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Mort d’un détenu psychotique : France condamnée à Strasbourg
Publie le vendredi 17 octobre 2008 par Open-Publishing7 commentaires
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
Deux informations :
* Communiqué numéro 729 du Greffier, 16 octobre 2008
ARRÊT DE CHAMBRE RENOLDE c. FRANCE
La Cour européenne des droits de l’homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de chambre dans l’affaire Renolde c. France (requête no 5608/05).
La Cour conclut, à l’unanimité,
· à la violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme, du fait du manquement des autorités françaises à leur obligation de protéger le droit à la vie de Joselito Renolde ; et,
· à la violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention, le placement de Joselito Renolde en cellule disciplinaire n’étant pas approprié à ses troubles mentaux.
La requérante n’ayant soumis aucune prétention au titre de l’article 41 (satisfaction équitable), la Cour juge que l’octroi d’une somme à cet égard ne s’impose pas. (L’arrêt existe en français et anglais.)
1. Principaux faits
La requérante, Hélène Renolde, est une ressortissante française née en 1962 et résidant à Chatou (France). Elle est la sœur de Joselito Renolde, né le 17 août 1964 et décédé le 20 juillet 2000 après s’être pendu dans sa cellule à la prison de Bois-d’Arcy où il était en détention provisoire. Ils appartiennent à une famille de gens du voyage.
En avril 2000, Joselito Renolde fut mis en examen et placé en détention provisoire pour violences volontaires avec armes commises sur son ex-compagne et sur leur fille de 13 ans, ayant entraîné une incapacité temporaire de travail supérieure à huit jours, ainsi que pour destruction et dégradations volontaires de biens et vol.
Le 2 juillet 2000, Joselito Renolde fit une tentative de suicide en s’entaillant le bras à l’aide d’un rasoir. L’équipe d’intervention d’urgence psychiatrique diagnostiqua une bouffée délirante aiguë et lui prescrivit un traitement neuroleptique antipsychotique. Lors de cette intervention, Joselito Renolde mentionna qu’il avait des antécédents psychiatriques et qu’il avait déjà été hospitalisé et mis sous traitement neuroleptique. Il fut pris en charge, à partir du 3 juillet, par le service médico-psychologique régional présent dans l’établissement et placé seul en cellule, sous surveillance spéciale se manifestant par des rondes plus fréquentes. Le traitement antipsychotique, qui fut maintenu, lui était remis deux fois par semaine pour plusieurs jours et sans contrôle de la prise effective des médicaments par le personnel médical de la prison.
Le 5 juillet, à la suite de l’agression d’une surveillante, la commission de discipline sanctionna Joselito Renolde – lequel apparut « très perturbé » lors de l’enquête sur cet incident – par 45 jours de mise en cellule disciplinaire.
Dans une lettre écrite à sa sœur le 6 juillet, il disait être « à bout » et comparait sa cellule à une tombe, en se représentant crucifié. Le 12 juillet, son avocate demanda que son client fasse l’objet d’un examen psychiatrique afin de vérifier la compatibilité de son état psychique avec son placement en cellule disciplinaire.
Le 20 juillet 2000, un gardien trouva Joselito Renolde pendu à l’aide de son drap, à la grille de sa cellule. Les secours ne purent le réanimer. Une expertise médicale révéla ultérieurement qu’au moment de son décès, Joselito Renolde n’avait pas pris son traitement neuroleptique depuis au moins deux ou trois jours.
Une information judiciaire fut ouverte, dans laquelle des membres de la famille de Joselito Renolde, dont la requérante, se portèrent parties civiles.
Pendant l’instruction, le juge ordonna une expertise psychiatrique qui conclut que Joselito Renolde souffrait de troubles psychotiques aigus et que son suicide paraissait résulter non d’un syndrome dépressif, mais d’un passage à l’acte imputable à ces troubles, surtout si le traitement n’était pas correctement pris.
