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"Piracy Deterrence and Education Act" : vol d’auteur dans le style "Dabliou" Bush

Publie le mardi 23 novembre 2004 par Open-Publishing


Le véritable vol c’est celui que pratiquent les maisons de distribution de
disques et de films en utilisant les nouvelles technologies pour soustraire du
patrimoine commun les œuvres intellectuelles, pour l’éternité. L’objectif est
de nous obliger à acheter tous les x ans les mêmes œuvres sur des supports différents
Censure moraliste et publicité obligatoire. L’Amérique de Bush se reflète dans
les nouvelles lois sur le copyright : les auteurs (quant à la protection de l’intégrité de
l’œuvre) et le public (quant à la reproduction digitale) sont expropriés à l’avantage
des corporation.


de FRANCO CARLINI

Le record de la loi la plus liberticide actuellement en discussion au parlement
américain est attribué sans aucun doute au "Piracy Deterrence and Education Act" (au
sigle HR4077).

Le titre dit tout : c’est le dernier projet de loi sur le thème du copyright présenté devant le législateur états-unien et qui risque sérieusement d’être approuvé à tout vitesse par une majorité bi partisane durant la cession actuelle. Ce n’est pas la seule loi dans le genre, l’"Intellectual Property Protection Act" (HR 2391) est également en discussion et le clintonien Dmca (Digital Millenium Copyright Act) pour la protection des maisons d’édition musicale et des mayor de Hollywood est en vigueur depuis longtemps mais de tous, celui-ci est certainement le plus assassin. Dans cette loi, la description même du délit subit un violent changement : j’achète légalement un morceau de musique, en le téléchargeant d’un des services payants de musique ; auparavant, le délit de violation du copyright ne se concrétisait que si je faisais passer à d’autres ce matériel ; certains soutenaient même qu’il n’y avait délit que si cette cession était réalisée dans un but lucratif (pratiquement une revente, comme celle des vendeurs ambulants dans la rue). On tenait aussi pour acquis que chacun puisse faire ce que bon lui semblait d’un objet acheté, qui était désormais à lui. C’était un droit "du premier achat" et une pratique solide du "fair use", de l’usage permis.

Au contraire, selon cette loi folle, le délit se concrétise déjà au moment où je le laisse ce morceau que je viens d’acquérir, dont je suis légalement possesseur, sur un ordinateur en réseau, ouvert à l’accès d’autres usagers. On va donc jusqu’à punir (jusqu’à trois ans) l’éventualité, même non criminelle. On pénalise l’équipement technique et pas son usage illicite : si ce principe était appliqué en général, alors, il faudrait, par souci de cohérence, interdire la détention d’armes à feu étant donné qu’on peut les utiliser pour commettre des délits et même très graves. Mais il ne s’agit pas que de cela : il est aussi sévèrement interdit (et partant puni) d’entrer dans un cinéma avec une caméra vidéo et d’enregistrer depuis l’obscurité de son fauteuil des morceaux de film. Ce phénomène qui produit des copies de très mauvaise qualité est extrêmement limité et ne crée évidemment aucun dommage aux maisons de production cinématographique ; la répression en est surtout aussi symbolique que sévère.

Et puis gare à qui abîme par des coupes ou des falsifications les œuvres cinématographiques. Mais avec une exception cependant qui révèle le sens profond de la régression en cours : on peut couper les scènes violentes ou de sexe, ou mieux les soi-disant "contenus discutables". C’est une pratique que certains loueurs de cassettes ont mise en pratique depuis longtemps, pour aller dans le sens de leur clientèle la plus puritaine : ils coupent les scènes et louent les cassettes nettoyées. Aux objections des cinéastes qui seraient après tout les titulaires de leur bon droit d’auteur, la nouvelle loi répond qu’il n’en n’est plus ainsi de ce droit. Mais attention, car il y a une exception à l’exception : les coupes de la censure sont admises pour des raisons morales mais il n’est par contre pas permis d’utiliser des logiciels ou d’autres équipements qui "sauteraient" les annonces publicitaires ou commerciales associées aux DVD. Ca aussi, c’est une déclaration solennelle des valeurs de l’électorat de George W.Bush : moralité et business en pleine syntonie entre eux et en opposition aux autres droits. Mais que vaut l’industrie du copyright aux Etats-Unis ? En août dernier, le bureau du budget du congrès Usa a offert au législateur une analyse soignée de manière à ce qu’il ait un tableau précis de la situation et qu’il puisse évaluer le pour et le contre de chaque solution.

