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PROCESSUS ÉLECTORAL AU CHIAPAS : LA DÉMOCRATIE DUPÉE

Publie le lundi 11 septembre 2006 par Open-Publishing

Deux mois après l’élection présidentielle, un climat d’incertitude,
d’attente face à l’imminente résolution du Tribunal électoral du pouvoir
judiciaire de la Fédération (TRIFE) ainsi que de méfiance de la part de
différents secteurs de la société face aux institutions électorales qui
ont conduit le processus fédéral prédomine. C’est dans ce contexte que les
élections au poste de gouverneur ont eu lieu au Chiapas, le 20 août
dernier. Le Chiapas est l’un des États du sud-est du Mexique où Andrés
Manuel López Obrador (AMLO) a obtenu le plus de votes.

A ce climat d’incertitude et de méfiance, il faut ajouter plusieurs autres
facteurs :

 l’apathie traditionnelle d’importants secteurs de la société face à ce
type de processus et d’acteurs politiques [1] ;

 l’existence d’amples zones de présence de l’Armée zapatiste de libération
nationale (EZLN) : les zapatistes ne participent pas aux élections depuis
1995 ;

 et finalement, le mécontentement et la confusion existants entre les
bases des organisations paysannes et indigènes de différentes orientations
politiques du fait du manque de cohérence et du cynique pragmatisme
démontrés tant par les dirigeants des partis que par les candidats au
poste de gouverneur lors de ce dernier processus.

Comme nous l’avons documenté dans les rapports mensuels publiés par notre
projet d’observation [2], le processus électoral au Chiapas dans son
ensemble a été marqué par de nombreuses irrégularités :

 le recours à de vieilles et illégales pratiques électorales (achat,
manipulation et coercition du vote) de la part des principaux partis : PRI
(Parti révolutionnaire institutionnel), PRD (Parti de la révolution
démocratique) et PAN (Parti d’action nationale) ;

 l’intervention directe du gouverneur Pablo Salazar Mendiguchía (PSM)
durant tout le processus (y compris dans le cadre de la sélection des
candidats au sein des partis et coalitions) ;

 l’utilisation de programmes sociaux de la part du gouvernement de l’État
du Chiapas en faveur du candidat Juan Sabines, ceci étant signalé comme
faisant partie d’une élection d’Etat ;

 un constant changement de filiation d’un parti ou un autre de la part
d’acteurs politiques connus, générant une situation qui en est venue à être
considérée comme de "schizophrénie politique" [3].

C’est dans ce contexte que les élections du 20 août se sont déroulées.
Bien que l’on n’ait pas rapporté d’incidents majeurs, on a pu observer un
haut niveau d’abstention qui a atteint 56% (6% de plus que lors des
élections qui ont conduit PSM au poste de gouverneur il y a 6 ans). Cela
semble marquer un échec de l’intense champagne médiatique qui cherchait à
augmenter la participation citoyenne.

Curieusement, lors du processus électoral au Chiapas, on a pu observer un
parallélisme inverse en comparaison avec la situation électorale lors de
la récente élection présidentielle (2 juillet 2006). En ce qui concerne
les résultats proprement dits, le Programme de résultats préliminaires
(PREP) a montré un avantage en faveur de Juan Sabines (Coalition pour le
bien de tous : PRD, Parti du travail et Convergence) depuis le départ. La
différence entre celui-ci et Aguilar Bodegas a diminué progressivement au
fil des heures. Lorsque le calcul a été considéré comme conclu, la
différence était d’à peine 0,22% (2.405 votes en faveur de Sabines). 270
scrutins (140.000 votes environ) ne furent pas pris en compte, car
l’Institut étatique électoral (IEE) les considéra "inconsistants".