En janvier 2005, la cour d’appel de Versailles confirma l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction, aux motifs que le personnel médical n’avait pas commis de faute en ne surveillant pas la prise du traitement, que l’information et le supplément d’information n’avaient pas davantage fait ressortir d’éléments susceptibles de constituer une faute des personnels pénitentiaires et que ni l’infliction d’une sanction disciplinaire, ni le fait de ne pas s’assurer de la prise du traitement n’avaient constitué une violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité.
2. Procédure et composition de la Cour
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 3 février 2005.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Peer Lorenzen (Danois), président,
Rait Maruste (Estonien),
Jean-Paul Costa (Français),
Renate Jaeger (Allemande),
Mark Villiger (Suisse),
Isabelle Berro-Lefèvre (Monégasque),
Zdravka Kalaydjieva (Bulgare), juges,
ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section.
3. Résumé de l’arrêt
Griefs
Invoquant les articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), la requérante alléguait que les autorités françaises n’avaient pas pris les mesures nécessaires pour protéger la vie de son frère et que son placement en cellule disciplinaire pendant 45 jours était excessif compte tenu de sa fragilité psychique.
Décision de la Cour
Article 2
Selon la Cour, dès le 2 juillet 2000, les autorités savaient que Joselito Renolde souffrait de troubles psychotiques susceptibles de le conduire à des actes d’auto-agression. Même si son état était variable et le risque d’une nouvelle tentative de suicide plus ou moins immédiat, la Cour estime que ce risque était réel et que Joselito Renolde avait besoin d’une surveillance étroite pour parer à une aggravation subite.
Quant à la question de savoir si les autorités ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prévenir ce risque, la Cour observe les efforts indéniables faits par les autorités en ce sens, notamment à travers son placement en cellule individuelle, ainsi que la surveillance spéciale et le suivi médical dont il fit l’objet.
Cependant, la Cour est frappée par le fait que, malgré la tentative de suicide de Joselito Renolde et le diagnostic porté sur son état mental, l’opportunité de son hospitalisation dans un établissement psychiatrique ne semble jamais avoir été discutée.
A la lumière de l’obligation de l’Etat de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger tout individu dont la vie est menacée, on peut s’attendre à ce que les autorités, qui sont en présence d’un détenu dont il est avéré qu’il souffre de graves problèmes mentaux et présente des risques suicidaires, prennent les mesures particulièrement adaptées en vue de s’assurer de la compatibilité de cet état avec son maintien en détention.
La Cour estime que, faute pour les autorités d’ordonner le placement de Joselito Renolde dans un établissement psychiatrique, elles devaient à tout le moins lui assurer des soins médicaux correspondant à la gravité de son état. Or, la Cour relève que, pour les experts, la mauvaise observance du traitement a pu favoriser le passage à l’acte suicidaire de Joselito Renolde dans un contexte délirant. Sans perdre de vue les difficultés auxquelles sont confrontés les intervenants en milieu carcéral, la Cour éprouve les plus grands doutes sur l’opportunité de laisser à un détenu souffrant de troubles psychotiques avérés le soin de gérer lui-même quotidiennement son traitement sans aucune surveillance.
Même si l’on ne sait pas ce qui a poussé Joselito Renolde à se suicider, la Cour arrive à la conclusion que l’absence de surveillance de la prise quotidienne de son traitement a, en l’espèce, joué un rôle dans son décès.
En dernier lieu, la Cour souligne le fait que trois jours après sa tentative de suicide, Joselito Renolde s’est vu infliger par la commission de discipline la sanction la plus lourde, à savoir 45 jours de cellule disciplinaire. Aucun compte ne semble avoir été tenu de son état psychique, bien qu’il ait eu, lors de l’enquête sur l’incident, des propos incohérents et qu’il ait été qualifié de « très perturbé ».
La Cour observe que le placement en cellule disciplinaire isole le détenu, en le privant de visites et de toute activité, ce qui est de nature à aggraver le risque de suicide lorsqu’il existe.
