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NON A LA CONSTITUTION LIBERALE (LCR)
Publie le samedi 21 mai 2005 par Open-Publishing2 commentaires
Autre texte issu du DVD (à lire, à copier, à diffuser) :
"INTRODUCTION :
Les politiques de l’Union européenne provoquent une crise larvée
économique, sociale et institutionnelle, qui a débouché sur l’ampleur du
vote-sanction contre les gouvernements au récent scrutin européen. C’est
pour relégitimer ces politiques que depuis plusieurs années un projet de
« Traité constitutionnel » pour l’Europe est en préparation. Et alors même
que les grands partis en ont fait scandaleusement l’impasse lors des élections,
le débat sur cette « Constitution » ne peut maintenant plus être éludé.
Dans ce débat, nous avons pris clairement position : contre la méthode
d’élaboration opaque, contre le tour de passe-passe qui veut légitimer un
traité inter-étatique en le transformant en engagement fondateur des
citoyens et peuples européens ; et surtout contre la logique profonde du
projet. Car nous pensons que ce texte alambiqué sacralise le principe de la
concurrence « libre et non faussée » et le dogmatisme financier sous la main
de fer de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne.
Il sera l’accélérateur de la libéralisation/ réduction des services publics et de
la protection sociale ... et d’une politique sécuritaire et militaire qui accompagne celle des USA au final. C’est une autre Europe que nous voulons !
Un véritable rouleau compresseur politique et médiatique s’est déclenché
pour nier les arguments du vote « non », ou bien défendre l’adoption de ce
projet malgré ses « imperfections ». Et sont traités d’irresponsables ceux qui
comme nous veulent faire gagner un « non de gauche » à cette Constitution.
L’objet de ce document est de répondre aux grandes interrogations qui sont
posées dans ce débat, en espérant qu’il sera utile à celles et ceux qui ne se
résignent pas à subir l’offensive actuelle libérale et guerrière des classes
dominantes.
UN PROJET ANTI-DEMOCRATIQUE
Trois grandes parties, 448 articles, 36 protocoles, 2 annexes et 48 déclarations déclinés sur plusieurs centaines de pages ; tel se présente le
« projet de traité instituant une Constitution pour l’Europe » qui est
sensé s’appliquer à partir de 2009 aux 25 Etats et 450 millions d’habitants
de l’Union européenne (UE).
1. Le produit d’un consensus européen ?
L’élaboration du projet de « Constitution européenne » a été une caricature
de démocratie ! Historiquement, et quoi qu’on pense de leurs résultats, les
processus constituants se sont incarnés dans des assemblées élues
spécifiquement pour créer une nouvelle souveraineté, sur la base de besoins
et de valeurs portés par un bouleversement politique, et avec des alternatives débattues publiquement. Ici, une « Convention pour l’avenir de l’Europe » a été lancée par les chefs d’Etat à l’issue du sommet de Laeken-Bruxelles en décembre 2001, visant à simplifier et rassembler en un seul traité la base institutionnelle de l’Union européenne passant de 15 à 25 membres. Ce groupe de 105 représentants des gouvernements, des Parlements nationaux et du Parlement européen, sans aucun mandat des électeurs sur cette tâche « historique », a lui-même été chapeauté par un presidium et surtout un président, Valéry Giscard d’Estaing, qui a pesé d’un poids inversement proportionnel à celui qu’il a dans la société.
Après une phase de discussions laborieuses échappant au débat public mais
comprenant une consultation-alibi de quelques représentants de la « société
civile »,VGE a sifflé la fin de la récréation. Aidé de ses deux vice-présidents
(dont un social-démocrate) et après tractations avec les gouvernements
français et allemand, il a rédigé son propre projet. Exaltant son rôle de
« père-fondateur » de l’Europe, il a obtenu des membres de la Convention, à
l’arraché et sans votes, l’adoption solennelle sous le nom de « Constitution »
d’un texte de plus de 300 pages dont les deux-tiers (la troisième partie) ont
été cachés jusqu’à la fin des travaux, en juillet 2003. Ce document a été
ensuite amendé en juin 2004 par les gouvernements de l’UE à l’issue de
marchandages de boutiquiers, alors que les débats de fond sur ce projet
ont été totalement éludés par la campagne des élections européennes achevée quelques jours avant. Et c’est ce projet dont on exige maintenant qu’il soit validé en l’état par chacun des peuples européens avec comme argument de vente : « Cette Constitution-là ou le chaos ! ».
