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PRESENTATION D’UNE REVUE FRANCO-ITALIENNE DE PHILOSOPHIE
Publie le vendredi 19 décembre 2008 par Open-Publishing6 commentaires
VENDREDI 9 JANVIER, 17h00
PRESENTATION DE LA REVUE
LA ROSE DE PERSONNE – LA ROSA DI NESSUNO
REVUE FRANCO-ITALIENNE DE PHILOSOPHIE
POUVOIR DESTITUANT. LES REVOLTES METROPOLITAINES
(dirigée par Pierandrea Amato, Tristana Dini, Paolo Primi, Luca Salza, Adriano Vinale)
Antonio Negri, auteur, entre autres, d’Empire (éd. Exils).
en discutera avec les auteurs
VENDREDI 9 JANVIER, 17h00
Université Sorbonne Nouvelle Paris III
Centre Censier, SALLE 331
13, rue de Santeuil
75005 Paris (Métro : Censier Daubenton, ligne 7)
Trois ans après, les révoltes françaises de l’automne 2005 n’ont pas cessé de représenter une énigme politique
et théorique de première importance. Elles recèlent toujours un potentiel critique que l’on peut difficilement
évacuer et qui va bien au-delà de l’expérience d’une turbulence urbaine qui relèverait d’un mal-être social commun à toutes les banlieues du monde. Elles désignent probablement un blocage bio-politique de l’ordre du monde contemporain à l’époque de la fin de la politique classique. Mais les révoltes françaises apparaissent surtout
comme la plus vive émergence dans nos métropoles (Los Angeles, Seattle, Gênes) d’un pouvoir de refus qui semble rompre avec la confrontation dialectique entre un pouvoir constituant et un pouvoir constitué.
A travers les contributions d’auteurs français et italiens dont les travaux comptent parmi les plus significatifs
en matière de philosophie politique, le numéro 3 de La Rose de Personne définit ce pouvoir de rejet comme
une force destituante. Ce concept renvoie à une tension matérielle et symbolique vers la sécession et l’esquive
de la part d’une singularité plurielle, capable de déjouer toute prétention au gouvernement institutionnel de la vie.
Les auteurs de ce numéro en examinent le statut (s’agit-il d’un phénomène politique ?) et la puissance
(s’agit-il d’une disposition ontologique ?). Ils en explorent le caractère problématique et la singularité. Ils interrogent la consistance d’un pouvoir qui, tout en se situant hors de la logique du pouvoir politique, est peut-être capable
de suspendre la dérive biologique de rapports sociaux qui n’admettent pas l’événement de la transformation.
Dans ce numéro interventions de
In questo numero interventi di
Pierandrea Amato, Etienne Balibar, Sidi Mohammed Barkat, Michèle Bompard-Porte, Alain Brossat, Andrea Cavazzini,
Alexandre Costanzo, Tristana Dini, Ottavio Marzocca, Susan Petrilli, Marco Antonio Pirrone, Augusto Ponzio, Paolo Primi,
Jacques Rancière, Luca Salza, Yoshiyuki Sato, Mario Tronti, Adriano Vinale.
Messages
1. PRESENTATION D’UNE REVUE FRANCO-ITALIENNE DE PHILOSOPHIE, 19 décembre 2008, 15:08
http://bellaciao.org/fr/?page=article&id_article=8866
Negrisme & Tute bianche : une contre-révolution de gauche
Mutines Séditions vient de publier une nouvelle brochure, "Negrisme & Tute bianche :
une contre-révolution de gauche" en PDF
Si vous pensez que « la prochaine grève sera la grève sur Internet », que
« la démocratie économique est sans doute le régime d’accumulation le
"moins mauvais possible" », que le revenu universel de citoyenneté
permettrait enfin « la mobilité sectorielle, la "souplesse" des créations
d’entreprise, l’investissement dans les secteurs à haute technologie »,
qu’à Gênes « la multitude des photos se révèle une arme bien plus acérée
qu’unematraque », que Chirac a été élu par « le vote de la multitude », vous êtes
peut-être un negriste qui s’ignore.
Si vous pensez que les Tute bianche (aujourd’hui Disobbedienti) sont de
sympathiques jeunes des centres sociaux italiens qui luttent pour changer
le monde et non pas des balances, des récupérateurs et des pacificateurs
; si vous estimez que Toni Negri est un grand penseur qui essaie de
tracer des perspectives antagoniques pour le mouvement et non pas qu’il
est le théoricien de la dissociation politique, de la soumission à
l’ordre et aux nuisances capitalistes ou l’apôtre de la collaboration
avec les institutions, vous êtes certainement un negriste qui ne s’ignore
pas.
Aux autres, nous proposons un bref tour d’horizon qui va de Barbares
(analyse et critique d’Empire) aux pratiques des Tute bianche à Rome ou à
Gênes, en passant par un portrait de Negri, des extraits de textes de ses
épigones français et une présentation de leurs idées en guise
d’introduction.) 4e de couverture
Sommaire :
La contre-révolution negriste en france ..... 4
(août 2004)
Les Tute bianche à Gênes .... 28
(début 2004, inédit traduit de l’italien)
Antonio Negri, portrait craché .... 17
(traduit de Crisso/Odoteo, Barbarians, the disordered insurgence, Venomous Butterfly Publications, Los Angeles, 2003)
Barbares .... 10
(traduit de Crisso/Odoteo, Barbari, L’insorgenza disordinata, éd. NN, Turin, septembre 2002)
Les épigones français du negrisme .... 21
(extraits de textes, de Futur Antérieur à Multitudes 1996-2002)
Des nouveaux assistants sociaux à Rome .... 26
(tiré de Karoshi n°2, Paris, été 2000)
2. PRESENTATION D’UNE REVUE FRANCO-ITALIENNE DE PHILOSOPHIE, 19 décembre 2008, 15:11
http://bellaciao.org/fr/spip.php?article11985
Antonio Negri, portrait craché
Antonio Negri est né le 1er août 1933 à Padoue, capitale culturelle de cette région de la Vénétie boutiquière et bigote par tradition. Fervent croyant, le jeune Toni Negri découvre le militantisme lorsqu’il entre dans l’organisation religieuse de jeunesse Azione Catolica [Action Catholique]. Les années 1950 en Italie sont les années de la relance économique du pays, prodigieux phénomène capitaliste qui s’inscrira pour toujours dans les yeux et le cœur de Negri. Celui-ci, après avoir abandonné Dieu pour Marx, se met à fréquenter les milieux de la Nouvelle Gauche. Dans les années 1960, Negri participe activement à l’élaboration de l’ "opéraïsme" comme rédacteur des Quaderni Rossi [Cahiers rouges] d’abord, de Classe Operaia [Classe ouvrière] ensuite.
