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Penser autrement la politique de l’immigration

par Vincent FERRY, chercheur 2L2S, université de Lorraine

Publie le lundi 12 mars 2012 par Vincent FERRY, chercheur 2L2S, université de Lorraine - Open-Publishing

Depuis les années 1980, les partis politiques français, pour des raisons de stratégies électorales ou pour se donner bonne conscience, sont à la traine du Front national dans leurs propositions et actions par rapport à l’immigration.
En effet, quel que soit le point de vue, la considération est toujours celle d’un état national souverain, qui gérerait les flux par le droit. Or, dans l’histoire contemporaine, l’immigration est d’abord un problème économique : pour le pays d’accueil celle de places de travail non pourvues par les autochtones, et pour le pays de départ, celle de places de travail offrant de meilleures conditions de rémunération que dans son propre pays.
Et l’histoire est têtue, qui montre qu’un pays n’accueille pas d’immigration (sauf dans des emplois hautement qualifiés d’ingénieurs, enseignants chercheurs techniciens, en particulier dans les ex colonies européennes en Afrique) tant qu’il n’est pas en capacité d’absorber sa propre main d’œuvre dans des conditions acceptables, et un pays arrête d’être un pays d’émigration lorsque l’emploi est suffisamment développé dans son propre pays pour accueillir toute la population nationale.
Le cas de l’Italie illustre parfaitement bien ce propos. Pays d’émigration s’il en est de la fin du 19ème siècle jusqu’en 1960, il devient pays d’immigration en 1979, ayant réalisé après guerre ce que d’aucun décrive comme le miracle économique italien, c’est-à-dire étant devenu un pays au niveau de vie comparable à celui de ses voisins européens. A partir du moment où les nationaux pouvaient trouver du travail au pays, quitte à aller du sud vers le nord, ils migrèrent de moins en moins à l’étranger.

Bien entendu, en déterminant que les grands flux migratoires sont liés au travail, il est alors intéressant de se rendre compte que ceux qui en réalité créent cette dynamique sont les patrons.

Repenser la politique de l’immigration nécessiterait évidemment un développement conséquent. Cependant, il serait temps de sortir de l’enferment médiatique dont sont victimes un certain nombre de « sans papiers », pour reconsidérer humainement et politiquement la question.

Premièrement : la France est un pays qui, depuis le 19ème siècle, doit son développement à l’apport de millions d’étrangers qui sont en particulier venus travailler dans les industries de base, les mines, le bâtiment et travaux publics, les services aux personnes, les travaux saisonniers de l’agriculture puis, plus récemment dans les industries de transformation, et encore plus récemment dans des emplois plus ou moins qualifiés, de chauffeurs routiers, de médecins, d’infirmières, d’enseignants, d’informaticiens…, tout en continuant a être massivement présents dans les secteurs précités produisant encore sur le territoire. De ce fait, l’histoire de l’immigration est d’abord à considérer d’un point de vue de l’histoire du patronat, qui est, en première comme en dernière instance, celui qui génère les flux migratoires. (Y compris le « patron état », lorsqu’il s’agit de combler des emplois non pourvu par des nationaux dans les fonctions publiques comme dans l’enseignant scientifique et/ou la médecine et l’infirmerie hospitalière).

Deuxièmement : la France est un espace qui a toujours accueilli les immigrés d’abord avec réticence et une certaine xénophobie, que ce soit pour les Italiens, les Polonais, les Yougoslaves, les Espagnols, les Portugais, les Marocains, les Tunisiens, les Algériens, les Turcs…, xénophobie plus ou moins marquée selon les époques et les circonstances historiques. C’est ce que j’appelle le développement d’une xénophobie de proximité. Plus les immigrés arrivent regroupés dans un endroit (recrutés dans le pays par le patronat français, pour une entreprise donnée, d’où les concentrations locales surtout dans le passé), plus le sentiment de rejet de la part de la population locale est violent, quelle que soit l’origine des gens.
Par ailleurs, la France s’est pourvue de lois (depuis le 19ème siècle), et a négocié des accords internationaux et bilatéraux, en accord avec les syndicats patronaux. Ces accords ont garanti et garantissent toujours, pour ces syndicats, de pourvoir recruter autant de personnes en fonction de ses intérêts, quand ils le souhaitent (voir à cet égard l’accord révisé avec la Tunisie en 2008). Ces accords et lois garantissent un minimum de droits aux ressortissants des pays tiers venant en France. L’histoire a montré que plus ces droits étaient élevés et respectés, plus l’immigration se passait correctement pour les individus. De ce point de vue, il n’y a pas contradiction entre droits élevés des citoyens étrangers et intégration sur le territoire français, au contraire.

