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Ni vieux, ni traitres
France, 2004 documentaire de De Pierre Carles et Georges Minangoy Avec
Joëlle Aubron, Annie Desseaux, Jacques Garcin, Jean Halfen, Gilbert Roth,
Jean-Marc Rouillan, Txus Durée : 1h40 Sortie : NC
Ni vieux, ni traitres
Etant donné qu’aucun photogramme du film, encore en montage, ne circule,
aucune des photos illustrant cet article ne sont extraites de Ni vieux, ni
traîtres.
Alors que Cesare Battisti est toujours en fuite et que de nombreux anciens
activistes politiques sont encore en prison, le documentariste Pierre
Carles et le journaliste Georges Minangoy sont allés à la rencontre
d’anciens partisans de la lutte anti-franquiste anarchiste des années 70.
CELUI QUI COMBAT PEUT PERDRE, MAIS CELUI QUI NE COMBAT PAS A DEJA PERDU
Le jeudi 14 octobre 2004 à 20h30, Pierre Carles et Georges Minangoy
présentaient à la Salle Olympe de Gouges, à Paris, en
"avant-première
mondiale", un premier montage de leur film Ni vieux, ni traîtres. "Dans
les années 70, des anarchistes français luttèrent avec leurs camarades
catalans contre l’Espagne franquiste finissante. Pour financer leurs
actions subversives, ils multiplièrent hold-up et braquages de banques. Au
milieu des années 80, certains de ces "libertaires" passèrent à
l’action -
directe - anti-capitaliste en revendiquant l’assassinat de patrons comme
celui de Renault. D’autres refusèrent catégoriquement de recourir à ce
type de violence, sans toujours se désolidariser de leurs anciens
compagnons de lutte. A l’heure où tant d’ex-soixante-huitards accèdent au
pouvoir en reniant leurs engagements passés, ces rebelles prétendent avoir
mis en conformité leurs convictions et leurs actes, et quelquefois le
payent, comme Jean-Marc Rouillan, de longues années de prison. Ce film
ouvre le débat sur la légitimité de la violence et la fidélité
des choix
politiques". Ainsi se présentait le bébé sur le site non-officiel de
Pierre Carles. A sujet brûlant et forcément polémique, réaction
épidermique : le débat qui s’ensuivit, réunissant entre autres Laurent
Roth, Miguel Benassayag et Helyette Bess, fut on ne peut plus passionné.
L’ART NAIT DE CONTRAINTES, VIT DE LUTTES ET MEURT DE LIBERTE
Pourtant, le documentaire, dans la version qui nous a été présentée,
s’avère très certainement moins astringent qu’on aurait pu le craindre.
Assumant, comme souvent chez Carles, son esthétique artisanale de DV
bricolée, le film délaisse l’impersonnalité du film strictement militant,
didactique, et approfondit la méthode déjà éprouvée par
Attention danger
travail. A savoir un effacement du réalisateur (ici quasi-intégral, sa
présence se résumant à quelques rares fragments de voix) au profit de
protagonistes iconoclastes et immédiatement sympathiques, dans une
ambiance de redistribution des cartes du monde autour d’une bonne
bouteille. De vieil argot à la savoureuse texture (les "bracos"
affectueusement surnommés "expropriations") en anecdotes tantôt
égrillardes, tantôt plus graves, de fous rires en digressions
anarcho-philosophiques (on cite Brecht, et son "Que vaut un cambriolage de
banque face à la fondation d’une banque ?"), le film chemine doucement des
petites histoires à la grande. Si le montage présenté n’est pas
définitif,
l’on peut toutefois noter une évolution dans le style documentaire de
Carles. D’abord cette mise en retrait de l’ego donc, conséquence logique
de l’auto-parodique Enfin pris ? Une maîtrise accrue du found footage,
ensuite, recherchant désormais davantage une efficacité de sens que de
forme. Le film y gagne en profondeur ce qu’il perd en rythme. Enfin, si
l’humour ne s’est pas, et c’est tant mieux, retiré du cinéma de Carles, le
rire, et par extension toutes les réactions-réflexes du même ordre, ne
sont plus les effets recherchés à tout prix par le documentariste.