2. Cette « Constitution » vaut mieux qu’un traité de plus ?
Nombre de défenseurs « de gauche » du projet se plaignent maintenant que
les réticences à le voter relèveraient d’un blocage intempestif (et de mauvaise
foi laissent-ils entendre) devant le terme-même de Constitution. « Ce
n’est qu’un traité de plus, qui a juste l’avantage de mieux ancrer les valeurs
positives de l’Europe sur les libertés et le social, il ne faut pas charger l’appellation Constitution de trop d’affectif français », assènent-ils d’un ton paternel. Mais de qui se moque-t-on ? C’est justement tout l’enjeu de l’opération menée par Giscard et ses acolytes que de faire revalider avec le maximum de solennité les orientations bien précises des traités de Maastricht
(1992) et d’Amsterdam (1997), justement parce que n’ayant rien de social,
elles sont en grande partie déligitimées aujourd’hui. Ainsi, il y a eu assaut de
bonnes idées pour en renforcer la portée, depuis les citations de philosophes
antiques jusqu’au « jour » et à l’hymne de l’Europe, en passant par la proposition d’une ratification solennelle par tous les chefs d’Etats dans la gare
d’Atocha à Madrid pour sceller l’adoption de cette Constitution dans le sang
des victimes du terrorisme. Tout est bon pour créer un nouveau
« patriotisme constitutionnel » au niveau européen !
La réalité, c’est que ce document ne pourra ensuite être modifié qu’à l’unanimité des Etats membres. Il impose une révision des Constitutions nationales qui devront être en concordance avec les législations européennes, et imprime en profondeur que le droit européen primera sur toutes les constitutions nationales... L’engagement médiatique actuel donne une idée des accusations d’irresponsabilité qui stigmatiseraient ceux qui, dans le mouvement social, oseraient remettre en cause le délicat mécanisme d’horlogerie inter-gouvernemental du « compromis » européen, une fois celui-ci validé dans les 25 Etats !
3. Un fonctionnement plus fluide et plus démocratique ?
C’est le principal argument des dirigeants socialistes et Verts pour défendre
le « oui » à la Constitution. Le nouveau texte permettrait de faire un pas significatif dans la démocratisation des institutions européennes, par opposition à l’actuel fonctionnement issu du sommet de Nice en 2000. Pourtant les « avancées » qu’ils pointent apparaissent bien marginales face à la logique de l’architecture européenne ! Ainsi les deux centres du pouvoir européen restent le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement (et ses correspondants au niveau ministériel), maître des orientations européennes ; et la Commission européenne qui, s’appuyant sur ses milliers de technocrates, conjugue la préparation des lois et des budgets de l’Union, leur exécution et leur contrôle dans une confusion des rôles sans équivalent nulle part (article I-26).
L’augmentation des domaines où le Parlement européen a un rôle de « codécision » laisse toujours de côté la fiscalité et la politique étrangère. Et surtout, le processus de mise en place des politiques européennes reste
essentiellement technocratique et inter-gouvernemental, issu des négociations secrètes entre hauts-fonctionnaires nationaux et européens et
avec les lobbies patronaux, pour rechercher des compromis obscurs sans
aucune place pour une répercussion des mobilisations populaires.