Qu’est-ce que l’opéraïsme ? C’est l’idéologie selon laquelle l’usine est le centre de toute la lutte de classe, et les ouvriers les seuls artisans de la révolution parce que, par leur lutte, ils poussent le capital à se développer dans le sens de la libération. Les opéraïstes prennent ainsi comme objectifs les partis et les syndicats, mais ces derniers seront critiqués, et même plutôt blâmés, pour n’avoir pas mené effectivement à bien ce que l’on suppose être leur devoir. Quant à toutes les formes de luttes extérieures au monde de l’usine, elles sont condamnées ou ignorées. Inutile de dire qu’aucun des divers intellectuels qui ont donné vie à l’opéraïsme, la plupart du temps venus du parti socialiste ou du parti communiste, n’a jamais travaillé un seul jour en usine. Negri, par exemple, préférait de beaucoup enseigner la "doctrine de l’État" à l’université de Padoue et laisser le douteux plaisir de la chaîne de montage aux prolétaires. Quant à la stratégie opéraïste, au-delà d’une phraséologie extrémiste, elle consistait à vouloir "remettre en mouvement un mécanisme positif de développement capitaliste" à l’intérieur duquel "faire jouer la richesse d’un pouvoir ouvrier plus pesant" à travers "l’usage révolutionnaire du réformisme".
En 1969, Negri fut l’un des fondateurs de Potere Operaio [Pouvoir ouvrier], organisation qui joint à l’apologie habituelle de l’existant ("toute l’histoire du capital, toute l’histoire de la société capitaliste est en réalité une histoire ouvrière") un objectif déclaré d’hégémonie sur le reste du mouvement qui se concrétise par la condamnation du "spontanéisme" au nom d’une centralisation des luttes plus efficace ("assurer dans les faits l’hégémonie de la lutte ouvrière sur la lutte étudiante et prolétaire... pour planifier, guider, diriger les luttes ouvrières de masse"). Potere Operaio se dissout en 1973 sans avoir réussi à centraliser et diriger quoi que ce soit, et de ses cendres naît le bloc politique dénommé Autonomia Operaia [Autonomie ouvrière], lui aussi obsédé par les fantasmes léninistes de la conquête du pouvoir. Nous sommes au début des années 1970 et le mouvement révolutionnaire dans son ensemble commence à se poser la question de la violence. Dans ses livres, Negri exalte la figure de l’ "ouvrier criminel", justifie le recours au sabotage et à la lutte armée, mais toujours dans les cadres d’une vision marxiste-léniniste de l’affrontement social. Chez Negri est toujours présente une acceptation sans condition du capitalisme et sa justification puisque, comme il l’écrira dans un de ses livres paru en 1977, "le communisme est imposé avant tout par le capital comme condition de la production. Seule la construction du capitalisme peut nous donner des conditions vraiment révolutionnaires".
Cette identification, selon ses dires, doit être portée jusqu’à ses conséquences extrêmes : "la forme capitaliste la plus avancée, la forme de l’usine, est admise à l’intérieur de l’organisation ouvrière elle-même". Mais, bien que sa production théorique soit plutôt fructueuse, on ne peut pas dire qu’à cette dernière corresponde une égale influence pratique. Les milliers de révolutionnaires qui ont participé à l’attaque armée contre l’État, attaque qui atteindra son point culminant en 1977-1978, ne savaient pas quoi faire des dissertations philosophiques du professeur de Padoue.
Pourtant, quelqu’un le prend au sérieux : un magistrat de sa ville, Guido Calogero, qui pense que Negri serait le véritable chef des Brigades Rouges. Hypothèse manifestement absurde mais qui, quand même, s’adaptait bien aux exigences de l’État : mettre en avant une partie du mouvement, la plus en évidence, afin de passer sous silence le mouvement dans son ensemble. Dans le domaine des actions, ceci s’était déjà produit avec les Brigades Rouges, dont les exploits avaient soulevé une clameur médiatique telle qu’elle recouvrit les milliers de petites actions d’attaque accomplies ces années-là. Dans le champ des idées, pourquoi ne pas répéter la même opération en utilisant le nom retentissant du professeur de Padoue ? Et surtout, pourquoi ne pas réunir les deux aspects ?
Ainsi, l’odyssée judiciaire de Toni Negri commence le 7 avril 1979, au moment où il est arrêté avec des dizaines d’autres militants au cours d’un coup de filet contre les milieux d’Autonomia Operaia. L’accusation : association subversive et bande armée. Puis, en quelques mois, les inculpations contre Negri se multiplient, jusqu’à inclure l’insurrection armée contre les pouvoirs de l’État, la séquestration et l’homicide du dirigeant démocrate-chrétien Aldo Moro, et dix-sept autres homicides (accusations dont il sera absous au cours des années suivantes). C’est durant cette période que les "confessions" des repentis et les lois spéciales voulues par le ministre de l’Intérieur Cossiga remplirent les prisons italiennes de milliers de militants, déchaînant de fortes tensions sociales. En décembre 1980 éclata une révolte dans la prison de Trani, où Negri était détenu. Victime de l’image médiatique du "mauvais professeur", Negri fut incriminé sous l’accusation d’en être l’un des instigateurs (cinq ans plus tard, en conclusion du procès, il sera acquitté). En réalité, Negri, à part continuer à écrire des livres, est beaucoup plus intéressé à consolider l’État qu’à le subvertir. Dans ses écrits, il commence à formuler l’hypothèse aberrante de la dissociation. Dénué de toute dignité, habitué au pire opportunisme, Negri suggère à l’État de concéder des facilités judiciaires à ceux des détenus politiques qui répudieraient publiquement l’usage de la violence et qui déclareraient objectivement terminée la guerre contre l’État. Inutile de dire que, lors des affrontements avec les prisonniers qui ne renieront pas leurs choix, l’État justifiera son usage d’une poigne de fer.
