Accueil > "Nous ne démolissons pas des maisons sans raison"

"Nous ne démolissons pas des maisons sans raison"

Publie le mardi 10 juin 2003 par Open-Publishing

BEIT HANOUN, Gaza - La maison d’Ahmed Za’anin ressemble désormais à
quelque 1.200 autres maisons palestiniennes : un monceau de gravats. Le 18
mai, vers 19 heures, les bulldozers de l’armée israélienne ont abattu quatre
maisons, dont une partiellement, qui appartenaient à la famille étendue
Za’anin, à Ezbat Beit Hanoun, au nord de la Bande de Gaza.

D’habitude, le Bureau du Porte-parole des Forces Israéliennes de Défense
(FID) indique la raison pour laquelle une maison a été démolie : parce que
c’était la maison d’un terroriste qui a été arrêté, ou qui était recherché,
ou qui a été tué, ou parce que la maison a été utilisée pour tirer sur des
soldats israéliens, ou parce qu’elle abritait des hommes armés, ou des
tunnels, ou parce qu’elle avait été bâtie sans permis.

Mais cette fois, le Bureau du Porte-parole des FID ne disposait d’aucun
rapport à propos de la démolition des quatre maisons, de sorte qu’il ne
pouvait fournir aucune explication quant à la raison pour laquelle les
maisons de la famille Za’anin avaient été démolies. « Nous ne démolissons pas
des maisons sans raison. Peut-être des tirs ont-ils eu lieu, peut-être
existe-t-il un lien avec des activités terroristes », a-t-il été répondu à
Ha’aretz. Mais les faits demeurent : les forces qui ont envoyé un ou deux
bulldozers et, comme ont pu l’observer les propriétaires des maisons, les
ont démolies, n’ont pas jugé nécessaire de rendre compte de leurs actes au
Bureau du Porte-parole de l’armée.

De même, on ne trouve aucune trace de l’explosion que les membres de la
famille Za’anin ont entendue le même jour, vers 18 heures, dans une rue
contrôlée par des chars et des véhicules de transport de troupes. Quelque 20
minutes plus tard, la famille, rassemblée dans le living, entendait le
vacarme des bulldozers s’approchant.

« Brusquement, nous avons vu des Juifs dans la maison », raconte Aman Za’anin.
Un officier et des soldats sont entrés par la brèche qu’ils avaient ouverte
dans le mur de la maison. Ils ont pointé leurs armes en direction de la
famille, et leur ont ordonné de sortir. Selon la famille, ils n’ont pas été
autorisés à emporter avec eux quoi que ce soit. Pas même le châle pour
couvrir la tête de leur mère. La fille, étudiante, criait qu’elle ne
partirait pas sans ses livres et ses notes. Ses parents racontent qu’ils ont
dû l’entraîner de « sous le bulldozer ».

Hier, le Bureau du Porte-parole de l’armée a indiqué que « le 18 mai, une
explosion s’est produite lorsqu’un char a roulé sur une mine. Des obus
antichars ont été tirés vers les forces [israéliennes], à la suite de quoi
l’unité a rasé les restes d’un immeuble qui était déjà démoli, et était
inhabité. » L’information apparemment mise à jour est loin de la vérité,
telle qu’elle saute aux yeux sur les lieux des faits.

Est-on supposé en déduire que la décision de démolir l’immeuble a été prise
sur le coup par les forces armées, en réaction immédiate à l’explosion et
aux tirs antichars, et que le Bureau du Porte-parole de l’armée n’en savait
rien ? La société israélienne, y compris la Haute Cour de Justice, accepte
les démolitions de maisons palestiniennes, les trouvant justes, et dès lors
allant de soi. Partant de là, il n’y a pas loin au fait que trois maisons et
demies ont pu être démolies par l’armée sans que le Bureau du Porte-parole,
premier destinataire d’une telle information, en ait su quoi que ce soit.
Est-ce la raison pour laquelle l’unité de démolition est sûre de ses actes
et n’en rend pas compte ?

Ezbat Beit Hanoun est situé dans la banlieue orientale de Beit Hanoun, où
les FID opèrent depuis le 15 mai, pour empêcher le tir de missiles Qassam
sur Sderot. Dans les premiers jour de l’opération, dix roquettes ont été
tirées depuis le secteur de Beit Hanoun, dont six en direction de Sderot. Au
cours des dix derniers jours, les tirs de roquette ont cessé.

Les maisons de la famille Za’anin étaient construites à côté de la route
principale Gaza - Salah al-Din, qui passe entre ce quartier et le centre de
la ville. Un des bâtiments était encore en construction. Selon la famille
Za’anin, pendant les démolitions, un abri pour les chèvres a été détruit ;
quelques-unes des chèvres ont été écrasées sous les lourds engins. Des
entrepôts ont été démolis, de même que du matériel agricole, dont un
tracteur. Une Mercedes des années 60, encore en bon état, a été détruite, de
même que des ruches, qui ont été traînées et écrasées, et gisent maintenant
éparpillées parmi les décombres. Plus de 50 personnes vivaient dans les
quatre maisons, qui s’entassent désormais parmi leurs proches et leurs
voisins. Ils ne peuvent traverser la rue - pas même les plus âgés d’entre
eux - pour aller en ville. Les chars leur bloquent le passage.

Cinq Palestiniens ont été tués par des tirs des FID au cours des premiers
jours de l’opération menée à Beit Hanoun. Deux hommes armés ont été tués
alors qu’ils tentaient de tirer vers les chars. Ils ont été tués en dehors
de la ville. Deux jeunes, âgés de 15 et 16 ans, qui lançaient des pierres,
ont été tués à l’intérieur de la ville. Et Mohammed Za’anin, 14 ans, a été
tué. Lui et sa famille ignoraient que les forces israéliennes avaient pris
position dans la maison voisine. À la fin de la première journée de
l’invasion par les forces israéliennes, la famille Za’anin s’était rendue
vers un petit pont qui relie les deux parties de leur domaine, pour voir ce
qui se passait aux environs. Mohammed, le fils, a été tué - atteint à la
tête par une balle. Le 18 mai, un autre garçon, lui aussi âgé de 14 ans,
originaire du camp de Jabaliya, a été tué. Apparemment, il se trouvait parmi
ceux qui lançaient des pierres vers les chars qui assiégeaient la ville.

Les enfants grimpent sur les remparts proches des chars. Certains font voler
des cerfs-volants, d’autres s’essaient à une sorte de roulette russe : quand
est-ce que le char va tirer en riposte à leurs jets de pierres ? C’est ainsi
que, dans les premiers jours de l’opération,entre dix et vingt enfants
étaient blessés chaque jour, parce qu’ils lançaient des pierres en direction
des chars et des véhicules de transport de troupes. Le 3 juin, un policier
palestinien a été tué à 400 mètres à l’ouest de la route Salah al-Din. Une
balle l’a touché en pleine tête alors qu’il était en faction à son poste. Sa
mission consistait à empêcher des Palestiniens armés de s’approcher des
positions israéliennes.

Au cours des deux dernières semaines, les FID ont arraché les arbres dans
les vergers et les oliveraies de Beit Hanoun. Le premier jour de
l’opération, les FID ont dynamité quatre maisons dans Beit Hanoun. Deux
d’entre elles appartenaient à un homme recherché ; deux autres, à des
prisonniers détenus en Israël. Le Bureau du Porte-parole des FID en fait
état. Six autres maisons ont subi des dégâts, dont deux très importants,
mais officiellement, les FID n’en savent rien.

Amira Hass
Traduit de l’anglais par Giorgio Basile