Accueil > PETIT VOYAGE EN UTOPIA
Utopia est une chaîne de salles de cinéma qui se veut différente des grands
multiplexes : programmation décalée et alternative, affichage politique "de
gauche" clairement proclamé, notamment dans la "Gazette", journal des
programmes du cinéma qui est distribué gratuitement à l’entrée du cinéma et
diffusé dans tous les lieux culturels ou alternatifs de la zone d’
achalandage du cinéma. Drainant par des tarifs avantageux et une politique
différente une clientèle d’étudiants et de personnes "engagées", ils se
veulent les archétypes d’une nouvelle forme de militantisme.
Mais l’envers de l’écran n’est pas aussi rose. En effet, Utopia c’est aussi
une entreprise, avec des patrons et des salariés. On aurait pu s’attendre à
ce que les relations de travail à Utopia soient différentes de ce qu’on
retrouve dans une entreprise classique. Elles le sont en effet puisque à l’
Utopia Toulouse, le patron a expérimenté une politique sociale dont le Medef
n’ose pas toujours rêver : travail bénévole, primes à la gueule du salarié
et en fonction de son degré d’accord avec l’idéologie du patron, etc. ... Des
anciens salariés d’Utopia Toulouse ont osé briser la loi du silence et dire
tout haut ce qu’un certain milieu militant connaissait depuis longtemps,
mais préférait taire pour ne pas écorner l’image et surtout pour continuer à
bénéficier des largesses d’une salle où ils peuvent organiser "cycles ciné"
et autres "fêtes militantes".
De la même façon que lorsque les salariés d’un Mac Do sont en grève, des
copains de la CNT-AIT de Paris Nord sont allés à la rencontre du public et
des salariés de l’Utopia de St-Ouen L’Aumône (95), en banlieue Nord, pour y
faire savoir comment ça se passe à Utopia Toulouse et susciter des
solidarités.
La guerre d’Utopia (Part one)
Une première distribution de tract a donc été organisée un soir de février.
Nous nous sommes retrouvés avec des copains du Groupe Makhno de la
Fédération anarchiste et du Collectif libertaire "l’Insurgé du 95". Nous
mettons en pratique les techniques rodées sur les piquets tenus devant les
fast-foods et autres Pizza Hut : distribution de tracts et slogans ("A
Utopia l’exploitation c’est pas du cinéma", "A Utopia les primes à la gueule
de l’emploi" ). A l’affiche il y avait notamment "Le couperet" de Costa
Gavras (l’histoire d’un tueur de chômeurs) et surtout "La corporation ",
film de dénonciation des multinationales américaines auquel participent
Chomsky, Michael Moore ("Farenheit 9/11") et Naomi Klein ("No Logo"). Bref,
des films où le capitalisme est mis en accusation. Nous pensions dès lors
trouver un public réceptif à notre action. Grave erreur ! En fait, pour la
plupart des spectateurs “alternatifs”, les conditions humaines dans
lesquelles un film peut leur être projeté n’ont pas d’intérêt. Il semble qu’
aucun des spectateurs présent ce soir-là n’ait réalisé que pour qu’un film
soit projeté, il faut qu’il y ait des humains qui mettent la bobine dans le
projecteur ... Seul comptait leur désir de consommation culturelle.
L’argument massue -ou plutôt qui se voulait tel- qui nous était assené c’
était "de toute façon Utopia, c’est quand même mieux que les multiplexes
UGC"... Nous en étions là de nos discussions quand nous avons vu sortir du
cinéma le gérant, visiblement sur les dents, venu nous dire que s’il ne nous
empêchait pas de distribuer nos tracts ( !) il nous demandait de bien
vouloir ne pas gêner l’entrée des clients. Éclat de rire général ! C’est mot
pour mot la phrase que nous sortent les managers de Mac Do quand nous
piquetons "leur" restaurant !
Avant de partir, nous avons discuté avec des membres du personnel du
restaurant associatif qui partage ses locaux avec Utopia et qui nous ont
confirmé qu’à St-Ouen non plus, tout n’était pas rose ... Fin du premier
épisode.
