps de s’ancrer dans ce pays. Et le plus extraordinaire, le plus révoltant, aussi, c’est que les deux derniers coups d’Etat menés contre ce petit pays qui avait élu démocratiquement un président, viennent d’abord des USA puis, pour le dernier, des deux puissances qui se targuent d’être les championnes des Droits de l’homme, France et USA.

Puisque les démocraties ont sécrété toutes sortes de lois pour toutes sortes de cas, pourquoi ces démocraties-là n’auraient-elles pas pu imaginer une nouvelle élection ? Ou un referendum ? Ou un jugement puisqu’elles n’ont pas été avares de trouver des motifs de culpabilité au Président Jean-Bertrand Aristide ?

Elles s’en sont bien gardées !

Car elles savent bien, malgré leur matraquage éhonté de diabolisation et de dénigrement, que, s’il en avait été ainsi, c’est toujours la majorité qu’il aurait obtenue, le Président ; les troupes arrivées du Nord ont mis assez de temps pour tuer et tuer encore dans les bidonvilles, pour qu’on sache, à ce simple macabre comptage, combien étaient toujours nombreux les lavalassiens. La France et les U.S.A. savent très bien cela ; mais pas les citoyens de ces pays qui, en toute bonne conscience, essaient, de chez eux, de se tenir informés des choses du monde..

Voici donc un nouveau mensonge français. Et cela est bien décevant.

H : Haïti est la terre des grandes premières mais aussi celle des injustices ; une fois de plus en ce début d’année 2004, elles vont de pair.

Or, ce qui compte, c’est d’avancer sur le chemin de la vérité ; c’est pourquoi il faudrait revenir aux élections législatives de 2000. C’est pour avoir décidé qu’elles étaient truquées ou malhonnêtes, que les USA les ont délarées controversées et ont fermé leur aide financière à Haïti, ce qui équivalait soudain à un véritable embargo, et à acculer le gouvernement lavalas*

D’autres voix s’élèvent pour dire que ces élections ont été très correctes ; même Colin Powell l’a dit en son temps mais les critiques sont parties de là pour déstabiliser un homme que le gouvernementn américain pensait pouvoir plier ; il est vraisemblable qu’Aristide n’a pu revenir finir son mandat en octobre 1994 que parce que les Américains ont cédé à la poussée internationale et surtout au Black Caucus*. Peut-on imaginer qu’ils l’ont ramené sans contrepartie ? Difficile ! Et si Aristide, réélu en 2002, avait refusé de se plier aux diktats ? Des manœuvres occultes et répétées n’ont-elles pas cherché constamment à destabiliser une société déjà si fragile ? Voici ce que m’écrit, le 7 juillet, Michel Buzzoni qui connaît bien le pays et y réside fréquemment : « Tous les moyens ont été employés pour déstabiliser le gouvernement Aristide. Par exemple à l’automne 2002, en Haïti, une rumeur : le gouvernement va transformer les comptes bancaires de dollars U.S. en gourdes ! En quelques jours, plus de cent millions de dollars seront retirés, malgré les démentis des autorités et des directeurs de banques. Résultat : la gourde passe de 28 pour un dollar à 45. En même temps, des rumeurs adroitement distillées : la femme du Président a déjà quitté le pays avec ses enfants, et un avion américain a atterri en pleine nuit, des émissaires de Bush qui seraient allés à Tabarre, la résidence des Aristide, sommant le Président de quitter le pays dans la semaine, sinon ils sortaient des dossiers compromettants sur la drogue ; et Aristide aurait accepté, en échange de 50 visas pour ses proches. C’était en octobre 2002. Oui, je suis certain que l’opposition est à l’origine de cette rumeur qui a tant fait de mal ; de la vie chère, on est passé à la vie très chètre ! Et devant la hausse vertigineuse des prix, les opposants machiavéliques diront au peuple : « Allez demander à Titid ce qu’il peut faire pour vous ». Ce qui est certain, c’est que l’on ne meurt pas de honte en Haïti. »

I ; Indépendance : « C’est un vrai crime de la part d’Aristide de faire croire aux Haïtiens qu’ils peuvent continuer à être un peuple indépendant ; Haïti n’a ni les ressources humaines, ni les ressources tout court, pour continuer dans la voie d’une indépendance ; il faudrait que le pays comprenne qu’il doit entrer dans la communauté internationale ; le mieux serait par le biais d’un protectorat canadien, français ou nord-américain. »

Ces phrases, je les ai entendues de la bouche d’Alexandre Adler, un matin, sur France-Culture ; je n’en ai pas relevé la date, fin février probablement ou début mars 2004. J’aurais voulu qu’Adler explique pourquoi celle qu’on appelait La Perle des Antilles a du mal à être économiquement indépendante ! Toujours, dans les medias français de cette époque, ces nouvelles tronquées, donc biaisées, qui privent l’auditeur d’une meilleure compréhension de la situation. En écoutant Alexandre Adler, me revint un souvenir de l’été 1994, quand je visitai pour la première fois le musée de La Rochelle. La conférencière, devant une maquette, nous avait vanté l’évolution de la ville et comment, après des difficultés au Moyen-Age, elle avait su prendre un tournant remarquable J’attendais, muette ; une sorte de haine faisait une boule au fond de ma gorge, et je guettais les mots, qu’aucun ne m’échappe, qu’il y en ait un au moins qui sache rendre hommage à la source véritable de l’amélioration de cette ville ! Dans la bouche de notre guide, cela vous prenait des allures morales, vertueuses, comme on loue une personne d’un certain âge, d’être toujours belle et en bonne santé, parce qu’on la gratifie de l’effort d’avoir choisi son hygiène de vie.

