Accueil > Musique sur l’Internet : la note pour les fournisseurs d’accès ?

Musique sur l’Internet : la note pour les fournisseurs d’accès ?

Publie le dimanche 30 novembre 2003 par Open-Publishing

Après le débat sur la dépénalisation du cannabis, celui sur la légalisation des systèmes d’échange de musique via l’Internet ? Le tabou sur le statut des logiciels de peer-to-peer (P2P) comme Kazaa est tombé vendredi, avec la proposition d’un organisme de gestion collective des artistes-interprètes de légaliser ces échanges en s’inspirant de la « licence légale » appliquée aux radios dans les années 80 : celles-ci peuvent diffuser ce qu’elles désirent sans autorisation contre un pourcentage de leur chiffre d’affaires reversé aux auteurs, interprètes et producteurs. Dans le cas du P2P, il s’agirait de « taxer » les fournisseurs d’accès à l’Internet, par lesquels transitent ces échanges sauvages. Le montant de cette « taxe P2P » n’a pas été discuté, mais les chiffres de 1 à 2 euros prélevés sur l’abonnement mensuel (entre 30 et 45 euros) à l’Internet à haut débit circulent. « Le P2P conduit à un pillage de pans entiers de la création, mais c’est illusoire de vouloir lutter contre un phénomène de cette ampleur », a déclaré le délégué général de l’Adami, Jean-Claude Walter, lors des rencontres annuelles de l’organisation à Cabourg. Selon lui, c’est une solution « imparfaite » mais c’est la « seule réaliste » pour assurer une rémunération aux artistes, alors que le marché français du disque a chuté de 9 % au premier semestre 2003.

« Système de vol ». Les systèmes d’échanges comme Kazaa, eDonkey ou iMesh connaissent un succès impressionnant : en France, 8 millions d’internautes ont déjà eu recours à ces services, selon une étude récente du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). Le principe : les utilisateurs mettent en partage via le Net leurs fichiers musicaux stockés sur leur disque dur, voire des films et des logiciels. Résultat ? Une discothèque sans égale, 100 % gratuite. Et qui ne rapporte pas un centime aux ayants droit. La filière musicale était jusque-là soudée pour lutter contre le P2P. Aux Etats-Unis, les majors du disque ont porté plainte en septembre contre plusieurs centaines d’utilisateurs sur les 40 à 50 millions estimés. En France, un lobbying forcené tente d’obtenir des lois plus sévères flicage des internautes, filtrage de contenus pour endiguer ce « système de vol », selon l’expression de Marc Guez, de la SCPP (Société civile des producteurs phonographiques), présent vendredi à la table ronde organisée à Cabourg.

Autant dire que la proposition iconoclaste de l’Adami a déclenché une bronca. « Cela légitimerait la piraterie et tuerait dans l’oeuf le téléchargement payant et, à terme, la vente de disques », dit Marc Guez, qui veut croire qu’« on finira par se débarrasser » de Kazaa et autres car « c’est une question de survie ». Même réaction hostile de la part de Jérôme Roger, représentant des producteurs indépendants, qui voit dans cette taxe une « collectivisation de la culture » et pointe le risque de « générer de faibles revenus pour les artistes et les producteurs », en regard des sommes gagnées sur la vente de disques. La Sacem, qui représente les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, n’est pas plus enthousiaste. « Ce serait la solution du désespoir, estime son directeur, Bernard Miyet. Ce n’est envisageable qu’à terme, s’il n’y avait vraiment aucune autre possibilité. » Son souhait ? Forcer les fournisseurs d’accès à surveiller les activités de leurs abonnés et imposer des mouchards sur les fichiers musicaux afin de tracer leur parcours. Et parier sur le développement d’une offre légale et payante sur l’Internet. En France, celle-ci piétine : OD2, la firme fondée par le chanteur Peter Gabriel, vend 250 000 titres bien moins que ce que l’on peut trouver sur Kazaa et Sony n’a toujours pas accepté de distribuer son catalogue par ce canal.

Embryons. De plus, ces projets législatifs, techniques ou commerciaux pour faire pièce au P2P sont encore embryonnaires. Et Jean-Claude Walter estime qu’« il y a urgence à agir » et que la « maîtrise technique du phénomène ne paraît pas envisageable dans un horizon lisible ». Il n’est pas non plus certain que « le corps social [soit] prêt à accepter ces restrictions et ces contrôles ». Les fournisseurs d’accès, bien sûr, ne se montrent pas follement emballés à l’idée d’une taxe. « Au nom de quoi ?, interroge Stéphane Marcovitch, de l’Association française des fournisseurs d’accès (AFA). Une radio diffuse du contenu mais nous nous contentons de mettre des tuyaux à disposition. » Dans tous les cas, ce sera au législateur de trancher.

http://www.libe.com/page.php?Article=161313