L’empire Utopia contre attaque (Part Two)
Dans la Gazette d’Utopia de Toulouse, la contre-attaque patronale s’était
étalée avec force mauvaise foi. Pour appuyer ce pur moment de propagande
patronale, le dessinateur Charb s’était fendu de plusieurs gribouillis dont
l’un qui disait "Pourquoi la CNT Toulouse ne vérifie pas ses infos ? Parce
que c’est du boulot ducon".
Ayant appris que le sieur Charb devait dédicacer ses œuvres dans une
sympathique librairie parisienne, nous avions décidé de lui amener la dite
Gazette, ainsi qu’un tract "Attention, Jacques Faizant de gauche !".
A notre arrivée, Charb tout sourire dédicaçait aux quelques badauds présents
ses "Gromit et Tartempion", arborant un magnifique t-shirt jaune poussin. Un
compagnon lui fit remarquer que - vu les dessins qu’il avait fait dans la
Gazette - le jaune était une couleur qui lui allait particulièrement bien.
On assista alors à un festival de Charb qui - sans jamais se départir de son
flegme- alterna entre pure mauvaise foi et cynisme intégral. Il nous
ressortit les arguments patronaux qu’il connaissait par cœur -c’est donc que
l’histoire l’avait touché, et ses amis avec. Nous les avons démontés un par
un, preuves à l’appui (nous avions amené avec nous les documents permettant
d’étayer toutes nos affirmations). Il finit par admettre que nous avions
bien vérifié nos affirmations, et que c’était lui qui n’était pas
suffisamment informé. Il nous expliqua qu’en fait son premier travail avait
été illustrateur dans la gazette d’Utopia St-Ouen. Il était donc redevable
aux patrons du ciné de lui avoir mis le pied à l’étrier. Les patrons de
St-Ouen ayant monté l’Utopia de Toulouse, à titre amical il avait donc fait
l’illustration en reconnaissant que "c’est un dessin de pure mauvaise foi".
Il nous sortit également que de toute façon pour travailler à Utopia il
fallait "adhérer à l’idéologie de l’entreprise". Des anciens équipiers de
Mac Do, présents parmi nous, crurent entendre leur ancien manager...
Pour lui, l’exploitation à Utopia existait, comme dans toute entreprise,
mais ce n’était pas pire qu’à l’Huma ou à Charlie Hebdo où il travaille par
ailleurs. Nous l’avons invité à nous envoyer des textes de dénonciations,
que nous serons ravis de publier.
Il vanta également la création de petites entreprises ou encore la
marchandisation de la culture, et autres sottises qui nous laissèrent sans
voix (ainsi que d’autres personnes présentes). Il conclut en disant que de
toute façon, quand il allait au cinéma, il ne s’intéressait pas à ce qui se
passait derrière l’écran. Il finit par nous dédicacer notre tract d’une
illustration qui se passe de tout commentaire et que nous joignons en
document attaché.
Le retour du Jedi (Part Three)
Suite à l’épisode précédent, nous avons donc organisé une nouvelle
distribution de tracts fin juin, avec les mêmes participants et le même
scénario. Certes la période n’était pas propice question public, qui avait
visiblement déserté la culture pour les plages estivales, mais cette absence
de spectateurs a permis à des salariés d’Utopia de sortir pour discuter avec
nous.
La première personne, assez énervée, nous cria que de toute façon tout ce
que nous disions c’était des mensonges et des méchancetés. Et que d’abord
Utopia St-Ouen n’avait rien à voir avec Utopia Toulouse, que c’était des
entreprises distinctes. Un compagnon lui fit remarquer qu’elles avaient
quand même le même nom, le même logo, la même enseigne, les mêmes formes de
gazette ... il lui expliqua alors ce qu’était le système des franchisés. L’
employé finit par admettre que certes, il y avait des Utopia où il y avait
de sacré problèmes, mais que ce n’était pas le cas ici et qu’il ne fallait
pas que nous continuions à semer la zizanie.