Comme toute l’expérience du Parlement européen le montre, celui-ci ne peut
qu’amender à la marge les projets élaborés par le Conseil et la Commission,
où au mieux en retarder la mise en place. La possibilité qu’a le Parlement de
censurer (faire tomber) une Commission ne s’applique qu’à son fonctionnement, pas à ses orientations... C’est bien pourquoi la foire d’empoigne au sommet, lors des Conférences Intergouvernementales qui ont amendé le projet de la Convention, a porté essentiellement sur l‘organisation des pouvoirs de la Commission et du Conseil. Au final, le dispositif de direction de l’Union est plus personnalisé : le président du Conseil européen sera élu par les chefs d’Etat et de gouvernement pour incarner ce pouvoir pendant deux ans et demi (mandat renouvelable une fois), au lieu de la rotation par Etat tous les 6 mois. La Commission désignée en début de législature sera dominée par son Président mais aussi par un commissaire-ministre des Affaires Etrangères de l’Union. Chaque Etat membre pourra continuer à imposer son commissaire jusqu’en 2014, et ensuite la Commission ne dépassera pas 20 membres, avec une rotation égalitaire entre Etats. Enfin le champ d’application et le niveau de la « majorité qualifiée » nécessaire au Conseil pour décider des orientations politiques, « se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant des Etats membres réunissant au moins 65 % de la population de l’Union » (article I-25).
Dans ce contexte, mettre en avant comme acquis démocratiques décisifs le
droit du Parlement européen de contester la nomination des Commissaires,
ou l’augmentation des chapitres relevant de la « co-décision » (du Conseil
et du Parlement), ou encore le « droit d’alerte », par un tiers des parlements
des membres de l’UE sur un projet de loi européenne fortement contesté,
est une escroquerie. Le comble de l’hypocrisie est atteint par ceux qui font
miroiter la possibilité pour un million de pétitionnaires en Europe d’imposer
une décision. En réalité, ceux-ci peuvent seulement « prendre l’initiative
d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application de la Constitution » (article I-47).
Dans tous les cas, la décision politique finale sera entre les mains du
Conseil et de la Commission au nom de la « bonne gouvernance », avec tout
leur force de manœuvre pour obtenir l’unanimité ou la « majorité qualifiée »
des gouvernements.
4. Il corrige l’orientation libérale de l’Europe ?
L’article I-3 « Les objectifs de l’Union » est systématiquement mis en avant
comme preuve d’un « rééquilibrage social » que constituerait la Constitution
par rapport aux textes précédents, en particulier avec la notion
« d’économie sociale de marché ». Cet article peut effectivement faire illusion
lorsqu’on parcourt rapidement le début du document, puisqu’il rassemble
une grande quantité de bonnes intentions : la paix, le développement
durable, le plein emploi et le progrès social, l’égalité hommes-femmes,
la défense des droits de l’Homme, etc... Il faut savoir pourtant que
quasiment tout cela était déjà dans le préambule du traité de Rome de
1957, et constamment repris depuis, jusqu’au traité de Nice. En revanche
et c’est l’essentiel, l’article précité réaffirme le principe d’un « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ». Et c’est cette primauté de la concurrence qui est ensuite constamment priorisée. L’économie sociale de marché doit être « hautement compétitive », le commerce international « libre et équitable », alors que justement la notion de commerce équitable s’oppose à la force destructrice du commerce « libre » manipulé par les puissants.
Au-delà de généralités contradictoires, il y a la triste réalité de ce qu’organise
concrètement la « Constitution » : l’article I-13 définit ce que sont les
« compétences exclusives » de l’Union : l’union douanière, l’établissement
des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, la politique monétaire, la politique commerciale. Concurrence libre,
mais aussi stabilité des prix et équilibre budgétaire sont les valeurs suprêmes
des politiques détaillées dans les 342 articles de la troisième partie du
projet, de manière plus contraignante encore que dans les traités précédents.
La Banque centrale européenne sera ainsi confortée pour veiller à la
stricte application de ce Pacte de stabilité, totalement orientée vers les marchés financiers (articles I-30) et moins contrôlée que partout ailleurs, y
compris aux USA (article III-188).
Ainsi la politique économique et monétaire définie dans les articles III-177 à
III-202 doit être « conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » s’appuyant sur l’euro dont « l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix », ces termes étant martelés à de nombreuses reprises cette fois-ci sans aucune référence au social. L’objectif scandé depuis le sommet de Lisbonne, à la manière d’un slogan stalinien, c’est d’établir « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ».
Toutes les autres valeurs sont soumises à ces principes, et donc neutralisées.
Aucune Constitution dans le monde n’impose ainsi une unique politique
économique, qui est sensée s’appliquer pour les « cinquante prochaines années » selon Giscard d’Estaing
5. Il consolide des avancées sociales ?
Les défenseurs de la Constitution soulignent l’importance de l’intégration
de la Charte des droits fondamentaux (partie II du traité) adoptée au sommet
européen de Nice en 2000. Mais les principes de cette Charte concernant
les droits sociaux et la laïcité, entre autres, sont en retrait par rapport
à la Convention européenne des droits de l’Homme ou à la Charte des Nations
unies ! Ainsi le droit à l’emploi et aux garanties sociales est remplacé
par le droit de travailler et d’accéder aux prestations sociales (articles II-75
et II-94). Mais surtout, cette Charte est soumise à la priorité de la concurrence et sans moyens concrets d’application. On ne saurait mieux résumer son caractère factice que dans l’article II-111, point 2 : « La présente charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et les tâches définies dans les autres parties de la Constitution. »
La « stratégie coordonnée pour l’emploi » doit s’attacher à « promouvoir une main d’oeuvre qualifiée, formée et susceptible de s’adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie » (article III-203). C’est dans ce cadre que doit être cherché le plein emploi. Les objectifs de la politique sociale sont pleins d’ambition... mais c’est « le fonctionnement du marché intérieur qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux » (article III-209), puisque les initiatives communes sont certes possibles mais « à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres » (III-210).
Par ailleurs, face au dumping social et aux menaces de délocalisations, aucune taxation internationale des revenus financiers, du type taxe Tobin, ne sera possible : « Les restrictions tant aux mouvements des capitaux qu’aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays-tiers sont interdites. » (III-156) Aucune remise en question des paradis fiscaux n’est envisagée. Pour toute amélioration sociale, fiscale ou environnementale, il faudra l’accord unanime des Etats. Pour toute avancée libérale, en revanche, la majorité qualifiée du Conseil suffira.
Alors que l’inégalité sociale n’a jamais été aussi forte depuis 50 ans, ce projet
garantit que les super-riches continueront à s’enrichir, au détriment des
couches populaires : les salarié-e-s, la jeunesse, les chômeurs et précaires,
les femmes, les immigré(e)s...
6. Il permet de relancer les services publics ?
Dès le Traité de Rome en 1957, le concept de Services d’intérêt général
(SIG) a été préféré à celui de services publics, en marquant un
embarras entre leur statut particulier et les règles de la concurrence. Mais
ce sont le Traité d’Amsterdam et les sommets de Lisbonne et de Barcelone
entre 1997 et 2001 qui ont véritablement unifié au niveau européen l’offensive
de démantèlement de ces acquis sociaux au nom de « la bonne gouvernance
» et de leur réintégration dans l’univers de la concurrence « libre et non
faussée ». C’est ainsi qu’au sommet de Barcelone en 2000, les chefs d’Etats
de l’UE ont décidé « d’accélérer la libéralisation dans les secteurs tels que le gaz, l’électricité, les services postaux et les transports ». Le projet de Constitution confirme cette démarche (article III-166 et 167), avec au passage un superbe glissement de formulation, ces services ne faisant plus partie des « valeurs communes » de l’Union comme dans les traités antérieurs, mais devenant des services « auxquels tous dans l’Union attribuent une valeur » (III-122), dans des conditions « notamment économiques et financières » qui leur permettent d’accomplir leur mission.
Pour parvenir à de telles performances (comprendre : le coût le plus bas
pour les finances publiques) et à cette qualité (pour les entreprises avant
tout), quoi de mieux que de mettre en concurrence des entreprises, sous
le contrôle d’un organisme régulateur sensé garantir le respect du cahier
des charges sans indisposer les actionnaires ? Hypocritement on « ne préjuge
en rien de leur forme de propriété » (article III-425), mais la logique de ce
mouvement est bien la privatisation de tout ce qui est rentable, avec des
transferts massifs de richesse du domaine public vers le privé, et la latitude
de ces entreprises privées de se mettre en faillite une fois le citron bien pressé, pour permettre aux actionnaires de rebondir ailleurs comme
on le voit de plus en plus... Reste aux Etats à supporter les « services minimum » qu’aucune entreprise privée ne voudra gérer, d’autant plus au
rabais que la pression maximale pour la réduction des déficits publics est
institutionnalisée.
Pour toutes ces raisons, il est particulièrement honteux de voir la Confédération européenne des syndicats (CES), absorbé dans une logique de
« moindre mal », mais surtout d’intégration aux institutions européennes,
faire au patronat le cadeau d’avaliser ce projet de Constitution. La CES se
contente de la mise en valeur du « dialogue social » (dont elle tire maintenant
plus d’avantages financiers pour elle que de résultats positifs pour
tous), alors même que ne sont pas pris en compte les acquis sociaux
imposés sur le plan national par un siècle et demi de luttes ouvrières : les
droits sociaux fondamentaux, le droit du travail, le droit de grève, le droit
à l’avortement...
UN PROJET IMPERIALISTE :
7. La Constitution orientée vers la paix ?
L’article I-3 du projet prétend que l’Union « contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et la protection des droits de l’homme. »
Dans les faits, la politique étrangère de l’Union est d’abord accolée à sa
« politique de sécurité et de défense commune ». Il est ainsi spécifié que « les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leur capacité militaire » (article I-41), ce qui revient à demander une augmentation des budgets militaires. Cette obligation impose à chaque Etat membre de contribuer à une force d’intervention pour l’Union européenne, capable d’assurer des missions en dehors de l’Union, et de contribuer à une agence européenne de développement des capacités de défense... De plus, cette politique « respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’OTAN et elle est compatible avec la politique de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ». La « défense européenne » que la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne impulsent, confirme donc l’objectif central de l’UE d’occuper une place plus importante au sein du dispositif impérialiste allié aux USA, au détriment des solidarités civiles entre populations (techniques, sociales...).
Enfin concernant les choix stratégiques des sources d’énergie à développer,
cette Europe continue d’affirmer un soutien prioritaire à l’énergie nucléaire
avec l’inscription annexée au Traité constitutionnel du protocole « Euratom ».
8. Quelle « puissance » européenne ?
L’effondrement des pays d’Europe de l’Est et l’accélération de la globalisation
financière ont ouvert la voie à de nouvelles rivalités au niveau mondial.
La redéfinition des alliances entre puissances économiques est marquée
par l’offensive de l’administration des USA pour imposer son hégémonie.
Beaucoup de citoyens européens sont sensibles à ceux qui leur présentent l’ « Europe-puissance » comme une alternative pacifique à la brutalité de la stratégie de l’impérialisme US. Mais la dynamique réelle de l’Union européenne est loin de cet espoir. Le traité constitutionnel cherche
plutôt à associer les puissances européennes pour leur garantir un espace
politico-économique concurrentiel, à même de récolter quelques avantages
de la globalisation. En quoi cette recherche de « puissance européenne »
est-elle progressiste ?
Face à l’immense espoir qu’a représenté la chute du Mur au centre de
l’Europe et la fin des économies bureaucratiques dans les pays de l’Est,
l’Union européenne a certes plaidé pour « l’Etat de droit », mais a surtout
soutenu l’instauration à marche forcée du règne de la concurrence dans ces
pays, au prix du démantèlement de leur industrie et de leurs systèmes de
protection sociale, du chômage massif et d’une corruption renforcée. En
échange, l’Union européenne leur a entre-ouvert ses portes, mais cet élargissement se fait avec une solidarité collective au rabais et donc un renforcement des dérives du dumping social et des populismes réactionnaires à l’échelle de toute l’Europe.
Face à la spirale de la misère et de la guerre, face aux ravages de maladies
comme le sida dans les pays du Sud, l’Union européenne est incapable de
mobiliser des moyens humains et financiers pour aider à développer des
systèmes de santé et d’éducation, des agricultures et des industries respectueuses des hommes et de l’environnement, qui correspondent à l’intérêt global de l’humanité. Bien au contraire, les dépendances et rivalités néocoloniales sont confortées ; l’ouverture de marchés fragiles aux exportations européennes est imposée ; les politiques dévastatrices de l’OMC, du FMI ou de la Banque mondiale sont appuyées ; et des pays européens sont toujours complices de bains de sang, que ce soit en ex-Yougoslavie ou en Afrique centrale, en Afghanistan ou en Irak. Rien dans la « Constitution pour l’Union européenne » ne permet d’espérer un changement de ces orientations.
Ainsi, au lieu de l’Europe sociale et solidaire promise, c’est une Europe-puissance qui veut s’imposer, féroce avec le tiers monde et obsédée par le terrorisme (article I-43), par la coopération judiciaire et policière et par la protection des frontières contre l’immigration (articles III-265 à 277). Cela se
conjugue avec l’exclusion de la citoyenneté européenne - et donc du droit
de vote - de tous les résidents de nationalités autres que celles des Etats de
l’UE (article I-10). La référence constitutionnelle à un héritage religieux (préambule) et à un lien aux Églises (article I-52) complètent l’image d’une
Europe-forteresse occidentale.
9. Le mythe du « modèle social » européen
Le Traité de Nice et la Charte des droits fondamentaux ont été adoptés au
moment où 13 gouvernements européens sur 15 étaient dirigés par la gauche. On en voit depuis la portée progressiste ! Maintenant il faudrait que
l’on suive Chirac, Berlusconi, Blair et Schröder pour graver dans le marbre
cette même logique d’adaptation à la globalisation financière, d’accompagnement du libéralisme ? Le seul espoir social-démocrate, synthétisé par Michel Rocard (qui dit lui aussi regretter le libéralisme dans Le Monde du 22 septembre 2004), serait que « dans une décennie ou deux », l‘Europe soit « assez structurée juridiquement et puissante politiquement pour qu’enfin une majorité de gauche puisse y entreprendre une sérieuse inflexion du capitalisme vers une société solidaire »... D’ici là, Rocard nous propose probablement que l’on souffre en silence, avec une foi carrément mystique dans ses collègues qui font des ronds de jambe dans le velours des conseils d’administration et dans les tours d’ivoire des institutions. Cette orientation ne peut que provoquer de nouveaux reculs, de nouveaux désastres. Nous pensons à l’opposé qu’il faut prendre à bras le corps la construction d’une réelle alternative, en imposant, par la mobilisation populaire, des ruptures par rapport aux politiques menées depuis des années.
ALORS QUELLE ALTERNATIVE ?
10. Dire « non » ce serait casser l’Europe pour un repli national ?
En premier lieu, si le traité constitutionnel est repoussé demain, l’Union
européenne continuera de fonctionner après 2009 selon les modalités
actuelles, mais la remise à plat de ses orientations n’en apparaîtra que plus
nécessaire. Ce ne serait donc ni la fin immédiate de l’UE pleurée par ses
défenseurs, ni l’avènement de l’Europe à laquelle nous aspirons. Ce serait
juste assumer le fait que la construction européenne sur les bases actuelles
est en crise et mène à une impasse dramatique. Contrairement à d’autres,
notre position sur la Constitution européenne ne repose pas sur une
défense de l’Etat français et de son patronat, ni sur la consolidation de
l’Union européenne dans ses frontières actuelles, ou à sa réduction à
l’Europe occidentale ou « de tradition chrétienne ». Dans ce sens, nous refusons tout veto contre un peuple qui déciderait souverainement vouloir entrer dans l’Union européenne, qu’il soit norvégien, roumain ou turc.
Pour nous, les luttes pour l’emploi, pour la protection sociale, pour les droits
des femmes, ceux des minorités, pour la défense de l’environnement et
contre la guerre, ne sauraient conduire à des attitudes et alliances chauvines
quel que soit leur niveau. Il s’agit d’un combat à mener avec tous les
exploités et les opprimés contre les classes dominantes au niveau local,
national et international. Notre ambition est que la dynamique du refus de
la Constitution soit dominée par un « non de gauche » antilibéral et internationaliste, en France comme dans les autres pays européens. Contre la
résignation ou le repli réactionnaire où nous mènent le libéralisme armé et
les partisans du « oui » à la Constitution, il s’agit d’ouvrir un processus de
refondation de l’Europe, porté par les mouvements sociaux et citoyens. Car
ces mouvements sont en recherche d’un espace public à l’échelle continentale
pour répondre aux politiques libérales et au monstre qu’est devenue
l’Union européenne. C’est ce qu’illustrent, à une échelle encore
insuffisante, les eurogrèves, les euromarches et les Forums sociaux
européens. Ceux-ci permettent déjà d’associer aux débats et aux luttes pour
une autre Europe des forces sociales, syndicales, associatives et politiques,
critiques de la mondialisation capitaliste et de la construction européenne,
dans ou hors de l’UE.
11. Préparer une alternative sociale et démocratique
Il faut refonder les objectifs et les contenus d’un projet européen :
æ Une Europe sociale, c’est donner la priorité à l’emploi, par une législation
de protection contre les licenciements, par l’adoption de critères sociaux de
convergence en matière de salaires, d’organisation du travail, de protection
sociale, par une baisse concertée du temps de travail avec embauche correspondante, par le développement des services publics européens et un
programme de grands travaux publics, par la relance de la consommation
populaire. Elle supposerait que soit rétabli le contrôle de pouvoirs démocratiquement élus sur la Banque centrale et sur les politiques monétaires. Elle exigerait une réforme fiscale fortement redistributive et l’adoption de ressources budgétaires permettant de développer de véritables fonds structurels, financés par des impôts sur les transactions financières, sur l’utilisation des énergies non renouvelables et sur les fortunes. Dans cette Europe où les droits des citoyens ne s’arrêteraient pas à la porte des lieux de travail, les droits à l’existence l’emporteraient sur le droit de propriété, le service public et l’appropriation sociale sur l’intérêt privé et le calcul égoïste, la logique de la solidarité sur celle de la guerre de tous contre tous.
æ Une Europe démocratique, c’est l’établissement d’un principe de
citoyenneté fondée sur l’exercice des droits civiques, à commencer par le
droit de vote et d’éligibilité, sur la seule base du territoire de résidence, contre
la tentation sécuritaire d’édifier des frontières intérieures et d’organiser
un apartheid rampant contre les travailleurs immigrés et les sans-papiers.
C’est l’égalité des droits entre les sexes et la garantie d’une représentation
égalitaire sur le plan politique ; c’est le droit à la contraception, à l’avortement
libre et gratuit. C’est une Europe laïque, dont l’espace public, tout en
respectant la liberté de culte, ne peut se réduire à une coexistence plus ou
moins pacifique entre autorités et communautés confessionnelles, ce qui
suppose la séparation entre la puissance publique et les Églises et le refus
de tout financement de ces dernières par des fonds publics.
Cette Europe doit être pilotée par le débat public au sein d’Assemblées élues
au suffrage universel, désignant des exécutifs responsables devant elles et
cessant de gouverner dans le secret des connivences technocratiques et
patronales. Ces Assemblées doivent représenter les citoyens d’Europe et
leurs courants politiques, mais aussi chaque peuple et les États et qui ne
disparaîtront pas du jour au lendemain. Etablir l’architecture institutionnelle
concrète qui permettra à ces principes d’être respectés sera un des
enjeux d’un réel processus constituant européen pris en charge par un Congrès des peuples d’Europe
æUne Europe écologique, c’est l’application des accords de Rio et de Tokyo
pour la protection de l’environnement, avec le refus d’instaurer un marché
mondial des droits à polluer ; c’est l’arrêt immédiat des programmes
nucléaires militaires et la reconversion programmée du nucléaire civil. C’est
un soutien prioritaire à l’agriculture paysanne et biologique, et un moratoire
sur les organismes génétiquement modifiés ; c’est enfin le refus de la
confiscation et de la privatisation des ressources naturelles et des savoirs
par le brevetage du vivant.
æUne Europe solidaire, c’est la rupture avec la logique suicidaire de la course
aux armements, par une élimination unilatérale de ses armes de destruction
massive et une négociation mondiale pour le désarmement multilatéral.
C’est la logique systématique de la coopération civile contre celle des interventions militaires de « maintien de l’ordre » ou de « lutte contre le terrorisme » qui n’amènent que des désastres. C’est l’abolition de la dette inique qui asphyxie les pays du tiers monde, soumis par ce biais à une domination néo-coloniale, c’est l’arrêt des subventions aux exportations du Nord, et c’est l’instauration d’une taxe sur les capitaux, destinée à financer un
fonds mondial de lutte contre la faim et la maladie.
Sociale, démocratique, écologiste et solidaire, cette Europe que nous voulons
formerait une libre association de peuples et de nations. Elle respecterait
le droit des peuples à l’autodétermination, le droit des minorités culturelles
et nationales qui ne saurait être confondu avec les décentralisations
libérales qui nourrissent les inégalités territoriales. L’élargissement de cette
Europe aux frontières mobiles relèverait de la décision des pays candidats
adhérant librement à ses principes constitutifs.
Les mobilisations pour une autre Europe, combinées avec un rejet politique
fort de la « Constitution », peuvent et doivent ouvrir une crise qui permette
de reprendre la construction de l’Europe sur de nouvelles bases. Il est en
effet impossible de réformer progressivement le cadre institutionnel d’aujourd’hui. Sur les bases actuelles de la concurrence sans entraves, de la
course au profit, de la destruction des conquêtes sociales, l’Union européenne
va à toute vitesse vers une crise qui sera dévastatrice et ne pourra
qu’encourager les régressions nationalistes et chauvines. La rupture est,
pour cette raison, nécessaire.
Nous agissons pour que cette crise se dénoue, non au profit d’un retour à
des politiques étroitement nationales, mais pour une autre Europe, progressiste et solidaire, antilibérale, anticapitaliste. Cela passe par la convergence des mouvements sociaux et de partis politiques partageant ce projet au niveau européen. Et nous pensons également que cela passera par la prise de conscience que le contrôle et la maîtrise de l’économie par les peuples, l’exigence d’un développement durable impliquent une planification
autogestionnaire et démocratique des grands choix sociaux et écologiques,
et la socialisation des secteurs-clé de la production. Un tel processus devra
s’appuyer sur la démocratie la plus large pour affronter les intérêts des classes dominantes, mais à l’heure de la mondialisation capitaliste, seule une
politique alternative remettant à l’ordre du jour la question du socialisme
constitue une réponse à la hauteur des enjeux."
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1. > NON A LA CONSTITUTION LIBERALE (LCR), 22 mai 2005, 22:52
Comment avoir ce DVD ?, merci
2. > NON A LA CONSTITUTION LIBERALE (LCR), 24 mai 2005, 10:01
Merci pour ce texte.
Un autre site pour le NON : http://didier.morandi.free.fr/non
D.