L’idée de Negri commence à se répandre dans les prisons ; le mirage lointain d’une liberté obtenue en abjurant trouve ses mendiants. En 1982 est diffusé un document signé par 51 prisonniers politiques dans lequel est déclarée close l’époque de la révolte armée contre l’État, premier d’une longue série. En février 1983 commence le procès contre Negri et les autres inculpés arrêtés le 7 avril 1979. Profitant de la clameur du procès, le parti radical -qui représente ces bourgeois "sincèrement démocratiques", chantres de la non-violence et du pacifisme- propose à Negri d’être candidat sur ses propres listes lors d’imminentes élections. Une fois élu, ce serait pour lui la liberté grâce à l’immunité parlementaire. Les radicaux exigent cependant que Negri, dans le cas où le Parlement lui retirerait son immunité, reste de toute façon en Italie et continue à mener depuis la prison la bataille pour sa libération. Negri accepte la candidature et promet aux radicaux qu’en aucun cas il ne s’enfuira à l’étranger. Élu à la Chambre des députés le 26 juin 1983, Negri sort de prison le 8 juillet. Sa libération déchaîne la réaction des forces politiques conservatrices qui travaillent tout l’été pour fixer au 20 septembre le vote sur la levée de l’immunité parlementaire de Toni Negri. À la veille de ce vote, le 19 septembre, Toni Negri se réfugie en France. Le lendemain, le Parlement lui retire l’immunité par 300 voix contre 293. Le 26 septembre, le procès du "7 avril" se termine par la condamnation de Negri.
En France, on ne peut pas dire que Toni Negri ait longtemps connu la dure vie de l’exilé. Professeur d’université de réputation mondiale, il est, dès novembre 1983, nommé membre étranger du conseil du Collège international de philosophie. De 1984 à 1997, alors qu’en Italie l’État approuve sa suggestion et promulgue une loi qui récompense la dissociation, Negri enseigne à l’université Paris-VIII et à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. En outre, il effectue des recherches sociologiques pour le compte de divers ministères et d’autres institutions gouvernementales françaises. Durant cette période, Negri publie plusieurs livres et se découvre des affinités avec les intellectuels post-structuralistes français, avec lesquels il partage par exemple la négation de l’autonomie individuelle. Parmi ses interventions de ces années-là, rappelons son adhésion à la demande d’une amnistie qui décrète la fin des luttes des années 1970, sa sympathie pour le nouveau parti de la Lega (parti raciste, défenseur des intérêts des petits et moyens entrepreneurs, né en Vénétie, ce qui n’est pas un hasard), sa réconciliation publique avec l’ex-ministre de l’Intérieur Cossiga, principal responsable de la répression du mouvement à la fin des années 1970.
Le 1er juillet 1997, Toni Negri rentre volontairement en Italie et est incarcéré à la prison romaine de Rebibbia, où il doit finir de purger ses peines (notablement réduites du fait de deux remises générales concédées en 1986 et 1988). En juillet 1998, Negri obtient le droit de travailler à l’extérieur dans une coopérative de volontaires lié à Caritas puis, en août 1999, il est mis en semi-liberté (il sort de prison le matin pour y rentrer le soir). En 2000, Negri revient à l’avant-scène avec la publication de son livre Empire, écrit en collaboration avec Michael Hardt, qui rencontre un énorme succès. En Italie, où son nom réveille de brusques souvenirs et où, à cause de cela, il est victime de l’ostracisme d’une industrie éditoriale assujettie au pouvoir politique le plus conservateur, son livre ne sera publié qu’en 2002. Toni Negri est aujourd’hui le point de référence théorique du mouvement des Disobbedienti, ex-Tute bianche, dont le langage, par moments extrémiste, ne les a toutefois pas empêchés d’accéder de plein droit aux cercles de la gauche institutionnelle.
Traduit de l’italien.
Note rédigée pour l’édition américaine de Barbares : Barbarians. The disordered insurgence, pp. 4-8 Venomous Butterfly Publications, 2003
(P.O. Box 31098 - Los Angeles - CA 90 031 - Etats-Unis)
[ " Negrisme & Tute bianche : une contre-révolution de gauche" (éd. Mutines Séditions, 36 p., août 2004), pp. 17-20]
3. PRESENTATION D’UNE REVUE FRANCO-ITALIENNE DE PHILOSOPHIE, 19 décembre 2008, 15:12
http://bellaciao.org/fr/spip.php?article50746
Les idées délirantes de Tony Negri...
de Roberto Ferrario
Ancien militant d’extrême gauche, le philosophe italien décrit l’effacement du prolétariat et l’avènement d’un nouveau sujet politique : la "Multitude". Un concept qui fait débat aux quatre coins du monde. En particulier dans les mouvements altermondialiste et plus précisément dans ATTAC...
Petit rappel : Tony Negri a appelé à voter "oui" au projet de Constitution européenne.
Je vous conseil vivement de lire cet brochure : "Negrisme & Tute bianche : une contre-révolution de gauche" ici
Antonio Negri : "Nous sommes déjà des hommes nouveaux"
de Jean Birnbaum
Parmi les oeuvres exposées à Venise, ces jours-ci, dans le cadre de la Biennale d’art contemporain, on croise cette Passion du XXe siècle : Jésus crucifié sur un avion de chasse, un bras fixé à chaque missile. Cette oeuvre, intitulée La Civilisation occidentale et chrétienne, se trouve suspendue aux plafonds de l’Arsenal, en plein coeur de la cité vénitienne.
A quelques kilomètres de là, au début des années 1970, des ouvriers de la pétrochimie avaient utilisé le même motif pour identifier leur calvaire moderne : révoltés par la multiplication des cas de cancer dans leurs rangs, ils avaient récupéré un mannequin féminin en plastique désarticulé, et l’avaient cloué sur une croix, le visage recouvert d’un masque à gaz militaire. "Vous vous rendez compte, il y a eu des milliers de cancers, beaucoup de morts, et tout cela vient seulement d’être jugé, en 2003...", soupire Antonio Negri, tenant dans sa main une photo jaunie de la foule prolétarienne rassemblée autour de cette croix : c’est la Passion de Porto Marghera, du nom de l’immense zone industrielle qui se dresse à la lisière de Venise.