La Cour réitère que la vulnérabilité des malades mentaux appelle une protection particulière. Il en va d’autant plus ainsi lorsqu’un détenu souffrant de troubles graves est placé, comme en l’espèce, en isolement ou cellule disciplinaire pour une longue durée, ce qui ne peut manquer d’avoir des répercussions sur son état psychique, et qu’il a déjà effectivement tenté de mettre fin à ses jours peu de temps auparavant.
Par conséquent, la Cour arrive à la conclusion que les autorités ont manqué à leur obligation de protéger le droit à la vie de Joselito Renolde, en violation de l’article 2.
Article 3
Bien qu’elle soit consciente des difficultés auxquelles se heurtent les autorités pénitentiaires et de la nécessité de sanctionner les agressions visant les personnels de surveillance, la Cour est frappée par le fait que Joselito Renolde se soit vu infliger la sanction maximale pour une faute du premier degré, sans aucune prise en compte de son état psychique et alors qu’il s’agissait d’un premier incident.
La Cour observe que ce type de mesure entraîne la privation de toute visite et de tout contact avec les autres détenus. En outre, il ressort du dossier que Joselito Renolde a éprouvé angoisse et détresse pendant cette période, comme en témoigne notamment la lettre écrite à sa sœur le 6 juillet 2000. Il s’agissait d’une sanction lourde, susceptible d’ébranler sa résistance physique et morale.
La Cour rappelle que l’état d’un prisonnier dont il est avéré qu’il souffre de graves problèmes mentaux et présente des risques suicidaires appelle des mesures particulièrement adaptées en vue d’assurer la compatibilité de cet état avec les exigences d’un traitement humain.
La Cour estime qu’une telle sanction n’est pas compatible avec le niveau de traitement exigé à l’égard d’un malade mental et qu’elle constitue un traitement et une peine inhumains et dégradants. Partant, il y a eu violation de l’article 3.
Le juge Villiger a exprimé une opinion concordante dont le texte se trouve joint à l’arrêt.
***
Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).
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La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.
L’article 43 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.
Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
* D’après le communiqué numéro 731 du Greffier, en date du 16 octobre 2008
(extrait "France" seulement)
Arrêts de chambre concernant la France
.
** Violation de l’article 6 § 1 (équité)
Fonfrede c. France (no 44562/04)
La Cour conclut à la violation ci-dessus en raison du défaut de communication au requérant, qui n’était pas représenté par un avocat, du rapport du conseiller rapporteur devant la chambre criminelle de la Cour de cassation.
** Violation de l’article 6 § 1 (équité)
Maschino c. France (no 10447/03)
La Cour conclut à la violation ci-dessus, le requérant n’ayant pas eu accès à un contrôle juridictionnel effectif pour contester la régularité de visites et saisies domiciliaires.
Messages
1. Mort d’un détenu psychotique : France condamnée à Strasbourg, 17 octobre 2008, 12:12
C’était le moindre des choses, mais cet arrêt n’enlève rien au problème que posent les rejets massifs de recours des "petits justiciables" par une simple lettre type qui ne contient, ni un descriptif de l’affaire, ni la moindre motivation adaptée à l’espèce. S’il faut se suicider en prison pour attirer l’attention de la CEDH...
On ne peut que se féliciter de l’arrêt rendu par la CEDH sur l’affaire de Joselito Renolde, mais des arrêts comme celui-ci ne devraient pas servir d’alibi pour justifier l’élimination de la grande majorité des recours par une "lettre type".
Précisément, la portée d’arrêts comme l’arrêt Renolde ne peut être vraiment appréciée sans un état des lieux général que, précisément, les Etats réfusent de mener à terme. Il n’y a pas que la question des prisons.
Voir l’article, les références et les commentaires dans :
Cour Européenne des Droits de l’Homme, ONG et « représentants des requérants »
http://www.bellaciao.org/fr/spip.ph...
Lire également les observations finales du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU sur la France qui, pourtant, n’étalent explicitement que les domaines comportant des cas "extrêmes". La réalité de la situation globale est encore pire.
1. Mort d’un détenu psychotique : France condamnée à Strasbourg, 17 octobre 2008, 12:58
Justement, on n’a guère envie de tirer les leçons de cette condamnation, qui n’est pas la première en matière de brutalisation des administrés par des administrations françaises.