A la fin de la conférence, je m’efforçai à une voix posée et calme, celle d’une petite touriste consciencieuse, rien de plus ; et qui s’applique à parler en public, et je demandai si la cause du rétablissement spectaculaire de la ville, son progrès, n’étaient pas dûs aussi à l’esclavage avec les Antilles et surtout à la richesse du sol haïtien…

Tout le monde me regardait fixement ; je repensais à ces XVII et XVIII émes siècles français fabuleux, à ce foisonnement d’idées, quand des philosophes commencèrent dans leurs écrits à s’indigner de la Traite pendant qu’ici, à La Rochelle, en même temps que les esclaves, des familles faisaient partir tout leur linge à laver vers la Caraïbe, car cela revenait moins cher que d’employer des servantes locales.

La délocalisation, déjà, la mondialisation, déjà…

Des ballots de linge sale envoyés dans les cales des bateaux en partance pour Haïti, et qui reviendraient lavés, blanchis, pliés, odorants vers les ports français de l’Atlantique, dans le doux pays de France.

La conférencière avala deux ou trois fois sa salive et me répondit : « Oui, il ne faudrait pas oublier l’aspect de l’esclavage ; on pense à refaire le texte de présentation ».

Peut-être qu’un jour Alexandre Adler y veillera-t-il aussi.

J : Justice. C’était la plus grande revendication des Haïtiens qui avaient voté pour Aristide le 16 décembre 1991. Pourquoi aucun journaliste français, présentant Haïti au début 2004 n’a-t-il montré l’injustice qui a suivi cette période ? Sept mois d’un gouvernement démocratique et la CIA aidée de l’oligarchie haïtienne et des barons du duvaliérisme s’empare du pouvoir pendant trois ans.*

Je voudrais ici parler d’un fait bien moins connu et qui concerne la période du retour du Président Aristide et la fin de son premier mandat, octobre 1994-décembre1996.

Le coup d’Etat de 1991 soulignait encore une fois, si c’était nécessaire, la division de la société haïtienne ; le coup d’Etat n’était pas une guerre civile, mais il en montrait certains aspects, le clivage était net ! Il aurait donc fallu, au retour d’Aristide que soient jugés ceux qui avaient participé à la tuerie et à la ruine de l’espoir. Or, il ne put y avoir de jugement ; dans les peintures murales qui couvrirent une fois de plus le pays, le thème du pardon revenait sans cesse ; on voyait Cédras aux genoux du Président et Titid lui pardonnait ; je suppose que ça devait enchanter tous ceux qui pensaient Aristide mauvais car il était « revanchard »* Mais comment une nation peut-elle se constituer si on ne juge pas les actes visiblement blamâbles ? Quant aux Américains qui ramenèrent le Président pour l’aider ou pour le surveiller, ils n’hésitèrent pas à louer les maisons que Cédras avaient laissées en fuyant et n’oublièrent pas de lui envoyer chaque mois en dollars, un loyer conséquent, car, quoique Haïti soit très pauvre, il y a de très belles maisons aux loyers fort chers.

K : Koumbite : Le drapeau haïtien, créé le 18 mai 1803, porte en devise : L’Union fait fait la force

Aux lendemains d’une guerre d’indépendance difficile qu’aucune des grandes puissances de l’époque n’accepta de gaîté de cœur, ceux qui essaient de construire un Etat se heurtent à la désunion profonde des Haïtiens. Les maîtres dans les cales négrières avaient mélangé les ethnies pour que les esclaves ne puissent se comprendre ni s’entendre ; dans un pays où, rapidement, les maîtres étaient bien moins nombreux que les esclaves, tout était mis en place pour que la jalousie et la haine consolident leur propre sécurité ; comment créer une nation quand aux premières difficultés on déchoucke, on dépose, on déracine, on fait un coup d’Etat au lieu d’utiliser les moyens fournis par une remarquable Constitution, mise en place, cependant, après la chute de Duvalier ?

Mais il est, cependant, une tradition du peuple paysan, le Koumbite, ce que les Guadeloupéens appellent « le coup de main », tradition d’entraide et de solidarité qui permet de répéter la devise du pays « L’union fait la force » ; phantasme du rêve d’une société qui n’a pu encore se donner les moyens de le réaliser.

L : Louverture Toussaint ; en quittant de force Haïti le 29 février 2004, le Président Jean-Bertrand Aristide a redit la phrase célèbre de Toussaint Louverture : « En me renversant, on n’a abattu à Saint-Domingue que le tronc de la liberté des Noirs, il poussera par les racines car elles sont puissantes et nombreuses. »

Capturé par traîtrise par les troupes napoléoniennes, Toussaint est expédié en France et emprisonné à Fort-de-Joux ; il y meurt le 7 avril 1803, un an après ; il n’avait cessé de demander une rencontre avec Napoléon.