A leur manière, ces travailleurs étaient des habitués de la Biennale : en juin 1968, main dans la main avec les étudiants de la faculté d’architecture, n’avaient-ils pas bloqué la manifestation, appelant à un front unique des beaux-arts et de l’imagination ouvrière ? Negri en était. Il a alors 35 ans, habite Venise et enseigne la philosophie du droit public à l’université de Padoue ; mais c’est à Porto Marghera que le militant fait vraiment ses classes : "Je partais très tôt le matin, j’arrivais vers 6 heures pour les assemblées générales ouvrières, puis je mettais ma cravate pour aller tenir mon séminaire à la fac, et je revenais à 17 heures, histoire de préparer la suite du mouvement...", se souvient-il.
Aller à la rencontre de Negri, c’est revenir à cette scène fondatrice, et mesurer la distance parcourue, depuis l’éducation politique de Porto Marghera jusqu’à la consécration "altermondialiste", en passant par les "années de plomb", la terreur, la prison (voir encadré). Rendez-vous fut donc pris dans l’un des innombrables "centres sociaux" qui forment l’armature des réseaux "alter" en Italie, et qui associent intérimaires, sans-papiers et intellectuels précaires autour d’un débat ou d’un concert.
"Nous voilà dans le Far West vénitien", ironise Antonio Negri, tandis que la voiture s’enfonce dans la chaleur de Porto Marghera. Au bord de la route, des bâtiments industriels, des colonnes de fumée et, tous les 500 m, une prostituée. A droite, on aperçoit l’ancien local où Negri et ses camarades de l’Autonomie ouvrière défiaient le centre de police, situé juste en face. A gauche, devant une usine textile, coule un canal qui mène à la lagune, au travers duquel les "copains" tendaient des câbles pour empêcher les bateaux des "jaunes" (briseurs de grève) d’accoster.
Un peu plus loin, justement, on tombe sur un piquet de grève, tout à fait actuel celui-là : torses nus et bermudas estivaux, quatre métallos montent la garde devant leur entreprise pour protester contre les licenciements massifs. Un journal à la main, ils chassent les insectes qui s’accumulent sous leur parasol. La conversation s’engage à l’ombre des bannières syndicales, quelques blagues sont échangées. "C’est fou, on dirait un film de Fellini", sourit Negri, comme si la scène avait à ses yeux quelque chose d’irrémédiablement dépassé.
Longtemps, pourtant, le philosophe et ses amis "ouvriéristes" ont considéré ces travailleurs comme l’avant-garde d’une libération universelle. La voie en était toute tracée, et elle partait, entre autres, de Porto Marghera. Les choses ont changé : "Dans les années 1970, il y avait ici 35 000 ouvriers, aujourd’hui ils sont 9 000. On est passé du fordisme au post-fordisme, il n’y a quasiment plus rien d’un point de vue industriel. Ce sont des entreprises de services, de transports, d’informatique", précise Negri, dont l’effort théorique consiste à réviser les catégories marxistes en partant de la question sociale et de ses métamorphoses contemporaines.
A commencer par l’avènement d’un monde "postmoderne", entièrement soumis à l’hégémonie de la marchandise. Cet espace de domination "déterritorialisé", à la fois lisse et sans frontières, où la folle circulation du capital rend caduques les anciennes souverainetés étatiques, Negri et son ami américain Michael Hardt l’ont baptisé "Empire". En son sein triomphe une forme de travail de plus en plus "cognitive", c’est-à-dire immatérielle et communicationnelle. En prendre acte, affirment-ils, c’est accepter le fait que le prolétariat industriel tend à céder sa place à un autre sujet collectif, plus hybride, plus adapté aux formes globales de l’exploitation : les deux auteurs nomment "Multitude" cette nouvelle figure politique (1).
Toutefois, là où le prolétariat marxiste était appelé à monter "à l’assaut du ciel" en faisant la révolution, la Multitude "negriste" est censée garder les pieds sur terre, et endurer une interminable transition. Son destin n’est pas de préparer la rupture, assure Negri, mais de reconnaître qu’elle a déjà eu lieu : "Je suis convaincu que nous sommes déjà des hommes nouveaux : la rupture a déjà été donnée, et elle date des années 1968. 1968 n’est pas important parce que Cohn-Bendit a fait des pirouettes à la Sorbonne, non ! C’est important parce qu’alors le travail intellectuel est entré en scène. En réalité, je me demande si le capitalisme existe encore, aujourd’hui, et si la grande transformation que nous vivons n’est pas une transition extrêmement puissante vers une société plus libre, plus juste, plus démocratique."
Relisant Spinoza et Machiavel, mais aussi Deleuze et Foucault, Negri s’efforce de proposer une grille de lecture originale à tous ceux qui veulent préserver une espérance d’émancipation. Si les deux livres qu’il a publiés avec Michael Hardt, Empire (Exils, 2000) et Multitude (La Découverte, 2004), sont lus et commentés aux quatre coins de la planète, c’est que les hypothèses et le vocabulaire qu’ils proposent sont venus répondre à une attente de renouvellement théorique, les jeunes générations altermondialistes ne pouvant se contenter du vieux corpus léniniste et/ou tiers-mondiste.
A ces militants du XXIe siècle, Negri n’annonce ni émeute ni grand soir. Cet ancien chef de l’extrême gauche italienne, qui fut jadis accusé d’être le cerveau des Brigades rouges, insiste souvent sur sa répugnance à l’égard de la violence et de ses théorisations ; du reste, on ne trouve guère, sous sa plume, la fascination que le volontarisme politique et la "décision" révolutionnaire inspirent à certains philosophes français : "Je déteste tous ceux qui parlent de "décision", au sens de Carl Schmitt. Je pense que c’est vraiment le mot fasciste par excellence, c’est de la mystification pure. La décision, c’est quelque chose de difficile, une accumulation de raisonnements, d’états d’âme ; la décision, ce n’est pas couper, c’est construire...", rectifie Negri.
