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L’apparition du mouvement autonome a fait évoluer la notion de parti. Le parti " dirigeant "
d’hier,
se définissant lui-même comme " avant-garde révolutionnaire ", s’identifiait au prolétariat ;
cette
" fraction consciente du prolétariat " devait jouer un rôle déterminant pour élever la "conscience
de classe ", marque essentielle des prolétaires constitués en classe. Les héritiers modernes du
parti se rendent bien compte de la difficulté de maintenir une telle position ; aussi chargent-ils
le parti ou le groupe d’une " mission " bien précise pour suppléer à ce qu’ils considèrent comme
les
carences des travailleurs ; d’où le développement de groupes spécialisés dans l’intervention, les
liaisons, l’action exemplaire, l’explication théorique, etc.. ...Mais même ces groupes ne peuvent
plus exercer cette fonction hiérarchique de spécialistes dans le mouvement de lutte. Le nouveau
mouvement, celui des travailleurs en lutte, considère tous ces éléments, les anciens groupes comme
les nouveaux, en parfaite égalité avec ses propres actions. Il prend ce qu’il peut emprunter à ce
qui se présente et rejette ce qui ne lui convient pas. Théorie et pratique n’apparaissent plus
qu’un
seul et même élément du processus révolutionnaire ; aucune ne précède ou ne domine l’autre. Aucun
groupe politique n’a donc un rôle essentiel à jouer.
La révolution est un processus. Ce que nous avons pu relever en sont les premières manifestations
dans tous les domaines sociaux. Personne ne peut dire sa durée, son rythme et les formes qu’il
prendra. Ses manifestations seront inévitablement violentes, car aucune classe ne se laissera
déposséder sans résister avec la dernière énergie. Mais cette bataille ne sera pas les batailles
rangées au terme desquelles on verrait l’effondrement des armées du capital et l’installation de "
structures révolutionnaires ". Toute une série d’événements dont on ne peut prévoir ni le lieu, ni
le domaine, ni la forme, pourront toucher toutes les structures sociales sur tous les points du
globe, aussi surprenants sans doute par leur soudaineté que par leur caractère. Aucun d’eux ne
constituera la rupture brutale et générale attendue ; il ne sera qu’un élément parmi d’autres qui
pourra n’avoir aucun lien direct apparent avec les autres. Personne ne peut prétendre aujourd’hui
que la révolution russe, la révolution espagnole, les insurrections des pays de l’Est (Hongrie,
Pologne), Mai 68 en France, aient été la Révolution. Pourtant, chacun de ces événements a
profondément marqué l’évolution du capital et du processus révolutionnaire. Si l’on regarde le
monde
d’aujourd’hui, on peut dire que les révolutions au sens jacobin du terme passent de plus en plus à
l’arrière-plan, mais que le processus révolutionnaire lui-même est de plus en plus puissant.
Cette idée de la révolution dans un seul événement continue de hanter non seulement les vieilles
théories marxistes ou anarchistes de conquête ou de destruction de l’Etat par un affrontement
direct, mais aussi tous les succédanés plus ou moins modernisés de ces théories. Le vieux
mouvement
déploie des trésors d’ingéniosité et des efforts démesurés pour essayer de construire
l’organisation
adéquate, soit à l’aide de vieilles formules (léninistes divers, néo-anarchistes), soit sur de
nouvelles formules (marginaux, comités divers, communes), soit en se faisant les promoteurs d’un
nouvel élitisme au nom d’une " exigence" théorique et pratique.
De plus en plus, les individus en lutte pour leur propre intérêt tendent à assumer eux-mêmes
toutes
les tâches qui surgissent au cours de la lutte (coordination, informations, liaisons, etc ...).
Dans
la mesure où ils ne se sentent pas assez forts pour le faire par eux-mêmes, ils ont recours aux
organisations qui s’offrent à eux : sections syndicales, " gauchistes ", groupes divers ...
Ces
interventions et liaisons à la fois développent et freinent l’autonomie. Elles la développent dans
la mesure où elles multiplient les ouvertures, les liaisons de toute sorte et donnent confiance à
ceux qui les utilisent dans leur lutte contre les structures légales établies. Elles freinent
l’autonomie dans la mesure où elles tendent à ramener ou des courants d’idées et bloquent sur une
idéologie se référant au passé une action (et l’imagination qui l’accompagne) tournée vers le
futur.
Il apparaît ainsi qu’il existe un double affrontement de la base, d’une part, avec le capital et
ses
structures, d’autre part, avec ceux qui, luttant apparemment contre l’ordre établi, rêvent de
constituer de nouvelles structures imposant aux travailleurs les conceptions d’une " élite
révolutionnaire ". Il se constitue ainsi un énorme réseau de liaisons horizontales, empruntant des
canaux divers, extrêmement mobile, multiforme, permanent autant qu’éphémère, puissant par
l’accumulation des bonnes volontés, renouvelant les moyens matériels avec une force insoupçonnée.