La seconde personne est venue vers nous beaucoup plus détendue et ouverte à
la discussion. Tout d’abord elle nous dit que le premier épisode n’était pas
passé inaperçu. Les employés ayant appris qu’une distribution de tracts
avait eu lieu par rapport à un problème en province, ils ont cherché à
comprendre d’où cela pouvait venir. Le problème c’est que les salariés des
différents Utopia ne se connaissent pas entre eux et donc il est difficile d
’avoir des informations. Pensant que les problèmes venaient de Bordeaux (une
invitation aux copains de Bordeaux pour agir ?), ils avaient cherché à
contacter les employés du cinéma girondin, mais sans succès.
La direction quant à elle a convoqué tout le personnel pour une réunion "de
crise", pour leur dire que la CNT avait distribué un tract à l’entrée du
cinéma, que cela concernait Toulouse et seulement Toulouse et que de toute
façon tout était expliqué dans un article de la Gazette d’Utopia de Toulouse
dont un exemplaire fut remis à chacun des employés. Bien sûr la direction n’
eut pas le scrupule démocratique de donner un exemplaire de notre tract aux
employés afin qu’ils confrontent les deux versions ... Ce que nous fîmes, en
expliquant le problème de Toulouse et notamment les heures sup’ non payées.
La pratique toulousaine le scandalisa et il nous dit de façon très nette qu’
à St-Ouen s’il leur arrivait aussi de faire des projections-presse ou autres
extras, les heures étaient notées et intégralement payées et que si ce n’
était pas le cas, ils refuseraient de venir bosser. Message transmis aux
salariés toulousains ...
La menace fantome (conclusion)
En plus des actions terrains, nous avons publié sur notre site les
différents tracts concernant l’affaire Utopia. Ceci nous a valu un abondant
courrier d’anciens salariés de différents cinés, qui corroborait tout ce que
nous dénoncions. Nous sommes aussi entrés en contact avec des compagnons d’Orléans qui connaissaient les mêmes problèmes dans un ciné fonctionnant sur
le même mode.
Pour le syndicat Paris Nord, ces actions s’inscrivaient dans une triple
démarche logique, de solidarité avec des travailleurs qui réclament leurs
droits, de dénonciation de l’hypocrisie d’une gauche-spectacle à l’
intelligence servile, et d’unité dans la lutte avec des compagnons sur des
bases anarchosyndicalistes. Ces interventions, les rencontres et les
discussions qu’elles permettent nous renforcent dans la conviction que l’
autonomie des travailleurs et l’action directe peuvent être des leviers
puissants, qui inquiètent les patrons. En ces temps où tout est marketing, l
’image de marque devient un capital important de l’entreprise. Pour toutes
ces entreprises culturelles, qu’elles soient sous le statut privé ou
associatif, une certaine image "engagée" leur sert de caution morale. Aller
à la rencontre de leur public, c’est commettre un vrai crime de lèse-majesté
car c’est dévoiler l’imposture. Mais il n’y a pas d’autres alternatives pour
des révolutionnaires -sauf à se renier- que d’être en rupture et de dénoncer
aussi les marchands de sommeil et d’illusion.
Un militant CNT-AIT Paris-Nord
Messages
1. > PETIT VOYAGE EN UTOPIA, 21 octobre 2005, 15:30
effectivement, les faits que vous relatez ne m’étonnent pas plus que ça, et j’applaudis votre action des deux mains. Je viens d’un secteur professionnel ou le meme genre de pratiques existe : le social. Des beaux discours et de beaux idéaux sont mis en avant, l’aide aux personnes en situation de précarité, le respect des usagers etc... mais la réalité des salariés est parfois toute autre. temps partiel généralisé, salaires ridicules par rapport aux compétences demandées, heures sup non payées (mais récupérées en congés, il faut le reconnaitre) ou encore harcelement de salariés (mépris insultes pressions et manipulation au programme).
enfin, si vous contestez, pas d’illusion, vous etes seul, j’ai personnellement été mis en cause et aggressé verbalement par une chef de service ...représentante syndicale sud, parce que j’avais dénoncé des pratiques inadmissibles (violence, harcelement de la secretaire). personnellement j’ai préferé tracer ma route, mais la pauvre secrétaire subit toujours...comme quoi ces pratiques ne sont pas réservées au seul privé à but lucratif
amitiés Julien