Pour lui, face à un Empire "biopolitique" dont le pouvoir touche à chaque existence, et jusqu’à l’organisation de la vie même, la Multitude est tentée par l’exode, plutôt que par l’affrontement. C’est en désertant collectivement que les singularités en révolte pourront partager leurs expériences, échanger leurs idées, construire ce que Negri appelle le "commun" : "On n’a plus besoin du capital ! La valorisation passe par la tête, voilà la grande transformation. La Multitude en a pris conscience, elle qui ne veut plus qu’on lui enlève le produit de son travail. Voyez le récent rassemblement altermondialiste de Rostock, en Allemagne. Ce n’était plus la vieille classe ouvrière, c’était le nouveau prolétariat cognitif : il fait tous les métiers précaires, il travaille dans les call centers ou dans les centres de recherche scientifique, il aime mettre en commun son intelligence, ses langages, sa musique... C’est ça la nouvelle jeunesse ! Il y a maintenant la possibilité d’une gestion démocratique absolue", s’enthousiasme Negri.
Voeu pieux, tranchent les uns. Abstraction fumeuse, ricanent les autres, dénonçant l’illusion d’une justice immanente et globalisée, version généreuse de la propagande néolibérale. La notion de "Multitude" ne masque-t-elle pas la permanence de la lutte des classes ?, demande le philosophe slovène Slavoj Zizek. Et si l’Empire est sans limites ni dehors, comment pourrait-on s’en retirer, interroge pour sa part le philosophe allemand Peter Sloterdijk. "La scène mondiale devient alors un théâtre d’ombres où une abstraction de Multitude affronte une abstraction d’Empire", écrit quant à lui le philosophe français Daniel Bensaïd, raillant une " rhétorique de la béatitude" où "la foi du charbonnier tient lieu de projet stratégique" : dans ces conditions, tranche Bensaïd, comment s’étonner que Negri ait appelé à voter "oui" au projet de Constitution européenne ?
Face à ces critiques, Antonio Negri tient ferme. Il explique que ses concepts demeurent "à faire", et qu’il souhaite seulement proposer quelques "hypothèses" : "Moi je crois que la révolution est déjà passée, et que la liberté vit dans la conscience des gens. Vous connaissez la formule de Gramsci, "pessimisme de la raison, optimisme de la volonté". Pour moi, ce serait plutôt "optimisme de la raison, pessimisme de la volonté", car le chemin est difficile..." Assis dans son bureau vénitien, entre une photo de son ami disparu, le psychanalyste Felix Guattari, et une statuette de Lénine, il pose la main sur un essai de Daniel Bensaïd traduit en italien (Marx l’intempestif) et repasse à l’offensive : "Bensaïd, qu’est-ce qu’il me propose ? De revenir à l’Etat-nation ? A la guerre ? A l’individu ? C’est impossible, c’est irréversible, les catégories de la modernité sont perdues."
Et de conclure que si la gauche est en crise, c’est parce qu’elle n’a rien compris à la naissance de la Multitude et qu’elle s’accroche au vieux monde des "cols bleus" : "personne ne veut plus travailler en usine comme son père ! Il n’y a que les communistes français qui ne voient pas ça, et aussi Sarkozy ! Après tout, il a été élu sur quoi ? Sur le nationalisme, qui a été construit par la gauche dans la bataille contre l’Europe. Et sur l’apologie du travail, élaborée par la gauche dans sa lutte contre le contrat premier emploi (CPE). Je rêve d’une autre gauche, qui reconnaîtrait que le capital n’est plus la force qui unifie le travail, que l’Etat n’est plus la force qui fait les Constitutions, et que l’individu n’est plus le centre de tout. En bref, une gauche d’égalité, de liberté, de "démocratie absolue", comme diraient Spinoza et Machiavel"
(1) Pour une discussion stimulante de ces concepts, on lira le livre de Pierre Dardot, Christian Laval et El Mouhoub Mouhoud, Sauver Marx ? Empire, multitude, travail immatériel (La Découverte, 264 p., 23 €).
http://www.lemonde.fr/web/article/0...
4. PRESENTATION D’UNE REVUE FRANCO-ITALIENNE DE PHILOSOPHIE, 19 décembre 2008, 15:14
http://bellaciao.org/fr/spip.php?article17435
UN FAUX-AMI : TONI NEGRI
de Le bouledogue rouge CQFD
Le giscardisme est-il un léninisme ? La question se pose après le soutien ardent apporté par Toni Negri à la Constitution européenne. Doté d’un bac + 12 en dialectique, le gourou d’un marxisme branché faisait tribune avec le collectionneur de montres en or Julien Dray, affirmant que le traité serait un moyen de « combattre l’Empire, cette nouvelle société capitaliste mondialisée ».
Quand le Non l’eut emporté, Negri s’exclama, amer : « C’est impressionnant, ce point de vue réactionnaire, archaïque ! » (Télérama, 08/06/05) En apparence, l’expression d’un oui-ouisme prolétarien et révolutionnaire avait de quoi surprendre. Mais en apparence seulement.
Car s’il y a bien un mérite qu’il faut reconnaître à Negri, c’est de n’avoir jamais dérogé à ses convictions initiales. Il ne fait pas partie de ces ex-mao-trotsko-avant-gardistes qui, il y a trente ans, pimentaient leur plan de carrière d’un poil de subversion. Negri ne ment pas comme un arracheur de dents, un July ou un BHL.
Peut-être n’en a-t-il ni le talent ni l’imagination, comme dirait Nietzsche. De fait, son courroux inextinguible à l’égard de « ce peuple archaïque et réactionnaire » ne le fait pas dévier d’un pouce de son propre parcours. C’est dans la ligne bringuebalante mais cohérente de sa construction idéologique.
Sa formation religieuse l’a d’abord conduit à interchanger le visage de Dieu et celui de Lénine. Antonio Negri était, est et reste un partisan de l’intervention des « révolutionnaires professionnels » (les prêtres guerriers), du « centralisme démocratique » (l’Église catholique), « de la conscientisation des masses » (les évangélisateurs) et plus concrètement de la dictature du parti (la Bible) sur « le prolétariat ».
