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NOTES PARTISANES, de BEPPE FENOGLIO

Publie le mercredi 25 février 2004 par Open-Publishing

Traduction

de Enrico Campofreda

Qui parle de rhétorique de la Résistance méconnaît l’ouvrage du plus grand auteur
de romans partisans : Beppe Fenoglio. Italo Calvino, qui avec Vittorini en soutint
la première publication dans la collection "I Gettoni" écrivit de lui : "Ce fut
le plus solitaire de tous qui réussit à faire le roman dont nous avions tous
rêvé quand personne ne s’y attendait plus, Beppe Fenoglio. Le livre que notre
génération voulait faire est là à présent, et notre travail a un couronnement
et un sens et ce n’est qu’à présent que, grâce à Fenoglio, nous pouvons dire
qu’une saison s’est achevée, ce n’est qu’à présent que nous sommes certains qu’elle
a vraiment existé : la saison qui va de "Il sentiero dei nidi di ragno" à "Una
questione privata" (juin 1964, introduction à son "Il sentiero dei nidi di ragno",
Garzanti, Milan).

Fenoglio est un "mineur" cyclopéen de la littérature contemporaine, trop souvent
diminué dans son talent d’écrivain par ceux qui l’accusaient d’avoir écrit toujours
le même roman. En effet le thème de la guerre partisane - qui marqua profondément
sa jeunesse et, comme pour lui, celle de tant d’autres et qui se poursuit dans
ses œuvres en en faisant un grand texte bariolé- peut d’une limite se transformer
en une qualité. En particulier si nous considérons non seulement la valeur d’un
témoignage réaliste sur un évènement historique, dépouillé de toute fonction
commémorative, mais aussi celle du travail stylistique de l’écrivain. Celui-ci
avait dans sa jeunesse commencé une étude personnelle de la littérature anglo-saxonne,
fasciné par la rigueur éthique et peut-être aussi linguistique de cette langue.
Il avait probablement introjecté la leçon américaine proposée par Pavese et Vittorini
dans les traductions des romans de Hemingway et de Steinbeck qui exaltaient un
langage essentiel et descriptif. Mais ensuite il y mit du sien. Le jeune Beppe écrit
d’instinct, sans fioritures, il utilise les adjectifs justes qui réussissent à raconter
un monde avec peu ou pas d’adverbes, souvent il jette sur le papier des articles
aussi. Les phrases de ses romans sont directes comme les coups de fusil des patriotes,
l’exact contraire de certaines contorsions linguistiques dérivées de la littérature
du 19ème siècle, pleine de clinquant. Il y a chez lui un talent absolu dans l’écriture,
passant par une sensibilité d’artiste et imprégné d’une nature authentique de "langarolo" (natif
des "Langhe", région située au Sud du Piémont, entre la Ligurie et la France).
Chez Fenoglio, l’art de la narration est sec comme son visage, parfois anguleux à l’image
de son corps osseux mais précis, défini, riche en significations et en prolongements
interprétatifs.

Dernier par sa publication - Einaudi l’a imprimé en 1994 - les "Notes partisanes" sont
le premier texte du cycle sur la Résistance de l’auteur. La répétition de ce
chef d’œuvre narratif et linguistique qu’est "Le partisan Johnny" (publication
posthume en 1968) et de l’autre roman admirable sur la lutte antifasciste dans
les "Langhe" "Les 23 jours de la ville d’ Alba, donné à imprimer en 1952, avec
l’ajout de "Une question privée" dont le titre révèle déjà les intrications personnelles
dans un fait historique collectif tel que le fut la lutte de Libération.

Les "Notes" furent mises à jour par le hasard qui amena les héritiers à ne pas
se séparer du mobilier de la boucherie familiale où étaient bien rangés quatre
carnets, au frontispice "Boucherie Fenoglio Amilcare, place Rossetti, Alba" sur
lesquelles le jeune de 24 ans Beppe, à peine la guerre terminée, écrivit le texte
de sa main, de son poing.

Les carnets, passés dans la famille de Giancarlo Molino, ont été examinés et
préparés pour la publication par un expert de l’œuvre de Fenoglio, Lorenzo Mondo,
qui avait déjà fait connaître le roman le plus célèbre de l’écrivain d’Alba.
Ils sont tous divisés en colonnes avec les mentions : date, viande, prix, montant,
sur le premier Beppe écrivit la dédicace : "A tous les partisans morts d’Italie" puis
corrigée : "A tous les partisans d’Italie, morts et vivants".

C’est l’unique concession rhétorique, si l’on veut la considérer comme telle,
et non comme le souvenir ému de ceux qui ont donné leur jeunesse et leur vie
pour la liberté du Pays. Le reste est réalité, crue et tendre : faim, froid, fuites,
embuscades, peurs, mesquineries du quotidien, infamies des taupes fascistes et
de quelques partisans aussi. Et puis la mort et la douleur mais aussi l’ironie
et l’amour. Amour sacré pour Anna Maria, amour profane et sensuel malgré les
lieux où il est consommé, pour l’estafette Claudia.

TRAMA

Au maquis

"Retournes-y, si tu te sens, retournes-y. Mais sache que chaque fois qu’ils passeront
en camion avec leurs mitrailleuses et leurs chiens à travers ces collines où tu
seras, je me sentirai mourir".

C’est la mère du partisan Beppe qui salue son fils revenu, comme d’autres jeunes,
combattre après que le chef-lieu des Langhe est retombé aux mains des fascistes
(2 novembre ’44). En la serrant dans ses bras, Beppe se retrouve dans la poche,
devant l’arme, un saucisson cuit empaqueté ; il vit la condition de l’homme simple
qui risque, outre la vie, les rigueurs de l’hiver et s’avance vers l’inconnu
pour un idéal. Une infinité de pensées le suivent, pour la famille, les amis,
la presque fiancée. Mais il avance, il avance cherchant une bande à laquelle
s’unir.

Des paysans, il reçoit des nouvelles du passage de la "République" (1) et la
traînée de mort qu’elle laisse toujours derrière elle ("Fusillé, les salauds.
C’est le drapeau de l’école mais cela ne le recouvre pas en entier même s’il
est tout petit"). Après avoir coupé tous les ponts, Beppe entre dans la clandestinité,
brûlant sa carte d’identité. La route monte vers le cœur des Langhe, entre Tànaro
et Bormida, là où cinq mille partisans sont en train de se battre. Là il cherche
la ferme Cervasco tandis que le suit l’aboiement des chiens ("Dieu, ces sales
chiens de campagne sont nos pires ennemis, ils viennent juste après les fascistes").

En bande

C’est un nouveau jour qui commence ("Lumière naissante, il sera six heures et
demie. Mais ce sera une belle journée et pour nous aussi, partisans, les belles
journées ont un sens ") dans le rassemblement des badogliani (nom donné aux militaires
de l’armée italienne qui après le 8 septembre ’43 se constituèrent en bandes
militairement organisées dans la guérilla contre les nazifascistes, NdT) on voit
beaucoup de foulards bleus aussi durs que les garibaldiens envers les partisans
qui se trompent. Beppe en voit la conséquence sur le visage tuméfié d’un certain
Johnson que l’on promène pour la punition de tous. Puis il rencontre une femme,
Carmencita et la salue galamment d’un "Mademoiselle" ; elle redresse le buste
et lui dit de l’appeler par son nom. Le Commandant cherche à séduire le nouvel
arrivant avec une mitrailleuse Browning. S’il reste, elle sera toute à lui. Mais
Beppe, qui pourrait utiliser comme nom de bataille Heathcliff mais préfère qu’on
l’apelle avec le prénom que tous lui connaissent, veut rejoindre ceux d’Alba à la
ferme de la Langa. A l’heure du repas, on socialise, on plaisante, on se vole
le pain, on se parle de la vie civile. Puis une sœur lui donne un "Cœur de Jésus" qui
a la vertu d’arrêter les balles.

Ferme de la Langa et Anna Maria

Beppe part pour la ferme de la Langa où il y a toujours eu à boire et à manger.
les partisans l’exploitent depuis le début ’44, aussi bien les badogliens que
les rouges. Là, il retrouve les amis, les frères Piccàrd et Cervellino, c’est
pour eux qu’il a renoncé au poste de bombardier dans la brigade de Mango. Dans
la ferme, les partisans de la bande de Baffo se comportent comme des "cochons
et des vandales (toilettes obstruées par des viscères de poules et de lapins,
chaises bancales, lits défoncés)", on attend le Commandant de Division pour les
punitions qui conviennent.

C’est dimanche et, avec ses deux amis partisans, Beppe pense faire un saut dans
un village du coin avec la voiture rouge du commandement. Une de ces voitures
qui "roulent à l’essence, au gasoil, à l’alcool, au dissolvant, à la liqueur
de luxe et parfois, semble-t-il, à l’eau". "Comme toutes les autres voitures
de partisans. Elle roule au carburant "pousse-moi", si tu ne la pousses pas pendant
un temps suffisant, elle ne risque pas de démarrer, aucun espoir". Tous les trois
disent qu’ils vont en reconnaissance, mais en fait ils vont à S.Stefano voir
les filles se promener. Pour se donner une allure, ils portent avec eux le chien-loup,
bel exemple de chien de garde et mascotte du détachement.

De partout la place est colorée de partisans qui se promènent avec les filles.
Au deuxième tour et comme aucune fille n’est disponible, Piccàrd penche pour
le bordel de Canelli et avec lui, Cervellino. Beppe reste seul avec le chien. "Quelle
bête magnifique !", entend-il dire. Il se retourne et voit "la plus magnifique
paire de jambes qui se soit jamais présentée à mes yeux attentifs". C’est Anna
Maria, une fille seule, environ 20 ans, aussi belle que se présentent les jambes
qu’elle a et "nous nous promenons, moi et la fille parfumée". Beppe s’étonne
qu’elle ne soit pas accompagnée, c’est parce qu’on la juge fière et que tous
se découragent. Même les civils dont, de toute façon, elle ne veut pas. "Ce n’est
pas décent d’être civil par les temps qui courent". Entre eux deux il y a entente
et attraction "pourquoi on ne se dirait pas Beppe et Anna Maria ? C’était le
moment, Anna Maria". Et puis, il y a sentiment "Tu as froid, Beppe ? Moi, je
te fais une paire de gants. Et une écharpe toute blanche, avec aux deux bouts
un cœur rouge et une épée bleue".

La journée des excursions

Beppe croise des partisans à la fonction de garde du corps. Ils ne lui plaisent
pas : ils sont bien florissants, ils se donnent des airs, exhibent de belles armes
qu’ils n’ont pas conquises, accompagnent le Commandant de Division. Celui-ci
dit à Beppe qu’il a su qu’il connaissait l’anglais et qu’il pourrait être utile
ailleurs : dans la liaison entre deux commandements. Il y a dans l’air un énorme
ratissage fasciste. Beppe regarde en bas, vers l’église et voit le curé "gras
comme un cochon, tête carrée, brebis noire de tout le clergé diocésain", c’est
lui qui confessera un Républicain prisonnier que l’on va désormais fusiller.

Puis, de l’estaffette Pucci à Moretto et au Commandant, on a la certitude que
le maître d’école de Rocchetta est une taupe de la S.Marco (2) de Canelli. Les
paysans descendent en courant au village, vont au clocher et sonnent à toute
volée. Sur la place, il y a toute la population de Rocchetta. Il s’ensuit des
cris excités et des injures qui accompagnent le maître d’école" salaud et traître,
qui se servait de sa belle instruction pour écrire de belles lettres aux assassins
de la S.Marco". "Les gens crient, le cou enflé : - Oui, que c’est une taupe, par
Dieu, c’en est une !" Pour lui, c’est la fin : aucune pitié. C’est Moreto qui
procède à l’exécution "ce n’est sans doute pas ce qu’il attend, il fait une belle
rafale, serrée. Le maître fait un tas noir sur le sol et sur le mur, il y a une
rosace de petits trous et de giclées de sang".

Le ratissage

En attendant, les nuits sont froides mais d’un froid que l’on supporte immobiles
et durant les heures de garde partisane on se maintient éveillé de toutes les
manières "Blackie nous a parlé jusqu’au petit jour de ce que les femmes ont au
sommet des jambes". Les discours stimulent les désirs : Beppe pense à Anna Maria,
Cervellino dit que "si la nièce (de la fermière) n’était pas si repoussante,
ce serait son heure".

Les jours suivants démarre une chasse à l’homme "ces faux-culs de fascistes,
taupes des Allemands leur ont dit qu’il y a le commandement et le gros de notre
division". On écoute Radio-Londres, on monte la garde et on patrouille, on se
bat contre les Allemands et les fascistes mais on trompe l’attente en jouant
au sept et demi et on s’endort sur la table. Puis les ennemis arrivent avec des
camions et des canons mobiles et les partisans doivent décamper. Ils s’éparpillent
pour ensuite se retrouver, une fois terminé le ratissage. Ils marchent pendant
plusieurs jours "Piccàrd dit qu’il aurait aimé avoir un compteur kilométrique
fixé au pied gauche". " La compagnie ne nous manqua pas, le partisan Blister
qui nous semblait courageux se joignit à nous trois. Mais ensuite, il en eut
assez ou bien il eut peur, il entra en partisan dans une maison de domaine et
en sortit en civil".

La punition de Blister

A peine en eurent-ils fini avec le rôle de partisan que Blister et Jack se sont
mis à faire les pillards et méritent la punition. Interrogé par le commandant
Cosmo, Blister se défend en disant que les pillés sont des fascistes. Cosmo lui
crie que si ces gens-là sont des fascistes, lui il est le Duce et lui assène
son poing dans la bouche. Blister pleure à mi-voix. Son sort est réglé : Set s’avance,
renfrogné et demande à ce que ce soit lui qui fusille les deux voleurs : il tirera
avec beaucoup de plaisir comme s’ils étaient républicains. Le condamné, pour
se donner du courage, minimise, dit que les compagnons n’auront pas le courage
de les supprimer. L’arme s’enraye, Blister rigole, mais l’exécution a lieu pourtant,
la sépulture de Jack sera même mal faite.

Ensuite le grand ratissage part vers les Langhe orientales, il touche le front
garibaldien "les fascistes couraient en avant, tirant à vue sur ces foulards
rouges". Les badogliens de Beppe qui sont en garnison ailleurs ne subissent pas
l’attaque, cependant ils se déplacent pour voir comment cela évolue. Il n’y a
pas de nouvelles certaines, la République peut surgir d’un coup derrière une
colline. C’est ainsi qu’après un régal de gnocchi, de poires et de noix grâce à ceux
de Neive, c’est la bataille "les mitrailles, les lance-flammes et de vulgaires
fusils qui font du jazz". Les partisans se retirent et la terre les poursuit
de giclées et d’éclaboussures. Dans la confusion, les contacts se perdent, chacun
ne sait plus où est l’autre. Beppe pense au pire, il croit que Cosmo, Piccàrd,
Cervellino sont morts.

L’estafette Claudia

Il en parle avec la fermière quand il revient à la ferme de la Langa. Elle sait
mais ne révèle rien. Il les retrouve ensuite tous, qui dorment dans une chambre,
il y a même le chien qui les regarde au pied du lit. Le pire est passé et les
partisans sont repris de démangeaisons : ils regardent les filles qui sont dans
les pâturages, même s’ils savent qu’elles puent la chèvre et sont vêtues par-dessous
comme des sœurs. C’est la même vie, on défend, on se bat, on joue aux cartes,
des nouvelles circulent à propos de grands mouvements de taupes, en particulier
dans la vallée du Belbo. Beppe reçoit une lettre de sa sœur et depuis plusieurs
jours trouve le moyen de croiser le regard de l’estafette Claudia.

Un soir, à table, "Claudia s’assoit à ma droite. Et se colle là pour tout le
repas, se faisant palper les jambes pour que je sente la finesse de la soie des
bas, ... en enfonçant mon index dans la profondeur de ses cuisses". Cest ainsi
que de nuit, dans une obscurité profonde, Beppe la rejoint "Elle saute assise
sur son lit et me dit qui va là ? Puis elle dit : Ah, viens et assieds-toi. Elle
me prie de ne pas enlever tout de suite mon pantalon, me raconte comment elle
a fait pour se retrouver avec les partisans". "Elle me dit que si je vais avec
elle à Cortemilia, elle me fait faire la répétition en route. Je dis que la répétition,
nous la faisons ici et tout de suite. Nous luttons. Quand une fille serre les
cuisses, il n’y a pas de coin qui les lui ouvre... Puis Claudia se laisse aller,
avec un soupir comme si quelque chose était sorti d’elle".

EDITION EXAMINEE et BREVES NOTES ;

Beppe Fenoglio (Alba 1922 - Turin 1963), écrivain italien

Beppe Fenoglio, Notes partisanes, Einaudi, Turin, 1994

Introduction et appendice sous la direction de Lorenzo Mondo

Bibliographie conseillée

M.Rosa Bricchi, Due partigiani due primavere, Longo Editore, Ravenna, 1983
Roberto Bigazzi, La cronologia dei Partigiani di Fenoglio, in "Studi e problemi
di critica testuale" 21 (ottobre), 1983
Roberto Bigazzi, Fenoglio personaggi e narratori, Salerno Editrice, Roma, 1983
Giovanni Falaschi, La resistenza armata nella narrativa italiana, Einaudi, Torino,
1976
M.Antonietta Grignani, Ancora sui partigiani in Fenoglio, in "Studi e problemi
di critica testuale", 23, 1981
Eduardo Saccone, Fenoglio. I testi e l’opera, Einaudi, Torino, 1988

Du site www.lankelot.com

(1) C’est ainsi qu’on appelait les milices de la Rsi (République Sociale Italienne,
NdT), collaborateurs des nazis.
(2) Formations de la Rsi de la Marine qui se distinguèrent par leur répression
anti-partisane, exercée aussi envers les civils.

traduit de l’italien par Karl et Rosa

23.02.2004
Collectif Bellaciao