Les media se sont moqués du président Aristide qui a cité cette phrase quand il a été forcé de quitter le pouvoir, sous la pression des Etats-Unis et de la France. Souvent la moquerie et ce goût si français, dit-on, du mot d’esprit l’ont emporté, dans les journaux surtout, sur la recherche de la vérité ou le devoir de présenter la complexité de la situation et des points de vue différents. Quand Le Canard Enchaîné titre Aristide, macoute que coûte*, certes c’est un jeu de mots, mais, non seulement c’est une faute déontologique grave, personne de sérieux ni de renseigné ne peut assimiler Aristide aux Duvalier, mais en plus, c’est la preuve d’une méconnaissance extrêmement grave de la part de spécialiste de l’information de la société haïtienne. En France, parce que la démocratie est solidement implantée, parce que depuis longtemps, la gauche a humanisé la droite et que la droite a fait perdre à la gauche son doux idéalisme des utopies, il y a plus ou moins un consensus de solidarité ; en tous cas, tout le monde se présente - ou se cache - en prétextant respecter les mêmes grandes valeurs humaines ; et c’est pourquoi on peut, à la rigueur, se prêter aux plaisanteries sur des sujets fort graves ; ce n’est toujours pas le cas en Haïti, où j’ai vu des gens sabler le champagne dans leur piscine le lendemain du Coup d’Etat de 1991 et où j’ai entendu, une dame qui se prenait pour l’élite me dire sérieusement à la même époque qu’elle n’aimait pas les socialistes parce qu’ils ont toujours l’air de penser que Dieu n’a pas bien fait les choses.

M : Medias Les Media français ou le lynchage médiatique du Président Aristide. Je ne prétends pas avoir pu tout suivre ; mais à de toutes petites exceptions près, il fut total. Un procès en règle, dans un tribunal virtuel où il n’y aurait ni le condamné pour pouvoir réagir et donner son point de vue, ni d’avocat de la défense, ni jury pour délibérer. Tout était tranché d’avance. Pourquoi ? Pourquoi cette prise de position française ? Je dis bien française, et j’ai pu m’en rendre compte dès que, sur Internet, j’ai vu que je ne m’étais pas trompée dans mes premières convictions !

Si Alexandre Adler, avec superbe, un matin, dans son billet, sur France-Culture, se donnait le droit de maintenir ou de ramener les pays de la Caraïbe dans leur premier giron colonial, le 10 janvier, France-Culture, et c’est une telle exception que je veux ici la saluer, alors que tout le monde prétendait que tous ses ministres avaient lâché le Président, France-Culture donc, donnait la parole à Lilas Desquiron, sa ministre de la Culture. Quel bonheur d’entendre cette voix que je reconnaissais, qui n’avait pas trahi et qui donnait enfin une lecture différente de toutes celles qui, s’enchaînant les unes les autres, nous avaient rebattu les oreilles.

S’il est difficile de pouvoir cerner un peu de vérité dans les grands débats de fonds, dans les luttes idéologiques, il y a cependant des vérités concrètes qu’on peut vérifier. Il est une erreur et sa vérification que je n’oublierai jamais. Libération venait d’écrire dans son quotidien du mardi 23 mars 2004 quelques lignes sous le titre Le Nigeria accueille Aristide, qu’il avait quitté la Jamaïque,etc…quand j’arrivai chez Lilas Desquiron que j’avais enfin retrouvée après plus de deux mois de recherches

Elle rit ; et sa belle voix grave me dit :

« Tu vas voir comme le Nigeria l’accueille ! »…Quelques secondes, et au bout du téléphone, Aristide, Titid, lui-même, calme, sa voix douce et basse m’encourageant à lutter contre les mensonges et le néo-colonialisme toujours virulent, et qui assurait bien qu’il ne partirait pas pour le Nigeria ; ce serait pour l’Afrique du Sud ; cela, il l’accepte, car il est l’ami de son président. Aujourd’hui, le président Aristide s’y trouve et il y a été reçu avec les honneurs dûs à un président légalement élu, légitimement au pouvoir.

J’ai cité ici un des exemples des erreurs notées dans les journaux et facilement évitables par un journaliste qui se donnerait vraiment la peine de travailler. Elles furent très nombreuses ; mais le Président lui-même n’a décidé de porter plainte que contre Le Canard Enchaîné ; Maïtre Collard le défendra en France. Le Canard demande en une pirouette finale : « La plainte sera-t-elle retirée ? »…Non, j’espère bien que non, et Haïti, ainsi, présentera une fois de plus une première : quelqu’un qu’on accuse d’être dictateur et qui porte plainte au lieu de se taire ou d’agir sournoisement, comme on en a usé avec lui !