LA DIGNITE EST DANS LA LUTTE, PAS DANS L’ISSUE DU COMBAT
Ainsi, là où un Michael Moore, à qui il est souvent comparé, tend
à
restreindre de plus en plus la liberté du spectateur, en multipliant les
effets de montage et de dramatisation du réel, Pierre Carles s’éloigne
perceptiblement de l’implacabilité de Pas vu, pas pris, et semble vouloir
renouer avec ses débuts pour l’émission Strip-Tease. En s’extrayant du
champ de la caméra, il participe en quelque sorte à son élargissement. Une
nouvelle donne qui ne fut d’ailleurs sans doute pas étrangère à
l’animosité d’une partie du public : rodé au système Pierre Carles,
souvent militant lui-même, ses attentes furent partiellement déçues. Il y
a pourtant beaucoup à (ap)prendre dans Ni vieux, ni traîtres, au-delà des
discours agités des vieux briscards. Dans sa forme actuelle, le film
s’interroge en fait davantage sur le passage de flambeau dans la lutte,
que sur le passé de la lutte. Aussi, si d’aucuns peuvent reprocher à
Carles de rendre compte peut-être un peu trop simplement de la réalité de
la lutte armée (un extrait du documentaire espagnol Sens Llibertat, d’une
force comparable à l’increvable Avec le sang des autres de Muel utilisé
dans Attention danger travail, comble toutefois déjà pas mal de manques),
les autres pointeront le fait que le film s’écrit au présent. Ni vieux, ni
traîtres, ainsi que la première partie de son titre l’indique, ne vise pas
à sortir de leur mausolée seventies les spectres de la lutte antifasciste.
D’un fervent optimisme, le film conçoit la lutte non pas comme une lourde
croix à porter, mais bien comme une Résistance active, humaine, avec ses
joies, ses peines, et surtout son plaisir du jeu subversif. L’humour et
les amours y ont leur place, tout comme les déconvenues, les erreurs et
les engueulades.
MOURIR POUR DES IDEES, L’IDEE EST EXCELLENTE
Certes, la réalité rôde, et ce sont d’abord des images de
télévision qui
nous la précipitent le plus crûment à la figure (il faut voir Bernard
Thibaut, prétendre devant les caméras de France 3 lutter contre le MEDEF
en organisant des pique-niques, pour le croire). Plus tard, ce sont
d’autres images, cette fois véritablement impressionnantes, qui nous
tombent sans prévenir sur le coin de la gueule : Joëlle Aubron,
fraîchement sortie de prison, le corps fortement marqué par le cancer,
expose en un souffle viscéral ses dégoûts, remords, regrets, souffrances.
A ce stade, le documentaire prend une nouvelle tournure : prendre les
armes contre un pouvoir illégitime, mourir pour des idées en d’autres
termes, pour quoi faire ? Et Aubron, frêle mais digne, faible physiquement
mais d’une inouïe violence rentrée, de hurler sourdement l’incohérence
dans la lutte, les embrouillaminis entre marxistes, léninistes, anars et
staliniens, l’insuffisance de la solidarité populaire. Les mots ici
régurgités, comme vomis, remuent, frappent, et ne sont tendres avec
personne, surtout pas avec la violence d’Etat, contre laquelle Aubron
réaffirme la nécessité d’une contre-violence de lutte. Mais peut-on
véritablement assumer, ou en tout cas accepter, d’éteindre des vies au nom
de la Résistance ? Le documentaire n’y répondra pas. C’est là toute sa
force, son honnêteté, sa sincérité, mais aussi toute sa
fragilité.
Renseignement pris, on sait que le montage final devrait également
comprendre une séquence tournée en 2003 avec Guillaume Sarkozy, actuel n°2
du Medef, et Denis Kessler, ancien n° 2 du MEDEF, ainsi qu’une partie des
houleux échanges, filmés par Maria Koleva, qui ont eu lieu à l’issue de la
fameuse projection. Nul doute en tout cas que le film méritera qu’on s’y
attarde à nouveau.
Messages
1. > NI VIEUX, NI TRAITRES, 8 juin 2006, 08:53
Excellent, pour les impatients voici le bon de réservation du DVD.
2. > NI VIEUX, NI TRAITRES, 8 juin 2006, 21:06
C’est une magnifique réalisation d’un tel projet qui réactualise une mémoire, en somme relativement récente, qu’il fallut encore combattre contre la répression franquiste, ce pouvoir couvert par les américains, du dernier facisme issu de la dernière guerre mondiale, en Europe... et parler des anarchistes catalans, alors, que la Catalogne donnait l’image même de la possibiulité du changement, contre d’autres régions del’Espagne. A l’heure où ils passe de drôles de choses en France, dans un climat de rigidité répressive, sans signe de détente, il est précieux de redonner la certitude du sens historique jamais forclos de l’insoumission et des moyens de lutte.
Si vous voulez mon avis, les Présidentielles s’annoncent chaudes..
O.