Troisièmement : l’état a toujours cherché à « contrôler » l’immigration, sans jamais affirmer à ses citoyens nationaux qu’en réalité il était à la botte du patronat. L’hypocrisie devient alors le mot qui caractérise le mieux l’affichage politique de la question de l’immigration. Depuis au moins les années 1980, cette hypocrisie a pour fin surtout de recapturer l’électorat français parti vers le Front national. Le gouvernement actuel n’est que la caricature des gouvernements précédents, gauche y compris.
En effet, sa stratégie a été claire : séparer les immigrants réguliers (ceux qui ont un titre de séjour dûment tamponné par les autorités françaises) des irréguliers. Pour les uns, pas de retour en arrière, les tentatives Pasqua des lois éponymes de 1993 ont montré leurs limites politiques. L’objectif était donc double : - affirmer sa sévérité vis-à-vis de l’électorat du front national ayant voté pour le président au premier tour en 2007, en harcelant des immigrés en situation irrégulière, pire en harcelant leurs enfants, dans une optique à vocation électorale interne. Ce qui s’est traduit également par la captation de l’énergie de militants humanistes, qui ont passé leur temps à défendre des personnes ainsi maltraitées par le gouvernement.
- Utiliser le parlement pour tester de nouvelles dispositions vis-à-vis des étrangers, non pas contre eux spécifiquement mais pour faire accepter l’idée dans l’opinion. Deux exemples : la loi sur les contrôles génétiques, votée qui a été annulée en pratique par le ministre Besson, car inapplicable. L’objectif n’était pas d’effectuer les contrôles génétiques sur les populations immigrées, mais de faire voter une loi permettant ces contrôles. Résultat, ces contrôles ont pu passer dans le reste de la société, pour les passeports, les cartes d’identité, pour tous les délits…
Autre exemple : la présupposition du mariage blanc entre un conjoint français et un étranger. Selon quelle vision morale, si ce n’est pour revenir aux préjugés moraux du code civil napoléonien, un Etat s’arroge-t-il le droit de considérer qu’un mariage est blanc : parce la sexualité n’est pas consommée ? Parce que les personnes ne vivent pas ensemble ? Voilà le contrôle auquel les couples franco-autre nationalité sont soumis. Les normes de la bourgeoisie ne doivent pas être, selon elle, celles du peuple (mariages arrangés liés aux héritages), et faire passer une loi réactionnaire parce qu’elle concerne l’immigration, permet ensuite de l’appliquer à tout le reste de la société.
Quelles solutions ? -Dans l’immédiat, il est toujours urgent de voir des leaders politiques, élus, s’opposer à la violence policière des arrestations arbitraires, y compris physiquement en se déplaçant sur les lieux des drames et de protéger des « sans papiers » directement.
- Ensuite que la loi soit appliquée envers les patrons qui embauchent des personnes au noir.

- Dans la campagne, il faut affirmer que l’ensemble de l’agitation autour des « sans papiers » est une ignominie, et que dans un état de droit tout le monde doit avoir une identité. L’idéal type d’une autre gauche est d’affirmer que les citoyens du monde ont le droit de circuler librement, comme c’est le cas pour l’argent. -Et recommencer par un accord de libre-circulation avec l’Algérie, comme le stipulait les accords d’Evian.
- Revenir à la situation législative de 1984, la plus aboutie après le vote de la carte de dix ans, en y ajoutant les progrès de la loi de 1998, et en conservant le contrat d’accueil et d’intégration, renforcé pour les moyens alloués aux cours de Français.
- Valoriser les langues de l’immigration, en laïcisant les cours de langues, par la création de maisons des langues et des cultures du monde, sur tous les quartiers relevant de la politique de la ville.
- Pour la gestion des flux, donner le pouvoir légal aux patrons pour que cesse l’hypocrisie, en créant une commission mixte paritaire, syndicats patronaux, syndicats de salariés, ce qui aurait le mérite de rendre visible la politique d’immigration de travail, et lutterait efficacement contre les recours à la main d’œuvre non déclarée.