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"Mohamed un VI est un autocrate mais aussi un bon type"
Publie le lundi 15 février 2010 par Open-PublishingMalgré les énormes chagrins, il ratisse sans cesse dans ces questions épineuses qui incommodent au palais et ça ne lui va pas très mal : "Cinq problèmes en neuf ans"

ANTONIO NAVARRO AMUEDO / RABAT | 31.01.2010
Agile dans l’expression, inquiet dans le dialogue, loquace, des formes et d’une apparence involontairement juvénile, Ahmed R. Benchemsi (Casablanca, 1974) décortique avec concision et facilité la réalité contemporaine du Maroc. Le directeur de TelQuel, hebdomadaire francophone qui met à l’épreuve les limites des libertés du pays voisin, une publication qui est, depuis son apparition en 2001, la nouvelle journalistique permanente du panorama médiatique du pays voisin - et sa jumelle Nichane, publication avant-gardiste dans la défense de l’écriture en dialecte arabe marocain-, pour laquelle n’existent pas les lignes rouges séculières du roi, l’Islam et le Sahara.
Ses pages reflèttent aussi la dure réalité qui gîte sous l’épiderme de la société conservatrice marocaine, comme celle des habitudes sexuelles, la consommation de drogues et d’alcool entre les jeunes ou la prostitution. "Le Maroc a une liberté d’expression, mais des menaces croissantes planent sur elle", affirme-t-il avec précision. Après un feuilleton de quatre exemplaires monographiques consécutifs d’analyses critiques sur la personne du monarque à propos de sa première décennie dans le trône, son rôle comme leader religieux, son pouvoir autoritaire, sa vie privée et ses affaires - "personne au Palais n’a nié quoi que ce soit de ce qui a été publié"-, le régime désorienté a dit qu’il s’en était trop et a ordonné d’arrêter les impressions.
C’était au mois de juillet dernier, TelQuel publiait un sondage sur Mohamed VI qui dévoilait un 91 % d’opinions favorables au monarque alaouite. L’exemplaire a été censuré sous prétexte que sa personne ne peut pas être soumise à un jugement ou sondage quelconque. "C’était un cadeau que nous leur faisions", dise-t-il en ébauchant le sourire de la désillusion.
Cultivé et libéral dans un pays qui n’a pas encore son propre siècle de lumières, ferme défenseur de la séparation entre l’État et le pouvoir religieux, cet ex-élève du Science Pô parisien regrette l’ignorance, en dehors des murs, des Marocains de la liberté de presse dans son pays. Les numéros osés de TelQuel coïncident exposés sur les trottoirs dans le temps avec des interventions arbitraires du régime contre la presse. Ainsi, en octobre, un tribunal de Casablanca ordonnait la fermeture du journal Akhbar Al Youm et condamnait à une année de prison le caricaturiste qui a dessiné le cousin du roi et le directeur de la publication citée. Des contradictions qui commencent et finissent au palais, comme presque tout au Maroc.
"Je crois que l’actuel roi est un bon type, différent de son père, qui était un dictateur. Mais il est un autocrate, le pouvoir est concentré dans sa personne, ce qui est le résultat du régime que Hassan II a construit. S’il y a une liberté, c’est parce que lui -ou ceux qui sont dans son entourage – le veut ou non ; disons que tout dépend un peu de l’état d’âme. Mais une politique officielle n’existe pas contre la presse". "Nous n’avons pas l’intention de nous détruire mutuellement", ajoute-t-il.
Le panorama politique marocain désolant est la cible préférée de ses éditoriaux. "Après 38 ans de dictature, le roi précédent a fini, intelligemment, avec l’opposition, donc, fondamentalement, Mohamed VI n’a pas d’ennemis. Il s’est limité à hériter les alliances que son père a tissées. De plus, tous les partis sont discrédités", dit-t-il.
Entré presque à pas feutrés sur la relation du Maroc avec l’Espagne, il reconnaît qu’il n’est pas un spécialiste, se lance en profondeur dans la question sahraouie et le cas récent d’Aminatu Haidar, qu’il considère une erreur politique, diplomatique et stratégique de Rabat : "ils n’avaient pas le droit de lui retirer la nationalité simplement parce qu’elle n’a pas rempli un formulaire. À l’intérieur du palais royal ou près de lui, quelqu’un a dû se fâcher, ils commenceraient à crier que [Haidar] ne reviendrait jamais plus et ils l’ont expulsée". "Plus tard elle est devenue un show international et il est impossible de lutter contre l’image d’une mère qui peut mourir pour défendre ses idées", reconnaît le directeur de TelQuel, qui invite les artistes espagnols - il ose citer le nom de Javier Bardem - à débattre sérieusement le problème politique en dehors du glamour des caméras.
Benchemisi, qui est convaincu de la marroquinité du Sahara, critique la façon dont le problème territorial affronte son pays. "Ce n’est pas la forme d’aborder le problème. La solution doit être basée sur la dignité de ces gens. Ils savent qu’il y a une alternative à être traités comme des simples sujets du roi du Maroc, qui est, d’ailleurs, la meme façon dont nous sommes traités. C’est l’une des raisons par lesquelles ils repoussent les propositions du Maroc". "Je crois que l’autonomie est une bonne solution ; les autorités du pays doivent les respecter, leur donner une autonomie pour qu’ils voient qu’ils gèrent le territoire, ses ressources, etc", précise-t-il.
Conclusion : le problème sahraoui est le problème marocain. Le cercle se ferme : tout commence et finit dans le palais. En attendant, la société civile marocaine se libère peu à peu de la léthargie, qui a peut-être toujours existé et bouge au rythme de la bruyante et chaotique Casablanca. : "Peur de perdre mon emploi ?", s’interroge-t-il avec un geste forcé de scepticisme devant la question. " Nous avons eu des problèmes cinq fois dans presque neuf ans, plus de 400 tirées …ce n’est pas mal, non ?".