Vaille que vaille, malgré les faillites et le ridicule, toujours hanté par sa fascination pour le rôle de l’« intelligentsia révolutionnaire », ce contorsionniste a maintenu le cap. Le voilà aujourd’hui représentant de la « critique radicale » labellisée, celle dont on aime avoir peur. Les médias se l’arrachent. Une cour d’intellectuels et d’activistes nostalgiques d’une époque où tout était clair grâce au camarade Lénine, le suit et ânonne les new concepts que le Professeur cuisine depuis sa chaire de « leader de l’autonomie ».
« Multitude » à la place de prolétariat, « bio-politique » à la place d’aliénation, « empire » à la place de capitalisme, « puissance » à la place d’autonomie. Ça a l’air neuf, ça sent le moderne, mais c’est toujours la même chanson. Dans les années 70, la stratégie du courant « opéraiste », dont Negri était l’un des chefs de file, était de « remettre en mouvement un mécanisme positif de développement capitaliste », à l’intérieur duquel il fallait « jouer la richesse d’un pouvoir ouvrier plus pesant ».
Et ce à travers « l’usage révolutionnaire du réformisme ». En appelant à voter Oui à toutes ces élites dont l’activité consiste justement à impulser « un mécanisme positif de développement capitaliste », il continue, en bon clerc, à régurgiter consciencieusement ce qu’il a pêché chez son maître bolchévique. Il a craché son mépris contre ce peuple prétendument attaché à l’État-Nation, tout en arguant de la nécessité de créer le super État-Nation que serait l’Europe, cette vaste entité dirigée par des maîtres lointains et déterminés.
L’Europe ferait front à la pression américaine, en confiant l’affaire à un méga-gouvernement central, comme au bon vieux temps. Dans ce bon vieux temps où le Secrétaire de l’Union des écrivains de la RDA pouvait déclarer, à la suite d’un soulèvement ouvrier réglé à coups de canons en 1953 : « Il va falloir que le peuple travaille dur pour reconquérir et mériter la confiance que ses chefs avaient placée en lui. »
Publié dans CQFD n°25, juillet-août 2005.
http://www.cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=684
5. PRESENTATION D’UNE REVUE FRANCO-ITALIENNE DE PHILOSOPHIE, 19 décembre 2008, 15:17
http://bellaciao.org/fr/?page=article&id_article=14182
Les Négristes (Toni Negri), les verts et les "Multitudiens" appellent, eux, à voter oui au TCE (Nous ne nous étonnons pas...)
lire : Negrisme & Tute bianche : une contre-révolution de gauche
Trois bonnes raisons de voter oui au référendum de ratification du TCE
par Yann Moulier Boutang
Texte prononcé le 17 novembre 2004 lors d’une réunion des Verts du XIV ème arrondissement à Paris, et destiné à ouvrir une discussion sur la constitution européenne.
Les adversaires de la ratification du TCE soutiennent que l’Union Européenne qui s’exprime dans cette Constitution est non démocratique, qu’elle est aux antipodes de l’Europe fédérale pour laquelle les Verts se sont prononcés presque partout et enfin qu’elle est néo-libérale et antisociale. Laissons de côté l’argument d’une possibilité et utilité d’enclencher une crise salutaire, un sursaut. Je ne dirais là-dessus qu’une chose : le parti des Verts n’a rien à gagner en jouant le rôle tribunicien qu’a rempli le PCF longtemps, à savoir celui d’une opposition d’autant plus virulente que son caractère perpétuellement minoritaire lui épargne toujours la responsabilité éventuelle d’arriver au pouvoir et d’appliquer son programme. En exact contrepoint aux partisans du non, je vote trois fois oui au TCE, pour trois raisons.
I. Le TCE est un processus foncièrement démocratique et porteur de paix et d’équilibre à l’échelle planétaire dans le contexte dangereux d’un monde qui va subir quatre années supplémentaires de Bush et quelques guerres en cours ou à venir. Une Europe du Traité de Nice, où tout se décide à l’unanimité des Etats membres permettra à l’Amérique de se payer un droit de veto permanent en achetant un petit pays de la nouvelle Europe et de réaliser la catastrophe économique et politique d’une Europe faible et d’un Euro fort. Comment mieux désespérer les Lula qui apparaissent dans le Sud, les partisans d’une lutte urgente contre le réchauffement climatique, les adversaires de l’absolutisme policier et colonial de Poutine ?
La Convention constituante a réuni plus de 100 représentants de l’Europarlement élus au suffrage universel, des responsables de gouvernements légitimement élus, des parlements nationaux eux-mêmes élus. Les débats ont été publics. L’exercice était diaboliquement difficile car le projet de Traité devait être entériné et non défiguré par le Conseil Européens ; il suffisait du rejet d’un seul membre pour tout anéantir. On l’a vu avec l’opposition espagnole et polonaise. Comme citoyen du monde je vote la Constitution.
Comme citoyen partisan résolu d’un approfondissement de la démocratie jusque là inachevée , je vote pour cette constitution car j’y trouve des choses que ne contient pas notre propre Constitution. Le pas en avant considérable que représente cette première Constitution interne commune à 25 pays tient à sa modernité, c’est-à-dire à l’introduction de plusieurs dispositions à niveau constitutionnel comme l’interdiction de la peine de mort (voyez le contraste saisissant avec les Etats-Unis, la Russie, le Japon et la Chine) dans l’article II-2 , la reconnaissance de la lute contre toute forme de discrimination (raciale, religieuse, de sexe, de préférence sexuelle), pour la parité homme femme et pour les droits de l’enfant (§2 de l’article I-3 ; article II-21 et UU-23) , la stricte observance des Principes de la Charte des Nations Unies (article I-4), le droit de réclamer une loi de l’Union en vue de faire respecter la constitution pourvu qu’on réunisse un million de signatures dans un nombre significatifs d’Etat membres (art. I-46-4), la protection des données personnelles, sous la surveillance d’une instance indépendante (art. I-50-2), l’accès à ces données et le droit de rectification (art. II-8) ; l’interdiction de faire du corps humain ou de ses composants une source de gain financier (art.II-3-2-c).
Pour finir, et cela compte pour un parti écologique, la Constitution européenne reconnaît comme objectif économique : « un développement soutenable de l’Europe reposant sur une croissance équilibrée (...) et avec un haut degré de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement (art. art. I-3-3).
II. La Constitution jette les bases indispensables à la réalisation de l’Europe fédérale que nous voulons comme Verts. Le fait même que ce soit le terme de Constitution pour l’Europe qui ait prévalu est en soi une énorme victoire. Même si la Constitution avait été médiocre, voire même conservatrice, entre la Constitution et l’ordre infra-constitutionnel, il n’y aurait pas eu à hésiter une seconde, pour un fédéraliste sérieux.
A. Une démarche constituante dans sa forme :
C’est la première fois dans l’histoire de la Construction européenne que des parlementaires européens, nationaux, des chefs d’Etats, de Gouvernements, des membres désignés par les Gouvernements se sont réunis dès le départ pour élaborer directement un projet de constitution. Les précédents textes l’Acte Unique, Maastricht, Amsterdam, Nice avaient relevé d’une préparation entre les chefs de gouvernement, la Commission et leurs administrations, l’Euro-Parlement n’étant consulté que pour ratifier.
B. Une démarche dont le résultat est fédéraliste même si le mot n’est pas prononcé.
Malgré les réticences du Royaume-Uni et des plus nationalistes encore des Etats est-européens tout justes sortis du traumatisme soviétique, la logique fédérale a prévalu globalement dans la Constitution.
L’élargissement n’a pas dilué l’Union mais montré que l’accroissement du rôle du Conseil Européen des chefs d’Etat et du Conseil des Ministres (largement confédéraliste au départ) était de moins en moins viable à 15 puis à 25 membres. L’Europe passe ainsi à la personnalité juridique (art.I-7) ; elle se dote d’un Président du Conseil Européen, d’un ministre des Affaires Etrangères. Mais surtout le principe de représentation de chaque pays dans la Commission par un ou deux commissaires est abandonné tandis que l’adoption du principe de la majorité qualifiée (art. I-25) dans les compétences exclusives de l’Union (5) et des compétences partagées devient la règle ordinaire. La formule de la majorité est complexe.
On connaît les intenses marchandages auxquels elle a donné lieu, mais l’aspect complètement fédéral est l’abandon du droit systématique de veto par un Etat membre (y compris dans le lancement des coopérations renforcées art. I-44 [1]), qui caractérise les structures confédérales.
C. La Constitution ne bloque pas l’intégration ultérieure, c’est-à-dire une progression supplémentaire vers de plus en plus de fédéralisme.
Les souverainistes et les eurosceptiques espéraient arrêter le grignotage fédéraliste en définissant une fois pour toutes les compétences communautaires et celles des Etats membres. C’est raté. Le principe d’attribution (art. I-11-2) prévoit, comme le voulaient les anti-fédéralistes, que « toute compétence non attribuée à l’Union dans la Constitution appartient aux États membres » mais les deux alinéas suivants montrent le caractère toujours temporaire de cette délimitation.
« En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union. Les institutions de l’Union appliquent le principe de subsidiarité conformément au protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements nationaux veillent au respect de ce principe conformément à la procédure prévue dans ce protocole. » Les domaines de compétences exclusives ont cru dans la Constitution.
Et dans tous les autres (compétences partagées mais aussi domaines jusque-là de la compétence exclusive des Etats) si les objectifs de l’Union peuvent être mieux atteints en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée l. Dans le domaine le plus lié à la souveraineté nationale, la défense, l’article Art. I-40 [2] prévoit bien « l’identification des questions présentant un intérêt général et sur la réalisation d’un degré toujours croissant de convergence des actions des Etats membres ». La Constitution européenne présente dans sa codification le caractère ouvert d’un processus en train de se faire, que la réaction confédéraliste voulait justement bloquer. Ce trait est absolument crucial pour juger du caractère néolibéral ou non de la Constitution.
III. La référence au marché dans la Constitution et l’inclusion des traités précédents dans sa III° Partie, nous condamne-t-il au néolibéralisme ?
Ce raisonnement est faux dans tous ses compartiments. L’inclusion des traités précédents dans la partie III permettait de consolider la règle de l’acquis communautaire qui interdit aux nouveaux Etats membres d’exiger de renégocier tout depuis le début. L’aile la plus libérale de l’Europe et la plus anti-européenne aurait sauté sur l’occasion de détricoter toutes les politiques déjà fédéralisées.
Quant à la référence au marché, à la « concurrence libre et non faussée » Art. I-2 et 3, elle n’a aucune des conséquences que ses adversaires lui prêtent. Il est dit certes dans l’alinéa 2 de l’article 3 ( les objectifs de l’Union) que cette dernière « offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice ET un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » Il n’est pas dit tout d’abord que le marché est la seule chose qu’offre l’Europe a ses citoyens. De plus l’adjonction de « non faussée » au qualificatif de « libre marché » est la forme que prend dans la théorie néoclassique, qui est le langage économique courant, la justification de l’intervention de l’Etat pour combattre les monopoles.
L’alinéa suivant du même article montre à l’évidence que l’Europe se situe beaucoup plus près du modèle rhénan que du modèle des libéraux de l’Ecole de Chicago. Il vaut la peine de citer in extenso : « L’Union œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement.
Elle promeut le progrès scientifique et technique. Elle combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant.
Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres.
Elle respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen. »
Autrement dit, si la référence à « l’économie sociale de marché » met en émoi les adversaires acharnés du néolibéralisme, ils décontextualisent le cadre global dans lequel se trouve inséré ce « marché non faussé ». Ils confondent le modèle allemand de « l’économie sociale de marché » inventé par Eucken, Ropke et surtout ratifié par la social-démocratie allemande au Congrès de Bade Godesberg en 1959, avec le néolibéralisme de Milton Friedman, de Hayek et des Chicago boys enragés.