Immédiatement, Sabines s’est autoproclamé gouverneur élu et a marqué
publiquement une distance vis-à-vis des mobilisations postélectorales
convoquées à échelle nationale par Andrés Manuel López Obrador (AMLO,
candidat présidentiel de la Coalition pour le bien de tous) [4]. Le PRD
­pour le moins au Chiapas ­ s’est opposé à ce que les urnes soient
ouvertes et les votes soient comptés un à un dans les différents districts
électoraux de cet État [5].

Le calcul district par district commença alors. La lenteur avec laquelle
il fut mené généra des spéculations quant à une nouvelle négociation entre
leaders. Sabines sortit à nouveau vainqueur avec un avantage accru de
6.625 votes (0,55%). Le PRI et ses alliés (au dernier moment, les
candidats du PAN et du PANAL, Parti de la nouvelle alliance, déclinèrent
en faveur du PRI) rejetèrent ces résultats en signalant que selon des
copies de scrutins en leur possession, les résultats leur donnent
l’avantage avec 3.378 votes de différence. Ils dénoncèrent l’existence de
220 urnes "zapato" [6], contenant 10.641 votes en faveur du PRD [7]

Paradoxe de l’histoire : c’est désormais le PRI (avec le soutien du Parti
vert écologiste du Mexique - PVEM, du PANAL et du PAN, quelque chose qui
semblait inconcevable il y a un mois) qui dénonce le fait d’être victime
d’une fraude de la part du PRD. Il a présenté 391 recours juridiques
correspondant à 24 districts électoraux [8]. En dépit de cela, le dimanche
27 août, l’IEE a déclaré Juan Sabines gouverneur élu en lui remettant une
constance de majorité qui présente les résultats finaux suivants [9] :

PARTI POLITIQUE OU COALITION VOTES POURCENTAGE

COALITION POUR LE BIEN DE TOUS (PRD/PT/CONVERGENCE) 553.270 46,97%
ALLIANCE POUR LE CHIAPAS (PRI/PVEM) 546.988 46,44%
PAN [10] 29.476 2,50%
PANAL [11] 3.492 0,29%
PASDYC [12] 6.395 0,54%
VOTES NULS 36,570 3.10%
PARTICIPATION CITOYENNE 1.177.710 45,37%

Juridiquement cependant, les élections au Chiapas ne sont pas encore
conclues, vu que les recours légaux présentés par le PRI, le PVEM et le
PANAL devront d’abord être résolus. Le Tribunal étatique électoral devra
se prononcer avant le 30 décembre. Si les partis politiques font
opposition, le TRIFE aura jusqu’au 7 décembre (un jour avant la prise de
possession du gouverneur) pour donner son verdict, pouvant encore
annuler les élections au poste de gouverneur, comme ce fut le cas au
Tabasco (2000) et à Colima (2003).

Comme nouveaux exemples des accords et négociations pragmatiques entre
dirigeants (sans informer ou contre la volonté de l’électorat), Juan
Sabines vient de reconnaître le triomphe électoral du candidat
présidentiel du PAN, Felipe Calderón. Le groupe de travail de ce dernier
(dit de "transition") a également reconnu le triomphe de Sabines, en lui
accordant son soutien et en affirmant que "si les autorités le ratifient
comme vainqueur de cette élection, nous allons travailler avec lui pendant
six ans pour le bien du Chiapas et du pays". Il a également déclaré que
"si le PRI décide de contester les élections auprès des tribunaux
étatiques et fédéraux, ils respecteront cette décision mais qu’Action
nationale ne les appuiera pas en ce sens". [13]

Il est important de souligner :

1. - La Coalition pour le bien de tous, pour le moins en ce qui concerne
celle qui a été représentée au Chiapas et les personnes qui la forment et
la soutiennent au Chiapas, sont loin de signifier une option de gauche. On
observe bien plutôt une claire séparation entre les intérêts concrets de
la majorité de la population et l’ambition des partis politiques.