Le rapport s’intitule "Copyright Issues in Digital Media" ( www.cbo.gov/showdoc.cfm?index=5738&sequence=0 ) et évalue à 441 milliards de dollars le chiffre d’affaires dans ce milieu mais seule une petite proportion correspond aux industries mises en avant : la musique (édition et enregistrement) ne représente que 3,15% du total, quant à Hollywood, il s’agit des 14%. Le tout fait moins d’un cinquième, le reste étant représenté par la presse et par les livres (32,5), par la radio et la télévision (30,13%) et par les logiciels (20,25). Un appui enthousiaste à la loi est venu de l’association industrielle de la musique (Riaa) et de celle des films (Mpaa). C’est justement cette dernière qui,récemment, a décidé de suivre les pas de la première : dénonciations pénales aux détenteurs de copies non autorisées des films. La Riaa révèle de son côté de manière triomphante qu’elle a dénoncé 6952 échangeurs de fichiers de septembre 2003 à aujourd’hui, dont 761 la semaine dernière : mais il s’agit évidemment d’une minuscule goutte d’eau et en effet, la philosophie est d’en frapper un pour en éduquer cent.

Le même esprit semble animer la Fédération de l’Industrie Musicale Italienne (Fimi) qui a polémiqué ces jours-ci avec le sénateur vert Fiorello Cortiana : celui-ci avait dénoncé publiquement cet horrible décret Urbani (qui prévoit une peine d’emprisonnement pour toute personne téléchargeant ou diffusant des données soumises au copyright, Ndt) dont le ministre avait promis une rapide correction dont il n’y a ni trace, ni aucun espoir. Appelant les lobbyistes par leur nom, Cortiana avait dénoncé "les pressions de ceux qui, comme la Fimi ou les producteurs de cinéma veulent et exigent qu’un gamin qui échange un fichier soit sanctionné comme le maffieux qui commercialise des films pirates pour des millions d’euros, par quatre ans de prison".

Comment répond la Fimi, par la voix de son nouveau responsable des relations externes ? Que le sénateur n’a même pas voulu étudier leurs "solutions de compromis". Pas de chance, le compromis était déjà là, annoncé par le gouvernement et approuvé par une majorité transversale à tous les groupes : c’est plutôt la Fimi qui s’est beaucoup démenée, après l’annonce de ce compromis, pour le bloquer, et malheureusement jusqu’à présent avec succès.

La chose la plus curieuse est que personne ne croit sérieusement que le problème soit celui de gamins qui téléchargent. Ils sont tous conscients que la filière de la musique, telle qu’elle était il y a encore cinq ans, a été mise en piteux état (brouillée, comme les œufs) par les technologies digitales. L’omelette est un phénomène physique irréversible sur la base du deuxième principe de la thermodynamique : l’entropie a augmenté et l’on ne peut plus revenir aux œufs de départ. Ils savent aussi (la Fimi l’écrit à tout bout de champ) qu’un marché payant (raisonnablement) de la musique digitale est possible et fonctionne déjà, mais ils l’entendent à leur façon, c’est-à-dire en dotant chaque morceau de musique ou bien chaque film d’un code de protection qui permette (à eux) la gestion des (de leurs) droits : ce sont les techniques dites de Digital Rights Management. De cette manière, un morceau acquis légalement sera protégé pour l’éternité et donc aussi ceux dont le copyright est caduque qui devraient désormais tomber dans le domaine public. En affirmant qu’ils veulent défendre le copyright, ils opèrent en réalité activement pour en abolir définitivement l’idée même qui est celle d’un monopole temporaire sur la reproduction par copie.

Dit de manière encore plus nette : ce sont aujourd’hui les entreprises de la musique et du cinéma qui manipulent la loi avec les technologies, soustrayant de fait à la communauté ces biens que les lois de tous les pays considèrent comme patrimoine culturel commun.

Leur réponse, reçue poliment, résonne ainsi : à l’échéance du copyright, vous serez libres (si ce n’est vous, vos arrière-petits-enfants, étant donnée la durée du copyright) de retirer leur protection aux CD ou aux DVD. Mais comment, si les équipements et les logiciels pour le faire sont dès à présent déclarés hors la loi ? Et comment, si les codes sont secrets et que leur simple divulgation sur des revues et dans des congrès est bloquée par le Fbi lui-même ? Et encore : puisque les technologie changent, qui peut me garantir que, d’ici 50 ou 70 ans, il y aura encore du matériel informatique hardware ou software pour le faire ?

De toute évidence, ils savent très bien que nous ne le ferons pas et que donc, après avoir acquis un morceau de musique sur vinyle, puis sur CD, maintenant sur DVD et enfin comme fichier MP3, nous devrons l’acquérir à nouveau plusieurs autres fois si nous voulons encore continuer à l’écouter (nous et nos arrière-petits-enfants). Autrement,il est évident que les systèmes de protection pourraient très bien être étudiés avec une date d’échéance incorporée et automatique, mais personne ne semble s’en préoccuper.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/21-Novembre-2004/art62.html

Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao