Accueil > Note d’analyse : La question du Sahara occidental

Extraits d’une interview avec Alice Corbet, postdoctorante au CÉRIUM
Comment voyez vous le rôle des associations pro-saharouies (ex : issues de l’UE) ?
Ce sont avant tout des associations de pression, de lobbying, qui se consacrent à faire connaître la cause sahraouie auprès des politiciens et auprès du grand public à travers quelques forums. Mais tant que le conflit reste peu médiatisé et écrasé par les efforts du Maroc (qui effectue diverses pressions, dès que quelque chose est organisé sur le sujet, même si c’est un colloque scientifique), ces efforts ont peu d’envergure et d’impact. C’est, me semble-t-il, la grande question du moment, prise en compte par les acteurs : tant que le conflit ne fait pas « la une » des préoccupations, personne ne s’en occupera, car chacun préfère jouer de l’indétermination actuelle qui arrange beaucoup les relations diplomatiques générales. En particulier les rapports entre le Maroc et l’UE, mais également Maroc/Algérie pour qui l’indécision est devenue un mode de communication. Même un début de famine dans les camps reste ignoré ; car comment attirer l’attention sur une famine de personnes dont on ignore l’existence, même au Maroc ou en Algérie ? Il me semble que la lassitude, la déception face à un processus de paix médiatisé par l’ONU complètement ensablé, et le désespoir pousse les sahraouis à mener des opérations de moins en moins diplomatiques.
De plus, il ne faut pas oublier que plusieurs Sahraouis vivent sous la domination marocaine, dans les « territoires du Sud ». Si certains ont adopté la position marocaine, d’autres se voient opprimés (la liberté d’expression au Maroc est extrêmement réduite sur ce thème, qui plus est depuis cet automne). Ainsi, certains peuvent être amenés à vouloir extrémiser leur lutte, à travers des réseaux terroristes qui se mettent en place dans cette région de non-droit, ou l’exception permanente instaurée par le conflit glace autant la population locale qu’elle n’ouvre les portes aux prêcheurs de la révolte. En outre, malgré l’investissement financier et symbolique très fort du royaume alaouite dans le Sahara occidental (lequel est matérialisé par la façon dont les villes sont aménagées), il faut noter que même des Marocains installés dans le Sud sont souvent prêts à adhérer par des activités de protestation, lesquelles restent à nuancer, car elles sont loin d’être terroristes ! Espoirs déçus, lassitude et ennuis sont décidément des notions prépondérantes, des deux côtés du mur et pour toutes les populations. Quand un peuple entier est oublié, après 30 ans de lutte, ceux qui vivent dans cette ambiance de refoulement peuvent sans doute tenter de prendre le corps comme porte-parole de leur cause et s’enfoncer dans des logiques destructives qui amèneraient, enfin et hélas, le conflit au premier plan des préoccupations internationales.
Mise à part l’Algérie, qui supporte le Front Polisario ?
Le Front Polisario est aussi soutenu par de nombreux pays qui ont reconnu l’existence de la RASD qui a été proclamée en 1976. La liste des pays qui soutiennent cette république en exil, dont l’exercice a lieu pour l’heure dans les camps de réfugiés, varie selon les efforts diplomatiques de chacun. Mais la plupart des pays de l’ex-bloc soviétique, du mouvement des non-alignés, ainsi que beaucoup d’État d’Amérique latine, dont Cuba et le Venezuela, entretiennent des liens forts avec les Sahraouis. Ces derniers se font notamment au travers des échanges d’étudiants et différentes formes de financements. En fait, diverses associations de soutien s’activent à travers le monde, mais elles sont restreintes et leur portée est assez nuancée. Elles influent sur les déclarations de prises de position prises par les partis contestataires (majoritairement de gauche), mais leur lobbying est surtout écouté grâce à certains acteurs engagées, en particulier en Espagne où la population connaît le sujet à travers son l’histoire. Assez tristement, on peu dire que plus que des acteurs politiques, ce sont des personnages médiatiques qui permettent de faire connaître le conflit et bouger les engagements : les acteurs Angelina Jolie ou Xavier Bardem, ainsi que le chanteur Manu Chao, mobilisés à travers ces diverses associations, ont un impact bien plus fort sur l’opinion générale que les efforts politiques menés par l’ONU depuis des années.
Vous avez souvent visité des camps de réfugiés sahraouis, pourriez-vous raconter vos expériences ? Comment-ce conflit est-il vu concrètement par la population ?
Les camps ont été installés dès 1975, au début de la révolte sahraouie qui s’est d’abord concentrée sur le colonisateur espagnol avant de se focaliser sur le Maroc. Il y a cinq, plus un camp où sont réunis les organisations humanitaires et les bâtiments de la RASD, situés non loin de Tindouf, au Sud-Ouest de l’Algérie, dans une zone extrêmement aride. Le Front Polisario y a donc instauré une République en exil, et en a pris en main toute l’organisation. D’ailleurs, il est passionnant de voir comment on a fait nation à travers les camps de réfugiés, l’exil donnant l’opportunité à la population de prendre conscience d’elle-même, de faire peuple. Bref, mon expérience est une longue histoire, mais je tiens à témoigner de l’organisation assez poussée des camps, grâce à cet effort quasi étatique du Front Polisario, qui les administre à partir d’idéaux démocratiques tiers-mondistes qui ont marqué sa création. Je n’ai d’ailleurs eu aucun problème à faire ce que je voulais sur le terrain, tout en gardant une attitude d’anthropologue : je vivais avec les réfugiés, j’ai appris la langue, et je ne faisais pas de vagues.
Toutefois, dans des camps de réfugiés, la cause politique importe plus que la cause humaine. Les Sahraouis sont dépendants de l’aide, et les camps en eux-mêmes sont devenus des images de légitimation de leur cause. Les conditions de vie sont très difficiles, à cause du climat et de divers problèmes de gestion, sur tous les niveaux : il arrive ainsi que l’eau, apportée d’Algérie par camions-citerne, soit en retard ! Il y a de gros problèmes de coordination et d’entente sur les responsabilités entre les ONG et le Front Polisario.
De manière générale, il est évident que la population des camps se lasse. D’une part, il y a la génération qui est arrivée dans les camps, militante, qui a soutenu le Front Polisario. Cette dernière est fatiguée d’avoir mis tant de chose en œuvre pour un impact qui se résout à vivre toujours dans les camps -même si de mieux en mieux. De l’autre, il y a la seconde génération, née en exil, dans l’incertitude du présent infini des camps et nostalgique d’un pays qu’elle ne connaît pas. Cette génération est donc moins portée par des idéaux, car elle n’a pas lutté pour les construire. C’est cette génération qui peut perturber les camps aujourd’hui en se révoltant de manière plus extrême face au Maroc, ou en partant vivre à l’extérieur (Algérie, Espagne) afin de vivre « mieux », en attendant une résolution au problème des camps. Enfin, il ne faut pas oublier tous les Sahraouis qui vivent sous la domination marocaine ou en Mauritanie, et qui pour certains vivent mal cette attente envers une résolution du conflit, souvent perçu comme un conflit familial et identitaire.
Comment le rôle de la MINURSO a évolué au cours des dernières années ?
La MINURSO a pour mission d’établir le référendum d’autodétermination, mais à cause de diverses manœuvres, c’est un échec. Le plus dur est de déterminer la liste des personnes qui peuvent voter ! Cela donne lieu à de nombreuses manipulations. Dans les faits, elle a surtout un rôle de surveillance, pour voir si le cessez-le-feu de 1991 est respecté. Elle s’est aussi consacrée à la libération des détenus, même si c’est un échec. En fait, tous les Marocains prisonniers du Front Polisario ont été relâchés, mais il demeure de nombreux prisonniers sahraouis en territoire marocain. Finalement, cette mission de surveillance permet surtout d’observer des réseaux de contrebande ou de retrouver des migrants abandonnés au milieu du désert. Enfin, la MINURSO a comme activité importante le déminage de la zone, remplie de mines antipersonnel et de résidus d’obus, tout en doublant parfois le UNHCR en lui apportant une aide logistique pour certaines opérations (par exemple, lors de retrouvailles de familles séparées par le mur, en 2007).
Quelle est la pertinence de cette mission de paix traditionnelle ?
Hélas, si cela fonctionnait, il y aurait une vraie pertinence à la MINURSO. Mais en raison de l’enlisement du conflit et de la mauvaise volonté de tous à sa résolution, cette mission incarne avant tout un échec diplomatique majeur. C’est une mission passive, qui piétine, et se consacre à d’autres choses que son but principal, par défaut de moyens d’imposition de le mettre en œuvre. La plupart des militaires que j’ai pu rencontrer voient leur présence au Sahara occidental comme une longue période d’ennui, d’échec et d’inaction ! Ainsi, auprès des réfugiés et de nombreux observateurs, la réputation du personnel de la MINURSO est plus celle d’avoir volé ou abîmé des pétroglyphes que celle d’entretenir une bonne entente avec les divers acteurs sur place.
Est-ce que la coordination civile et militaire est difficile au Sahara occidental ?
Ce sujet est délicat. Il faut bien imaginer que, dans l’espace, la présence de la MINURSO interagit peu avec le Front Polisario. Ce dernier est installé dans les camps, alors que les militaires sont plus proches du mur. L’interaction est donc mesurée à des gestes organisationnels, nuancés par le manque de connaissance et de compréhension du fonctionnement local par le personnel de l’ONU. Dans cette histoire, il en va aussi du mode diplomatique propre aux Sahraouis, des réputations personnelles, des relents tribaux, etc. Il est sans doute de même du côté marocain. Chacun essaie aussi d’influencer l’ONU, et la MINURSO est souvent perçue comme un outil à manipuler pour atteindre un but politique. Méconnaissance, mésentente personnelle, différence de perception des problèmes : ainsi malgré quelques bonnes volonté, l’impasse demeure et l’impatience augmente.
De plus, à chaque vote de renouvellement de la mission, il est question d’étendre le mandat de la MINURSO à la surveillance du respect des droits de l’homme, des deux côtés du mur : dans les camps comme dans les territoires administrés par le Maroc. Cette revendication est soutenue par le Front Polisario et ses alliés, mais bloquée à chaque fois par le Maroc, appuyée par la France, pour qui les droits de l’homme ne se règlent qu’à Genève au Conseil des Droits de l’homme de l’ONU.
L’ONU supervise depuis juin 2007 des pourparlers de paix près de New York, le cycle de Manhasset. Pourriez-vous décrire les causes de l’impasse, lors de la dernière rencontre officielle (Manasset IV, datant de mars 2008) ?
Il faut voir ces pourparlers comme une avancée, dans le sens où ils ont permis, pour la première fois depuis les accords d’Huston de 1997, de réunir les deux interlocuteurs autour d’une table. Cela peut paraître quelconque, mais dans un conflit ou personne ne se nomme et où l’ennemi n’est identifié que par défaut ou assimilation, c’est une avancée ! Cela a aussi permis à chacun d’établir ses positions de manière claire : d’une part, l’exigence d’une referendum à trois options pour le Front Polisario, de l’autre une autonomie interne du territoire pour le Maroc. Après tant d’efforts, chaque partie a décidé d’arrêter là les concessions et de rester sur ses positions indiscutables. Toutefois, cette reprise du dialogue a donné lieu à des efforts de réflexion de la communauté internationale, ainsi qu’à des rencontres informelles comme à Vienne, en août 2009. Le tout est brouillé par diverses déclarations des représentants de l’ONU qui donnent leurs avis personnels et soulèvent indignation et tension récurrentes. Alors que l’on pensait que les négociations allaient reprendre, les discours offensifs marocains et l’histoire d’Aminatou Haidar marquent un nouveau temps d’arrêt aux espoirs soulevés.
Source : ROP (Réseau Francophone de Recherche sur les Opérations de Paix)