Accueil > Perpète
Affaire Battisti : L’écrivain ne doit pas être extradé.
de Oreste Scalzone traduit de l’italien par karl&rosa
En partant du niveau zéro de la réaction éthologique, je peux affirmer que depuis mon enfance un reflux empathique paroxystique conjugué à un dispositif claustrophobe me fait ressentir le mot prison à vie comme une lente, prolongée, irréparable annonce de mort, une longue agonie d’après-midi qui ne passent jamais jusqu’à la mort. J’associe la prison à vie à une phrase que j’essayais de lire, en singeant les grands, à une époque où, enfant précoce, je pensais que Marx était russe : "Derrière lui (ou elle) – Rina Fort, le maître Graziosi, Ghiani et Fenaroli – se sont refermées les portes de la prison à vie". Il s’agissait de Portolongone, euphémiquement rebaptisé Porto Azzurro.
C’était l’époque de Chessman, qui ne trouva le courage absurde de se condamner à treize ans de rayon de la mort que pour l’éviter. Et mon opinion ne changerait pas même si à la fin il avait pu l’éviter. Et j’oserais corriger le présocratique qui pense pouvoir liquider la question de la mort parce qu’auparavant elle n’est pas là et après ce n’est plus un problème : le rayon sent la mort et pas que cela.
Dans Synopsis, en 1983, nous avons osé lancer – dans la réprobation générale – le mot d’ordre de l’amnistie pour tous et pour chacun, contre la prison, en consacrant un chapitre spécifique à cette question : « longue peine, pire que mourir ».
En admettant l’élément lié à l’espèce qui – à tort ou à raison – est là, parce que je parle d’animaux de l’espèce humaine, qui se sont au moins entendus promettre le paradis de la liberté, d’éventuelles différences par rapport à l’intimité de cette sensation première (entre un Pinochet et un ami, entre Milosevic et un camarade, entre Saddam et Hess) existent mais elles sont successives et leur relation avec cette instance primordiale équivaut à celle de la culture avec la nature ou de la politique avec la vie.
Mobilisons nous. Pour l’amnistie !
http://orestescalzone.over-blog.com
De toute façon, Cesare Battisti a été un compagnon du destin, jusqu’au jour où, en prenant la parole le premier sur sa fuite, je redis en paraphrasant le Lénine de Negri (« la théorie est grise, l’arbre de la vie est vert ») : il a choisi le vert de la vie contre le gris de la politique, de la morale et de la justice pénale. Au-delà de la toute simple idée de Salvemini sur le droit à l’évasion, je disais à l’époque à Le Monde qu’un canari qui ne s’enfuit pas d’une cage ouverte tout en sachant qu’il peut finir dans la bouche d’un chat est malade. Au moment où l’obsession pénale est devenue le crack des peuples, l’art de la fuite est devenu un devoir. Au-delà des positions respectives ou même des facéties, entre autre masochistes, que quelques intellos mirliflores avaient amené Cesare Battisti à faire siennes, j’avais à cœur le vol de Cesare, d’autant plus aujourd’hui, parce qu’entre temps la peste s’est répandue.
Aujourd’hui, un ministre de la Justice de rassurante marque chrétienne-démocrate est contraint à raser les murs et à divaguer parce qu’il avait signé une modeste amnistie réclamée des années durant par un Pape et qui est devenue un crime obscène même dans les colonnes de L’Unità par les soins de Travaglio excitant des réflexes typiques de la populace : ainsi le ministre délire sur l’abolition de la prescription.
Aujourd’hui même l’urgence est un souvenir lointain, on confond l’amnistie avec la grâce, où le refus d’un parent de la victime suffit à l’empêcher. Ils abolissent ainsi la Constitution. Aujourd’hui, le crime n’intéresse presque plus. A la limite, s’il y avait quelqu’un, il dormait. Et l’impunité qui échappe au monopôle étatique l’offrant en prime est le scandale total. La fuite, la déloyauté envers le bourreau est un crime suprême et la certitude de la peine n’est plus l’inquiétude et la hantise d’Alfredo Rocco, mais elle est confiée à l’éminent juriste Sergio Segio qui vint en effet la réclamer pour Cesare Battisti, de même que le maître spécifique de Cesare Battisti, Arrigo Cavallina, des colonnes de Le Monde, faisant écho à La Stampa et à La Repubblica.
Même si je ne crois pas, du fait que nous nous sommes connus à l’époque, Battisti Cesare, moi, nous, d’autres, nous avons aussi participé à une même révolution et les révolutions vivent ainsi.
A mi-hauteur, parce que nos anarchistes de Catalogne et nos ouvriers de Czepel n’étaient pas innocents non plus… et la tête fendue d’un propriétaire foncier, comme on la voit dans le film Bronte, n’est pas belle… et peut-être est-ce vrai aussi ce que dit le docteur Lénine qui s’y connaît, que peut-être la Ceka, Dierjinski et la Terreur rouge ont évité le bain de sang.
Mais les âmes mortes, quand elles se réveillent du long sommeil séculaire, pleurent vraiment quand elles s’agenouillent dans la neige la tête découverte et pleurent vraiment leur petit père, le czar, dont passe le cercueil. Aussi devant le siège du KGB de Budapest s’élevait la fumée de la chair brûlée des tchékistes et cela n’est pas beau.
Mais nous sommes avec les âmes mortes et avec les marins de Kronstadt et avec les anarchistes de Catalogne et avec les ouvriers de Czepel et les paysans de Bronte, contre la civilisation des Bixio, contre les Armées Rouges et contre ceux qui – la microphysique du pouvoir de Foucault nous l’a appris – en instituant la justice prolétaire et populaire, réduisent peut-être le flux du sang mais en préparent beaucoup plus.