2. - Indépendamment de celui qui gagnera, Sabines ou Aguilar Bodegas, au
bout du compte c’est un secteur du PRI qui l’emportera
(Sabines/Albores/Kanter, dans le premier cas, Madrazo/Elba Ester Gordillo,
dans le second).

3. - Cependant, si le vainqueur est Juan Sabines, le triomphe sera surtout
celui de l’actuel gouverneur, Pablo Salazar (PSM), qui a fait pression,
négocié et obtenu cette candidature, en lui accordant le soutien officiel.
Selon l’opinion de certains analystes locaux, PSM cherchait ainsi à
promouvoir la continuité de son "projet" et à garantir sa propre impunité.

4. - Le haut niveau d’abstention au Chiapas, fait que quel que soit le
candidat élu finalement, il parviendra au pouvoir avec à peine 20% des
votes.

5. - Le processus électoral que nous observons au Chiapas est un exemple
presque caricatural du pragmatisme qui existe au sein du système des
partis, où les alliances, négociations entre dirigeants démissions et
changement de partis s’opposent aux principes, programmes et projets de
gouvernement paraissant ainsi se moquer de la citoyenneté et de la
démocratie.

Finalement, comme organisations non gouvernementales nationales et
internationales, qui se dédient à la défense des droits humains et à la
préservation d’une paix sociale digne, nous voulons exprimer notre
préoccupation pour les constantes et profondes violations des droits et
garanties contenues tant dans la Constitution mexicaine que dans le Pacte
international des droits politiques et civils de l’ONU ­ en particulier
les articles 18 et 25 - à l’encontre des peuples et habitants du
Chiapas. Durant la totalité du processus électoral, et afin d’obtenir le
poste de gouverneur, tous les partis politiques et le même gouvernement de
l’État sont intervenus d’une manière qui, à moyen terme, pourra impliquer
un approfondissement de la perte de crédibilité du système des partis et
de la démocratie représentative, et une plus grande apathie citoyenne. En
fermant et en paraissant se moquer des voies démocratiques des situations
de violence sociale pourraient se générer.

San Cristóbal de Las Casas, Chiapas, le 27 août 2006.

PROJET D’OBSERVATION ET DE SUIVI DES DROITS POLITIQUES ET CIVILS DES
PEUPLES DU CHIAPAS 2006.

Alliance civique Chiapas
Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas (CDHFC)
Peace Watch Suisse
Propaz Suisse
Service international pour la paix (SIPAZ)

[1] Le Chiapas est un État où le niveau d’abstention est historiquement
l’un des plus hauts du pays, étant généralement supérieur à 50% et pouvant
s’élever jusqu’à 67%, ce qui a été le cas lors des élections fédérales de
2003.

[2] voir http://www.frayba.org.mx

[3] Joaquín López Dóriga (programme télévisé national appelé "Tercer
grado", le 24 août 2006) a utilisé ce qualificatif en faisant référence au
cas des ex-membres du PRI Roberto Albores Guillén et Constantino Kanter
aujourd’hui du PRD.

[4] Voir "La Jornada", 22 août 2006.

[5] Voir "La Foja Coleta", 24 août 2006.

[6] On appelle urnes "zapato", celles dans lesquelles on rapporte que le
total des votes ont été en faveur d’un seul et unique parti, une pratique
commune lorsque le PRI contrôlait tout le processus électoral dans les
zones rurales.

[7] Voir "Expreso Chiapas", 26 août 2006

[8] Voir "La Foja Coleta", 22 et 23 août 2006.

[9] Voir
http://www.iee-chiapas.org.mx/historia/2006/proceso/pdf/resultados_finales.pdf

[10] Avec ce pourcentage minime, le PAN, même s’il conserve son registre
politique au sein de l’État perd de fortes prérogatives électorales de
caractère économique.

[11] Il perd son registre comme parti politique au Chiapas.

[12] Il perd son registre comme parti politique au Chiapas.

[13] Voir "La Jornada", 29 août 2006

http://www.sipaz.org/fini_fra.htm