D’ailleurs, les critiques contre les medias traditionnels arrivent de toutes parts ; citons encore une fois Michel Chossudovsky, page 12 de son article : La déstabilisation de Haïti : un coup d’Etat orchestré et financé par les Etats-Unis. « La manipulation médiatique : (…)Les medias occidentaux rejettent le blâme des violences sur le seul président Aristide. Quand ils apprennent la nouvelle que l’Armée de Libération est composée d’escadrons de la mort, les medias se refusent à examiner les implications plus larges de leurs prises de position et s’abstiennent de dire que ces escadrons de la mort sont une création de la CIA et de la DIA ( Defense Intelligence Agency).

(…) Il n’y a rien de spontané ou d’ « accidentel » dans les attaques rebelles ou dans l’ « alliance » entre le chef des escadrons de la mort Guy Philippe et Andy Apaid, propriétaire du plus important bagne industriel de Haïti et dirigeant du G-184.

(…) Tant les forces armées que leurs contreparties civiles « non violentes » étaient impliquées dans le complot visant à renverser le président. Le dirigeant du G-184, André Apaid, était en rapport avec Colin Powell durant les semaines qui ont précédé le renversement d’Aristide. Guy Philippe et « Toto » Constant ont des liens avec la CIA. Il y a eu des signes permettant d’établir que le commandant rebelle Guy Philippe et le chef politique du Front révolutionnaire de Résistance Artibonite, Etienne Winter, était en liaison avec des officiels américains. ( Voir BBC, 27 février 2004, http://news.bbc.co.uk/2/hi/americas/3496690.stm)

Alors que les Etats-Unis déclaraient à plusieurs reprises qu’ils allaient soutenir le gouvernement constitutiionnel, le remplacement d’Aristide par un individu plus docile a toujours été à l’ordre du jour de l’administration Bush.

(…) Inutile de dire que les media occidentaux n’ont pas le moins du monde analysé le contexte historique de la crise haïtienne. Le rôle joué par la CIA n’a même jamais été mentionné. La prétendue « communauté internationale » qui se prétend tellement soucieuse d’un gouvernement légal et de la démocratie, a fermé les yeux sur les massacres de civils par une armée paramilitaire soutenue par les Etats-Unis. Les « chefs rebelles », qui étaient les dirigeants des escadrons de la mort du FRAPH dans les années 90, sont actuellement soutenus par les medias américains comme étant des porte-parole de l’opposition dont la bonne foi ne peut être mise en doute. Dans le même temps, la légitimité de l’ancien président élu est remise en question parce qu’on prétend qu’il est responsable d’une « situation économique et sociale qui ne cesse d’empirer ».

Je ne veux pas finir ce chapitre consacré aux media sans citer une partie de la conclusion que Michel Buzzoni donne à son excellent recueil de souvenirs, en mars 2004, J’étais en Haïti au côté du Président Aristide : « Mais ne nous laissons pas porter par la désinformation, et regardons les choses telles qu’elles sont. Alors que les U.S.A. et la C.E.E. ont bloqué l’aide au développement pour le pays, le gouvernement haïtien a néanmoins réalisé d’importants travaux de 2001 à 2003 : construction de nouvelles routes autour de l’aéroport ( véritables tronçons d’autoroutes), réfection de la route nationale N°1 et de bien d’autres, aménagement de plus de cinquante places publiques, de nombreux marchés, réabilitation du port de cabotage de la Cité Soleil, construction de plusieurs ponts, d’établissements scolaires (écoles, lycées), de l’Université de Tabarre ( le plus gros chantier), construction de l’Hôpital Universitaire de la Paix ( Delmas33 ) récemment inauguré, rénovations de maternités dans huit hôpitaux publics, construction de logements ( plus de 1500 pour les petits employés de l’Etat)…En outre, subventionnement à 70°/° des manuels et des uniformes scolaires ; doublement du salaire minimum de 0,70 à 1,40 euro par jour ( au grand dam des employeurs)…Et tout ce que je ne connais pas !

C’est avec le peu dont il dispose que le gouvernement a pu réaliser tout cela, ainsi qu’avec l’aide de Taïwan. Ajoutons qu’il commençait aussi, depuis quelques années à faire payer des impôts à la bourgeoisie d’affaires (aidé en cela par une compagnie consseil suisse) : une première en Haïti, qui n’a pas fait plaisir à tout le monde, et a même conduit quelques récalcitrants en prison ! »

Ce qu’un voyageur attentif a pu noter en Haïti, pourquoi des journalistes ne l’ont-ils pas fait ?

N : Nation : « Haïti, une catastrophe qui végète » ai-je entendu. Et René Depestre, écrit en parlant de 1994, et du retour du président Aristide : « Tous à nos haines fratricides, à nos haïtiâneries de proie, nous aurons manqué le rendez-vous historique de 1994, en livrant les chances d’émancipation du pays aux ornières de l’incompréhension suicidaire de soi ».

Le drapeau haïtien, créé le 18 mai 1803, porte en devise : L’Union fait fait la force. Mais la plus grande passion que partagent tous les Haïtiens, est de ne pas s’aimer. De ne pas s’aimer soi-même ; et de se détester entre eux. Depuis la Guinée, le Nègre abhore le Nègre, c’est un proverbe qui le dit. On les croit suffisants, et fiers de leur histoire au point de la ressasser au lieu d’en incurver le cours ; mais cette morgue n’est là en fait que pour cacher le mal qu’ils ont à se supporter.

O ; Oligarchie : Une partie de la société peu étudiée par les media français ; Aristide en 1991 les appelait les « patripoches » ; et des Américains osèrent parler d’ « élite moralement répugnante » ! Le mot est d’ailleurs impropre puisque s’ils ont le pouvoir financier, ils n’ont pas le politique, ce que d’ailleurs, ils n’ont jamais supporté avec l’arrivée des lavalassiens. Ne les caricaturons pas trop ; je viens d’apprendre qu’ils seraient moins riches que les riches de l’Inde par exemple, un pays où les différences sociales sont aussi fort caricaturales ! Ils sont sûrs d’être l’élite, en tous cas, et la notion d’élite compte beaucoup pour eux.

P : Prêtre : « Il était prêtre, il aurait dû le rester ; un prêtre défroqué, quelle charge négative ! Et qui s’est marié et ne veut pas quitter le pouvoir ! » Les media ont beaucoup joué sur cette caricature. Je voudrais rappeler ici que les rapports d’Aristide et de l’Eglise ont toujours été conflictuels ; dès 1986, on le bannit de l’Ordre des Salésiens

Et le conflit ne cessa de croître dans un pays où l’archevêque , Monseigneur Ligondé se permit en toute impunité, quinze jours après l’élection d’Aristide à sa Présidence, de le blâmer dans son homélie de Noël à la cathédrale de Port-au-Prince. Et quand le coup d’Etat de 1991 eut lieu, la Communauté Internationale dans son intégralité le blâma, sauf…le Vatican.

Quand Aristide revint fin 1994 en Haïti, le Vatican le déposséda de son titre religieux ; il en fut physiquement malade, tant cette punition lui côutait ; mais essayer de transformer politiquement le pays était un enjeu trop important pour y renoncer. Le Président se maria enfin avec une avocate haïtiano-américaine, Mildred Trouillot, rencontrée durant son exil à Washington.

Q : Quarantaine : On ne cesse de nous rebattre les oreilles sur la misère d’Haïti, avec des pourcentages effrayants, le plus pauvre état de l’hémisphère nord, et 50°/° d’illettrés et une mortalité digne du Moyen-Age. Les journalistes, au fond se régalent.

Preuve confirmée par un souvenir déjà ancien ; c’était en 1991, après l’élection du Président Aristide et avant le coup d’Etat qui le renversa, sept mois, où les choses allaient plutôt bien en Haïti, où l’espérance était palpable. Une de mes connaissances, journaliste, envoya un de ces articles qui feraient du bien s’ils se multipliaient davantage ; on le lui refusa ; et le refus était assez clairement circonstancié : il n’y avait pas assez de sensationnel ni de sang.

Alors les statistiques déplorables, ah, elles oui, elles plaisent. Il est seulement regrettable de ne pas expliquer davantage à quoi elles sont dues. Les causes sont multiples bien évidemment, mais elles me semblent découler en grande partie de ce qu’on peut appeler la quarantaine. Littéralement et métaphoriquement, Haïti est un pays mis en quarantaine et depuis toujours, un pays marqué du sceau de l’injustice depuis que Christophe Colomb ayant confié une nuit de trop grande fatigue son gouvernail à un mousse, celui-ci, à la suite d’une fausse manœuvre, échoua la caravelle à un point de la côte nord-ouest qu’on appela le môle Saint-Nicolas puisque c’était par une de ces merveilleuses nuits des Tropiques du 6 décembre 1492.

Le génocide des Indiens préfigure le voile que met volontairement l’Europe pour ne pas voir ce qui se passe là-bas de mal et dont elle est la cause ; viendront l’esclavage, la dette indigne entraînée par la fin de l’esclavage ; on ne veut pas reconnaître ce pays et lui reconnaître droit à la justice ; suivront d’autres abhérations de ce genre dont une des dernières me semble le refus de prêter de l’argent à un Etat démocratiquement élu, sous prétexte d’élections controversées. Tout le mal d’Haïti vient de ces quarantaines ; demi-pays, puisque le superbe royaume de la dernière cacique Anacaona ayant été divisé par les caprices des grandes puissances, Haïti ne peut même pas s’appuyer sur sa moitié d’île, qui file depuis longtemps une politique fidèle aux Etats-Unis.

R : Races : Je ne jouerai pas à M. Moreau de Saint-Méry qui passa un bon moment dans la

Caraïbe à répertorier toutes les conséquences du métissage indien, africain et européen .

Si je vais parler de races ici, c’est de races porcines, parce qu’aucun journaliste, très affairé à critiquer le sous-développement d’Haïti, n’a vraiment cherché quelles en sont une grande partie des causes.

Ce n’est pas cette fois-ci la France que nous accuserons mais les Etats-Unis ; la France, au contraire, en croisant trois races porcines a sauvé l’espèce en Haïti.