Certes, l’Europe ne s’est pas proclamée adepte dans sa Constitution de l’économie centralement planifiée, des monopoles étatiques. Mais qui est partisan chez les Verts ou dans le pays du socialisme dinosaure. Certes, elle n’a pas fait l’éloge d’une économie très peu compétitive.
Autre signe que le vocabulaire de provenance libérale est sérieusement recadré dans des objectifs qui ne sont plus libéraux, l’apparition des mots égalité, lutte contre la discrimination, lutte pour la parité, plein emploi, progrès social, protection sociale qui étaient des tabous, jusqu’au droit de protection contre un licenciement injuste (II-30), au droit de grève et de négociation collective (II-28).
Enfin l’introduction dans le cœur de la Constitution de la Charte des droits fondamentaux (II° Partie) permet de dire que se trouve réaffirmé à niveau constitutionnel un modèle européen de protection sociale. Si cette Constitution est le monstre néolibéral que dépeignent ses opposants, j’aimerais bien que la Constitution de la République française le soit autant, pour nos libertés, pour la paix, pour un développement soutenable.
Quant à la protection sociale, nous savons qu’il dépendra des majorités politiques à l’Europarlement pour qu’une utilisation des possibilités offertes désormais par la Constitution nous permettent de contourner la résistance anglaise, eurosceptique et libérale.
Les Verts, fédéralistes européens et citoyens du monde ont la responsabilité écrasante à l’heure où les socialistes français se laissent attirer par les sirènes d’un populisme sans avenir, de sauver l’honneur de la gauche et l’avenir de l’Europe ( car le vote français aura une importance extrême comme au moment de la Communauté Européenne de Défense).
Le non relève d’un désespoir si respectable soit-il sur le plan psychologique, travesti en politique myope, l’abstention d’une erreur sur les enjeux et d’un manque d’audace. La politique des Verts ne peut pas se faire à cette corbeille là.
http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=1742
http://multitudes.samizdat.net/Trois-bonnes-raisons-de-voter-oui.html
[1] Article I-44-1 et 2 : « Les coopérations renforcées visent à favoriser la réalisation des objectifs de l’Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d’intégration. Elles sont ouvertes à tout moment à tous les États membres, conformément à l’article III-418. 2. La décision européenne autorisant une coopération renforcée est adoptée par le Conseil en dernier ressort, lorsqu’il établit que les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble, et à condition qu’au moins un tiers des États membres y participent. Le Conseil statue conformément à la procédure prévue à l’article III-419. 3. Tous les membres du Conseil peuvent participer à ses délibérations, mais seuls les membres du Conseil représentant les États membres participant à une coopération renforcée prennent part au vote. L’unanimité est constituée par les voix des seuls représentants des États membres participants.
[2] « L’Union Européenne conduit une politique étrangère et dee sécurité commune fondée sur le développement de la solidarité politique mutuelle des États membres, sur l’identification des questions présentant un intérêt général et sur la réalisation d’un degré toujours croissant de convergence des actions des Etats membres
6. PRESENTATION D’UNE REVUE FRANCO-ITALIENNE DE PHILOSOPHIE, 19 décembre 2008, 15:20
http://bellaciao.org/fr/spip.php?article11981
"Oui au traité européen" : le retour tumultueux de l’Italien Toni Negri dans les amphis parisiens
Le site Internet altermondialiste Bellaciao a mis en ligne une petite
brochure qualifiant le négrisme de "contre-révolution de gauche".
de Caroline Monnot
Figure de la gauche révolutionnaire italienne des années 1970, accusé d’être
l’instigateur de la "révolte" des années de plomb, réfugié en France de 1983 à 1997
pour échapper à la prison, avant de franchir à nouveau les Alpes pour y purger
sa peine, le philosophe Toni Negri a retrouvé depuis peu le chemin des amphithéâtres
parisiens, ce qui ne va pas sans provoquer quelques soubresauts.
Depuis octobre, il intervient une fois par mois au Collège international de philosophie dans le cadre d’un séminaire consacré au concept politique d’"Empire postmoderne". Par ailleurs, il copilote, avec le laboratoire d’économie du CNRS Matisse, un autre séminaire intitulé "Transformations du travail et crise de l’économie politique" à l’université de Paris-I.
Parallèlement, l’ex-dirigeant d’Autonomie ouvrière, devenu la référence intellectuelle d’une partie du mouvement altermondialiste italien, devait intervenir samedi 15 janvier dans le cadre d’un débat sur la démocratie organisé par le conseil scientifique d’Attac.
"Paris est la ville dans laquelle j’ai le plus vécue avec Padoue. J’y ai beaucoup d’amis. J’y ai passé plus de temps qu’à Milan, Rome, Venise", explique l’intellectuel.
Pourtant, le personnage et sa pensée théorique continuent de susciter d’âpres controverses, voire de mini-incidents. A deux reprises, ses séances au Collège international de philosophie ont été interrompues par de petits groupes autonomes. Sans lien avec les précédents, le site Internet altermondialiste Bellaciao a mis en ligne une petite brochure qualifiant le négrisme de "contre-révolution de gauche". Bref, la polémique fait rage. Ce qui ne déplaît pas tant que cela à l’ex-professeur de Padoue.
Toni Negri estime en effet que les nouveaux mouvements révolutionnaires doivent accompagner les métamorphoses du monde et formule une critique du néolibéralisme qui, d’une certaine manière, plaide pour son épanouissement. "Il faut combattre sur le terrain qui nous est imposé. Ce n’est pas de ma faute si la gauche a perdu ses batailles. C’est le monde qui est comme cela", répond-il quand on l’interroge sur ce paradoxe.
Il ajoute à titre d’exemple : "Le marché du travail s’est modifié avec la flexibilité et la mobilité" avant d’affirmer que "les gens désirent cela". Il y voit une évolution qui, poussée à son terme, sera le moyen de mettre un terme au lien de subordination du salariat. Et moque au passage "un certain conservatisme" de l’extrême gauche française, avec laquelle le débat est désormais féroce. Car une nouvelle fracture vient de s’ajouter aux précédentes : l’intellectuel italien s’est prononcé pour le traité constitutionnel européen au nom d’un nouveau fédéralisme et du dépassement de l’Etat-nation.
http://www.lemonde.fr/web/article/0...