Rejeter sans motivation circonstaciée ni descriptif de l’affaire la plupart des plaintes que reçoit la CEDH est une manière de faire obstacle à l’indispensable bilan global.
Au delà de la question des prisons, il y a un très vaste ensemble portant sur les rapports au quotidien entre l’Etat français et les citoyens. L’affaire Renolde est un autre cas extrême, mais qui restera sa ssuite rélle s’il n’aboutit pas à une réflexion générale.
Et que deviendra l’instruction sur l’affaire Renolde bouclée en 2005 par la justice française qui a penché du côté de l’administration ? Sera-t-elle rouverte à présent ?
2. Mort d’un détenu psychotique : France condamnée à Strasbourg, 17 octobre 2008, 13:15
"L’affaire Renolde est un autre cas extrême, mais qui restera sans suite réelle s’il n’aboutit pas à une réflexion générale.
Et que deviendra l’instruction sur l’affaire Renolde bouclée en 2005 par la justice française qui a penché du côté de l’administration ? Sera-t-elle rouverte à présent ?"
Les choses se présentent très mal.
Par exemple, je viens d’entendre à la TV qu’on renvoie chez eux de plus en plus vite les malades hospitalisés ou internés. Comme le fait comprendre une opinion concordante à l’arrêt Renolde, ce n ’est pas seulement une affaire de prisons : il y a bien un problème général de suivi des malades sur qui on cherche à rejeter la responsablité des éventuels accidents. Mais le gouvernement parvient à faire dire ce qu’il veut aux médias.
Quant à l’affaire pénale classée en 2005, les citoyens peuvent penser qu’il serait injuste qu’elle ne soit pas rouverte, dans la mesure où en saisissant la CEDH la famille Renolde a prouvé qu’elle ne renonçait pas à ses démarches, et la Cour lui a donné raison. Mais que fera le Parquet ?
2. Mort d’un détenu psychotique : France condamnée à Strasbourg, 17 octobre 2008, 13:17
Pour rappel, les deux articles de la Convention dont la violation a été constatée :
Article 2 – Droit à la vie
1 Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...)
Article 3 – Interdiction de la torture
Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
1. Mort d’un détenu psychotique : France condamnée à Strasbourg, 17 octobre 2008, 14:19
Un arrêt comme celui-ci apporte une certaine réparation à la famille de la victime, mais ne ressuscite pas le mort.
C’est le genre de décisions a posteriori qui permettent aux institutions européennes de se donner bonne conscience, mais quid de la prévention ?
La prévention aurait exigé la censure en temps utile de beaucoup d’autres violations de la Convention, y compris des violations d’apparence "pas très grave". Mais le Protocole 14 montre que la CEDH ne souhaite s’engager dans cette direction.
3. Mort d’un détenu psychotique : France condamnée à Strasbourg, 17 octobre 2008, 14:10
Sans censurer les "petites violations", comment empêcher les plus graves ? La censure a posteriori de quelques cas extrêmes ne suffit pas. Et comment les citoyens peuvent-ils vérifier que le droit appliqué est le même pour tous, si la plupart des recours sont déclarés irrecevables par une simple lettre type ?
Pour rappel, ce commentaire à l’article :
Cour Européenne des Droits de l’Homme, ONG et « représentants des requérants »
http://www.bellaciao.org/fr/spip.ph...
... dans ce continent qui veut donner au monde des leçons de Droits de l’Homme mais qui est bourré d’anciennes puissances coloniales, a déclenché deux guerres mondiales et a vu naître le fascisme et le nazisme :
les violations des Droits de l’Homme sont si nombreuses, que la CEDH voudrait se contenter de sanctionner celles que ses juges considèrent comme les plus graves.
C’est très dangereux. Ce qui devient grave à la fin le paraît moins au départ, et la prévention exige la sanction de toutes les violations. Et les procédures éliminatoires sans obligation de motivation peuvent également masquer des violations graves restées sans sanction.