Si les bidonvilles sont aussi nombreux à Port-au-Prince, paralysant la ville et la vie quotidienne, c’est que la campagne haïtienne s’est peu à peu vidée de ses occupants, de ce qu’on appelle là-bas « le pays en dehors », les paysans, et qui longtemps, malgré leur pauvreté, ont pu vivre libres et autonomes.

Déjà l’occupation américaine des Etats-Unis leur avait été dure ; le 28 juillet 1915, les Marines débarquent et les Cacos se soulèvent en vain ; le 30 octobre 1919, Charlemagne Péralte est assassiné ; il s’était battu en héros contre cette invasion ; et le 14 août 1934 seulement s’achève l’occupation américaine ; la campagne en a été transformée, les Américains se sont approprié des terres, les ont utilisées pour une culture à outrance du café, ce qui épuisera les sols.

Et dans les années 1980, c’est l’histoire peu connue mais pourtant extraordinaire de la peste porcine ; en soi-même, une peste porcine est un événement malheureux mais pas tragique ; pris à temps, il suffit, dans les cas les plus graves, de sacrifier, au pire, le tiers d’un troupeau et tout redémarre de façon optimale ; il n’en fut rien et voici, je vais vous conter une des grandes infamies, une de plus, des Etats-Unis contre un des petits pays d’Amérique latine.

Ce sont les bateaux de Christophe Colomb qui apportèrent dans leurs cales, des porcs d’Espagne ; ils s’acclimatèrent bien et le cochon créole, noir, à la queue raide, comme son frère des Asturies, proliféra ; les Haïtiens l’utilisaient pour leur nourriture mais aussi pour le vaudou ; le fameux cochon du serment de Bois-Caïman ressemblait complètement au premier qui embarqua avec Colon ; peu à peu, il devint la tirelire des paysans et plus d’un Haïtien raconte encore maintenant comment il put aller à l’école parce que ses parents avaient vendu un de leurs cochons pour acheter l’uniforme, le cartable, et payer l’écollage.

Mais voici qu’à la fin des années 70, la peste porcine se déclare à Saint-Domingue ; il y avait alors beaucoup de vétérinaires dans ce bout d’île ; mais comme il n’y en avait que deux à Haïti, et que le grand voisin du Nord avait un cheptel dont le chiffre d’affaires était alors de quelque quarante milliards de dollars, il s’affolle ou feint de s’affoller et se lance dans une erradication forcenée en Haïti ; trois ans d’abattage systématique ; des ruses ignobles parfois et en couronnement, le tir, du haut des hélicoptères, dans les zones les plus reculées ; quand il n’y eut plus un seul petit cochon noir à l’horizon et que la paysannerie fut exangue, les Américains se persuadèrent de leur génériosité en introduisant une partie de leurs porcs que les Haïtiens, toujours pleins d’humour, appelèrent grimelles,* des porcs roses et dodus qui demandaient pour leur entretien plus que le paysan n’en avait jamais donné à toute sa famille.

Dans les montagnes, on ne peut guère surveiller les paysans ; mais s’ils n’ont plus rien, que peut-il bien leur rester à faire ? Les paysans n’avaient plus rien ; ils partirent pour Port-au-Prince. Et les bidonvilles se mirent à croître.

Hati est l’image même de notre terre tout entière ; une splendeur, « una maravilla », selon les dires de Christophe Colomb ; et on découvre toujours des restes de cette beauté, aussi surprenant que cela puisse paraître ; mais le vol, la gabegie, le crime systématiques ; et l’injustice de ne pas démêler tous les coupables au lieu d’en accuser certains seulement.

S : Solitude : Titid, espéré par des millions de pauvres les plus pauvres, comme je suis en même temps étonnée par l’ambiguité d’une certaine solitude ! Une solitude paradoxale mais facile à analyser ; les cadres ont peu à peu été amenés à s’expatrier ; ils se reforment lentement ; et ceux qui possédent le pouvoir financier n’ont pas toujours le goût du bien commun. Aux lendemains du coup d’Etat, Jean-Bertrand Aristide, exilé, essayait à Washington de créer « une banque de données humaines » pour aider Haïti à redevenir démocrate.

Il avait proposé, dès décembre 1990, quelque chose d’inouï, la transformation radicale d’un pays alors qu’objectivement, il n’en avait pas les moyens ; les critiques fusèrent tout de suite ; la plupart me parurent facilement compréhensibles ; celle qui me déplut le plus : une religieuse, vieille, pauvre, honnête, dévouée, dans un orphelinat d’un bidonville ; Haïtienne métissée, elle avait passé sa vie à soigner les misères ; elle n’aimait pas Titid car il déplaisait au Vatican ; il n’était pas dans la ligne d’une église traditionnelle. N’oublions pas que lors du coup d’Etat de 1991, la communauté internationale, du fond du cœur ou du bout des lêvres, condamna le putsch des généraux. Tous. Sauf l’Etat du Vatican !

T : Titid : Espéré par tous les pauvres d’Haïti ; adoré des uns, détesté des autres ; haï du gouvernement américain ; victime de la CIA ; incompris de la France qui a préféré jouer la carte américaine après les dissenssions de la guerre d’Irak. Un rêve, le tuer ; c’eût été en faire un héros, un mythe à la Che Guevara ; on a préféré le salir, annihiler son image.

