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Permettre aux ménages de consommer davantage fournirait des assises solides pour l’expansion
Publie le mardi 13 septembre 2005 par Open-PublishingMobiliser la consommation privée
de Isaac JOSHUA
Isaac Johsua économiste, membre de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).
Un rythme élevé de croissance de l’économie est encore le plus sûr moyen de créer des emplois. Quelles leçons pouvons-nous tirer, de ce point de vue, du modèle américain, alors que notre économie fait du sur-place ? Reagan avait expliqué qu’il fallait s’attaquer aux rigidités de l’offre, mais avait fait jouer un modèle de la demande, par le biais d’un gigantesque déficit budgétaire. Egalement avocat du supply side, Bush Jr. a mis en réalité les Etats-Unis en régime de surconsommation permanente.
La comparaison effectuée sous cet angle est du plus haut intérêt : aux Etats-Unis, la part de la consommation des ménages tourne autour de 70 % du PIB ; en France, autour de 55 %. Quinze points d’écart séparent les deux pays !
La consommation des ménages n’étant sujette ni aux brutales fluctuations de l’investissement, ni aux incertitudes de l’exportation, elle peut fournir des assises solides pour l’expansion. Comment obtenir ce résultat en France, comment mobiliser la consommation privée, telle est la question centrale. Refuser d’imiter le modèle américain n’interdit pas de s’en inspirer. Et sur un point précis : le taux d’épargne des ménages. Ce taux (qui rapporte l’épargne des ménages à leur revenu disponible) oscille en France entre 15 et 17 %, alors qu’en 2004 il est à 1,3 % aux Etats-Unis.
Si nous parvenions à réduire ce taux d’épargne de façon significative (sans aller évidemment jusqu’à l’insignifiance américaine), nous pourrions créer des conditions plus favorables pour l’expansion économique. L’enjeu est d’importance : en 2004, le rythme de croissance de la consommation des ménages français aurait été doublé si le taux d’épargne de ces derniers avait été réduit de trois points. Un tel glissement ne coûterait rien, alors qu’il faut s’endetter pour accroître une consommation publique qui, en France, compense la faiblesse de la consommation privée.
Pour y parvenir, il faudrait d’abord modifier en profondeur notre système fiscal. Celui-ci se montre particulièrement favorable à l’épargne et pèse lourdement sur la consommation, alors qu’il faudrait dissuader la première et encourager au contraire la seconde.
Protéger l’épargne populaire est un impératif, mais la législation fiscale se montre bien accommodante avec l’assurance vie, les PEA et autres Perp. Les sociétés font peu d’épargne, peu d’investissements, mais distribuent beaucoup de dividendes à des ménages à la propension à épargner élevée. En taxant sévèrement les dividendes, en encourageant au contraire l’autofinancement de l’investissement productif, on soutiendrait l’activité et favoriserait la modernisation des entreprises.
Parallèlement à la réforme fiscale, il faudrait mettre en oeuvre une véritable politique de distribution des revenus. Celle-ci, poussant dans le sens de hausses prioritaires des salaires bas et moyens, cherchant à réduire l’ouverture de l’éventail des revenus, favoriserait par ce fait même l’essor de la consommation. Ce qui implique aussi, soit dit au passage, de revenir sur les allégements successifs de l’impôt sur le revenu qui ont été consentis ou qui sont programmés, car ils aboutissent au résultat inverse.
Mais, dira-t-on, si l’épargne est dissuadée, comment financer l’investissement ? Contrairement à ce qu’affirme le discours orthodoxe, réduire le taux d’épargne est certainement l’un des meilleurs moyens d’accroître l’investissement.
En effet, les ménages continuent à dégager une importante capacité de financement mais celle-ci ne se traduit pas en montée de l’investissement des entreprises, faute de perspectives favorables en ce qui concerne la demande anticipée par ces dernières. Cette capacité de financement couvre les déficits publics, eux-mêmes dus, pour l’essentiel, à l’atonie de la conjoncture. Le redressement de la consommation et, dans la foulée, de l’investissement devrait gonfler les recettes des administrations publiques. Celles-ci seraient amenées à moins ponctionner une épargne des ménages rendue ainsi disponible pour les entreprises.
Par ailleurs, n’y a-t-il pas, dans une économie ouverte comme la nôtre, risque de détournement de la demande vers le reste du monde, entraînant un déséquilibre des échanges extérieurs, avec de maigres retombées pour la production et l’emploi ? Sans doute, mais quelle est la meilleure situation pour les entreprises nationales ? L’actuelle, avec des carnets de commandes peu garnis et de sombres perspectives ? Ou se sentir soutenues par une demande à nouveau dynamique, quitte à ce qu’une partie de cette dernière produise ses effets à l’étranger ? Quant à l’épouvantail de 1981-82, si souvent agité, il a perdu de son sens : l’euro est une monnaie qui flotte et qui a au moins l’avantage de nous fournir un parapluie, parce qu’elle ne repose pas sur un seul pays mais s’adosse à une zone économique puissante.
Activer le moteur consommation implique la mise en oeuvre de certaines politiques mais en exclut tout naturellement d’autres. Pour que les ménages se tournent franchement vers la consommation, le maître mot doit être : rassurer. Il faut donc écarter toute mesure qui, entretenant la précarité, pousse ce faisant le taux d’épargne à la hausse. Le tout récent « contrat nouvelles embauches » est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire. Il faut aussi renoncer aux départs à la retraite non remplacés dans la fonction publique, car comment redonner confiance aux ménages quand les actes démentent aussi ouvertement les paroles ?
En un mot, il faut renoncer aux politiques d’inspiration libérale, entrer dans un modèle où, à la confiance retrouvée des ménages répondrait l’optimisme des consommateurs, une expansion soutenue et des chances enfin raisonnables dans la bataille de l’emploi.
Dernier ouvrage paru : le Grand Tournant (PUF, collection Actuel Marx Confrontation 2003).