Il se produit un énorme brassage d’idées, de théories, mettant à nu sans concession les faiblesses
et les forces des uns et des autres : tout un processus d’auto-éducation et d’auto-organisation
par,
et dans la lutte, semble commencer, dont on ne peut prévoir forme et aboutissement.
Certains croient découvrir dans ce bouillonnement nouveau de forces et d’idées, la naissance d’un
nouveau mouvement révolutionnaire, d’un nouveau parti. Ils essaient de rajeunir, à la faveur de
ces
tendances, les vieilles théories de l’organisation et du parti, ou celles de l’action directe de
minorités.
Le nouveau mouvement en est pourtant la négation même. Une des preuves est l’impossibilité
concrète
de toutes les tentatives de monopoliser dans une seule organisation les courants qui s’expriment
ainsi, de couvrir d’une seule idéologie les voies innombrables de l’action et de la pensée de ceux
qui luttent. La tentation de regrouper dans des manifestations cette "avant-garde" diffuse, non
récupérable, participe elle-même de l’idée de tous ceux qui se considèrent comme en faisant
partie.
Ces manifestations témoignent à la fois de la forme et de la faiblesse de cette "élite
révolutionnaire". Force, parce qu’en regard des partis traditionnels, elle paraît nombreuse et
peut
jouer un rôle non négligeable dans certaines luttes. Faiblesse parce qu’elle permet, à cause de
cet
élitisme, et dans la croyance en sa force, toutes les manipulation des groupuscules et l’illusion
qu’elle peut se substituer à l’action propre des exploités. Derrière tout cela, on retrouve l’idée
qu’on peut faire la révolution pour les autres.
Nous avons déjà souligné que les formes nouvelles de lutte témoignant de l’existence du nouveau
mouvement sont des formes transitoires modelées par les circonstances mêmes de la lutte à un
moment
donné, et que, dans sa tentative de désarmer ceux qui luttent et de surmonter la crise qui a donné
ouverture à ces luttes, le capital essaie d’aménager à son compte ce que la pratique a fait
surgir.
Ces tentatives viennent inévitablement des fractions les plus dynamiques des structures de
domination, de celles qui encadrent les exploités : entreprises, syndicats, partis, etc...
L’autogestion établie par décret du pouvoir d’Etat (quelqu’il soit) n’est qu’une tentative parmi
d’autres d’adapter les structures de domination du capital. Comme toutes ces adaptations, elles ne
parviennent, qu’à créer de nouvelles formes de lutte et à développer de nouvelles luttes
émancipatrices. Tous ceux qui confondent la véritable autonomie des luttes avec sa récupération
(jamais complète) veulent nier la dialectique de la lutte tout en imposant leur " science
théorique
" aux travailleurs sous prétexte de leur éviter de tomber dans le " piège de l’autogestion ",
etc...
En réalité, ceux qui luttent savent, mieux que la plupart des idéologues des nouveaux groupes,
distinguer, dans leur pratique, entre l’autonomie commandée par leurs intérêts propres et les
tentatives d’intégration commandées par l’intérêt du capital.
Ce qui se passe dans les luttes fait vite justice de toutes ces prétentions : une des
caractéristiques du nouveau mouvement, celui des exploités eux-mêmes, c’est de réduire les
prétentions de ceux- minorité, élite révolutionnaire - qui prétendent être ce nouveau mouvement et
de les ramener au rôle que ceux qui luttent leur assignent. L’existence et le rôle d’un " groupe
révolutionnaire " se trouvent radicalement transformés. La prétention à l’universalité se trouve
réduite à un élément d’une expérience parmi d’autres.
Toute théorisation n’est qu’une partie d’un tout et prise comme telle. Au moins aussi importante
que les luttes et liée étroitement à l’évolution de celles-ci est la transformation des attitudes,
des mentalités face aux valeurs traditionnelles du capital et des organisme qui s’y rattachent.
Cette transformation est une partie importante du processus révolutionnaire.
La critique par les faits concerne tous les aspects de la théorie, y compris les conceptions de
l’organisation. L’engagement que l’on se donne soi-même est d’abord motivé par l’expérience que
l’on
a soi-même des rapports sociaux dans un monde capitaliste. Cette expérience, la réflexion à ce
sujet
et les conclusions qu’on en tire, ne sont jamais qu’un aspect particulier, dans un monde si vaste,
aux interrelations si profondes et si peu connues, et en perpétuelle transformation ; personne ne
peut prétendre détenir une vérité autre que la sienne, qui le place sur le même plan que tous les
autres.