U : Utile : « Pourquoi Aristide s’accroche-t-il ? Il pourrait être plus utile en étant près du peuple ; c’est donc bien la preuve de sa soif de pouvoir ; il devrait se dire : j’ai perdu, je redeviens citoyen anonyme, on n’a pas besoin d’entrer en politique pour être utile ; d’ailleurs il n’aurait pas dû cesser d’être prêtre »

Il n’y a pas plus aimé que l’Abbé Pierre ; certes en cinquante ans, la pauvreté n’a pas diminué, elle a même augmenté mais au moins tous les partis sont contents de lui !

V :Violence : Dimanche 29 mai 2004, émission du Bateau-Livres sur Haïti ; Frédéric Ferney a deux stéréotypes en tête qu’il a du mal à abandonner quoique les quatre invités essaient de l’y amener, Frankétienne, Yannick Lahens, Gary Victor et Lionel Trouillot. Le premier stéréotype est que la société haïtienne est d’une grande violence ; le second, découlant du premier et en forme d’étonnement : les quatre crivains présents vivent en Haïti, n’y sont pas inquiétés, eux-mêmes le disent et le répètent.

Il faut dire que les medias de toutes sortes, depuis le début de l’année 2004, se sont délectés à cœur joie avec des photos qui sous-entendaient une grande violence. La seule vraie violence, en Haïti, ce ne sont pas les cérémonies vaudou qui font beaucoup d’effet avec les possessions pas les loas ; ce ne sont pas les quelques bandes plus ou moins armées ; leurs folies, à elles, n’éclatent que périodiquement mais leurs victimes heureusement ne sont pas très nombreuses. Non, la vraie et seule et omniprésente violence en Haïti, c’est la misère mais au lieu de dresser les gens en des révolutions, elle les écrase loin dans leurs bidonvilles.

Corollaire de cette misère, les coups d’Etat ; oui, en général, ils sont sanglants, mais ils ne viennent qu’en partie d’Haïti ; celui de 1991, lancé par la CIA et ce dernier du 29 février 2004, où les USA et la France se sont mis en connivence ; et la répression contre Lavalas depuis le 29 février 2004 a fait bien des victimes

W : W et X, deux lettres impossibles… Ou De l’être impossible…

Pour beaucoup l’être impossible c’est le Haïtien, incapable depuis deux cents ans de construire son pays ; il y en a même qui prétendent qu’Haïti n’existe pas ; eh bien, j’espère que mon abécédaire prouvera que les êtres impossibles, loin d’être les Haïtiens eux-mêmes, sont bien plutôt ceux qui, sous-couvert de respect des Droits de l’Homme, ont pris le parti d’abîmer un peu plus ce pays et d’avoir la méchanceté, oui, je dis bien la méchanceté, de l’humilier l’année même du bicentaire de son indépendance, en lui imposant des armées étrangères.

X :Voir à W.

Y : Yoyo : ou les relations de la France et d’Haïti.

Pourquoi diable, la France s’est-elle alliée aux USA pour déposer le président élu, ou comme aiment à le dire les media et aimaient déjà à le dire les macoutes du précédent coup d’Etat, « le président déchu » ?

Le bruit court que les gouvernements français et américains se sont servis d’Haïti comme pomme de concorde, après tous les tiraillements suscités par l’Irak… Il est vrai aussi que le gouvernement haïtien n’a pas cherché à être habile avec la France ; l’année où la France reçoit le président chinois avec tous les fastes dont nous avons étté témoins, président pourtant malmené lors de la répression de la Place Tien An Men, il aurait peut-être été facile à Aristide, avec un peu d’hypocrisie, de faire sa cour à l’ancienne puissance coloniale ; au lieu de cela, il lui rappelle une de ses infamies et lui demande le remboursement qu’Haïti a payé pendant des années, alors qu’elle en avait triomphé sur le terrain !

Et il paraîtrait que l’expédition française porte actuellement comme code Napoléon Bonaparte. Non, je n’arrive pas à y croire, ce doit être encore des « zins »…

Z :Zins : Il eût été facile à des media bien informées de fournir des preuves aux accusations contre Aristide car ce qui m’a frappée est l’inflation des mots contre lui et l’absence de preuves précises.

Parlant d’Haïti, les medias français ont donc, malgré eux, peut-être, subi l’influence très locale des « zins », autrement dit du « télé-djol », ou « télé-gueule », ce qu’on nommerait ailleurs, le « téléphone arabe » ou même « les cancans », « the gossips »…

Ce mot « zins » vient de l’abréviation de « les informations, les infos ». Et les infos françaises sont tombées dans les zins… L’assassinat d’un journaliste ? Sa veuve elle-même n’accuse pas le président ; les prisons sont vides d’opposants politiques ; un Etat aussi menacé, une présidence aussi contestée par ceux qui se targuent d’être démocrates, pouvait-elle se permettre de recommencer à exister sans que soient jugés les auteurs et les complices du coup d’Etat ? Aristide aurait voulu ce procès ; les USA et la classe possédante le craigaient trop et dans un pays aussi mal organisé, comment mettre en place un tel dispositif ! Et tout a recommencé ; et de la part de l’opposition, encore plus habilement qu’en 1991.

Ceci est la vérité historique ; après, il faut trier les « zins » des infos. Vaste programme…


* Le 29 septembre 1991, coup d’Etat contre le Président Aristide qui avait pris ses fonctions le 7 février de la même année ; il en avait été précédé d’un autre, qui avait échoué, quelques jours après l’élection du Président le 16 décembre 1990. De sources sûres, ces deux coups d’Etat sont l’œuvre de la C.I.A. associée à quelques Haïtiens qu’elle-même appellera d’ailleurs « élite moralement répugnante ».

* « Chimès », en créole ; le mot en français est du genre féminin ; cette distinction n’existe pas en langue haïtienne ; de plus, comme les « chimès » sont des jeunes gens en colère, femmes et hommes, je considèrerai le mot comme masculin.

* Voi Jistis, murs peints d’Haïti, Editions Alternatives, Paris 1994.

* Le Courrier International, En attendant l’homme important, 26 février 2004.

* Régis Debray, France-Culture, mercredi 21 avril 2004, en fin d’après-midi. Voir l’ article Mais bien sûr, M. Debray, sur http://www.risal.collectifs.net

* A lire dans son numéro du 4-3-2004, l’article de Jeffrey Sachs, paru à l’origine dans le Financial Times.

Ne pas tomber dans le piège de Washington commence ainsi : « La crise haïtienne est un nouvel erxemple de manipulation cynique d’un petit pays pauvre par les Etats-Unis, les journalistes s’abstenant quant à eux de s’intéresser à la vérité ». A lire aussi, juillet 2003, L’embargo et la typhoïde où Paul Farmer dénonce les mensonges de l’opposition à propos des élections controversées de 2000. Egalement, 6 au 12 février 2003, Paul Farmer et Arachu Castro s’indignant déjà qu’U.S.A. et C.E. maintiennent depuis plus de dix ans un embargo humanitaire contre Haïti et pour des raisons fallacieuses.

* Je suppose qu’il reprenait l’éditorial du Monde du 2 avril 2004 : Le parrain Aristide dans lequel le journaliste écrit que le Président ne pouvait pas ne pas connaître le sens très connoté du mot « famille » dans le milieu de la drogue. D’habitude la mafia se cache pour mieux agir ! Voyez ce président qui fait tout le contraire…

Drôle de point de vue, monsieur le journaliste !

.

* Voir les articles de Paul Farmer, déjà cités précédemment.

* Le Black Caucus, organisation importante de Noirs américains.

* Voir mon Journal d’un coup d’Etat, Haïti 1991

* Référence à une phrase que me dit une riche commerçante de Port-au-Prince en 91, après le Coup d’Etat, qu’elle n’aimait pas Aristide, il était « revanchard »

* 25 février 2004

* Grimelles ou chabins : un des résultats de métissage humain et qui produit des individus clairs, aux yeux souvents verts, et dont la négritude ne se voit qu’aux cheveux, blonds mais très frisés.

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  • Je remercie Bellaciao pour ces informations sur haiti, en guadeloupe nous avons beaucoup de problèmes d’émigration et la population ignorante rejette les haitiens, je souhaite qu’ils lisent les vraies infos et non l’intox dont nous sommes victimes afin de comprendre que ce qui arrive dans l’ile à côté nous concerne et pourra aussi nous arriver, soyons plus compatissants.

    Encore merci, j’ai eu mal en lisant l’article, mais au fond de moi j’ai toujours pensé qu’Aristide n’était pas ce qu’on disait de lui, lorsqu’on est président d’un pays pauvre et qu’on n’obtempère pas aux dictats des puissants, on vous élimine, c’est d’ailleurs ce qui risque d’arriver à Chavez au Vénézuéla, les pauvres des favelas arriveront-ils à s’imposer aux riches vénézuéliens acquis à Bush pour le pétrole ? la réponse dimanche avec le résultat du référendum.

    Comme on dit chez nous en gwada : "FOS" à Mireille Nicolas.

    • Des événements personnels ne m’ont pas permis de vous lire avant aujourd’hui, 4 septembre. Merci de m’avoir écrit ; je vous promets une réponse dans la semaine à venir.Mireille Nicolas.

    • J’ai honte de vous répondre si tard ! Dites-moi bien que mon message vous est arrivé ; je vous avais parlé d’une semaine et voici presqu’un mois passé ; et pourtant vos mots me sont allés au coeur. Je ne comprends toujours pas pourquoi il y a eu ce lynchage médiatique en France ; aux Etats-Unis, les propos sont beaucoup plus nuancés et il y a nombre d’articles complexes, circonstanciés. Si vous avez une explication, donnez-la moi. Je viens d’aller voir le film Salvador Allende ; l’explication s’y trouve peut-être cachée ; la CIA aidée d’autres a fait pis que tuer Aristide, elle l’a sali, diabolisé ; mais il n’est pas mort cependant, et l’Histoire recèle parfois des surprises. En tous cas, merci et Kimbé raid pa lagué. Mireille.