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Police de Casablanca : le docu choc

Publie le dimanche 1er novembre 2009 par Open-Publishing

La chaîne de télévision France 5 a programmé un documentaire sur la police casablancaise dans le cadre de l’émission « Commissariats du monde ». On y voit une police submergée de travail. Une police qui fait face à des situations rocambolesques avec les moyens du bord. Mais aussi une police qui ne respecte pas la vie privée des gens. Plongée dans un documentaire choc sur la police marocaine.

Par : Hicham Houdaïfa

L’émission « Commissariats du monde » consacrée à Casablanca, dans le quartier de Derb Kabir plus précisément, révèle la police marocaine dans tous ses états. D’abord, on voit bien qu’il s’agit d’une police disposant de peu de moyens et qui a à gérer un flot de plaintes, d’enquêtes et d’interrogatoires, souvent sous la pression et dans un environnement hostile. Des inspecteurs judiciaires, des officiers et des commissaires dont les salaires ne sont pas à la hauteur de leur mission et qui se débrouillent comme ils peuvent pour résoudre les problèmes d’une population marginalisée. Ce documentaire de 52 minutes, produit par la chaîne française France 5, a été diffusé une première fois le 22 septembre dernier. Il a le mérite de pointer du doigt l’essentiel : la police, personnification du makhzen dans la tête du citoyen marocain lambda, se montre peu respectueuse des droits élémentaires des citoyens. Et ce, sans le vouloir. D’ailleurs, Jean-Bernard Andro, réalisateur de l’émission, après avoir passé quatre semaines dans les couloirs du commissariat de Derb El Kabir assure avoir côtoyé « d’honnêtes flics qui essayaient tout simplement de faire leur boulot correctement. » En accompagnant les policiers de Derb El Kabir lors de leurs descentes et de leurs enquêtes, la caméra de cette chaîne française réussit là où nos télévisions nationales se sont toujours plantées : nous renvoyer notre propre image dans toute sa crudité, dans toute sa violence.

L’autre Casa

« Commissariats du monde » est une immersion dans l’arrondissement de police de Derb El Kabir, plus connu sous le nom de lwityame (8ème). Derb El Kabir n’est pas un quartier périphérique. Il fait partie du mythique Derb Soltane, un des quartiers historiques de Dar Beïda. Pourtant, ce quartier est l’un des plus violents de Casablanca. La petite délinquance est faire partie du quotidien. La drogue fait des ravages, surtout le karkoubi (comprimés psychotropes), dont la capitale nationale n’est autre que le quartier de Derb Moulay Cherif, pas si loin de Derb El Kabir. Les crimes y sont fréquents. Promiscuité, conditions de vie précaire, nous assistons là à une métastase du dénuement. A Casablanca, les poches de pauvreté sont partout : dans la périphérie, autour des quartiers riches (Anfa et Californie) en plein centre-ville (ancienne Médina, Derb Soltane) ainsi que dans les bidonvilles de la capitale économique. « Des scandales, il y en a tous les jours », « On entend toujours des cris, des obscénités », « tout le monde se tkarkabe jusqu’au petit matin » …, ce sont les voix sonores que l’on entend chaque fois que la caméra de France 5 se promenait dans ce quartier de 185 000 habitants, « une population aussi grande que Le Havre ou Saint-Etienne », précise le commentateur. Le mérite du documentaire, c’est que contrairement aux automatismes de nos télévisions nationales, on n’a pas supprimé ses ambiances. Et comme le précise bien le sociologue Jamal Khalil, nous avons l’impression qu’il n’y a pas de différence entre l’espace intérieur (commissariat) et l’espace extérieur (la rue, Derb El Kabir). La violence verbale y est identique. Lors de cette visite guidée des locaux du commissariat de Derb El Kabir, les policiers adoptent le même langage que celui des gens de la rue. Propos homophobes, misogynes, parfois violents, les inspecteurs et le commissaire utilisent des expressions inappropriées pour une police censée respecter les droits élémentaires des citoyens, et ce devant les caméras d’une télévision étrangère ! « C’est une chose bizarre. L’Etat généralement a toujours voulu véhiculer une bonne image auprès de la presse étrangère », explique Jamal Khalil. Peut-être croyaient-ils que leurs propos en darija n’allaient pas être traduits ?

« Dine mouk », « salope »

Les échanges entre les policiers et les plaignants ou les inculpés sont édifiants. A l’attention d’un enfant qui clame avoir été victime d’agression sexuelle, un enquêteur ne trouve que cette question à lui poser : « Pourquoi tu t’es laissé faire ? Tu es déjà parti avec quelqu’un d’autre, hein ? » A un jeune homme très en colère contre son frère qui selon les dires de sa mère voulait l’agresser sexuellement, un autre enquêteur lui lance : « Tais-toi dine mouk. Pourquoi tu n’as pas fait le héros quand cela s’est passé ? »

La violence verbale dans la rue, on la retrouve telle quelle à l’intérieur du commissariat. Quant à la jeune femme qui a fait un vacarme dans un hammam, un inspecteur de police aura sur son compte les phrases suivantes : « Je savais qu’on l’aurait cette salope. On va la ramener faire sa déposition en maillot comme on l’a attrapée ». Les policiers ont interpellé la jeune femme à l’intérieur d’un hammam pour femme. Une fois au commissariat, la jeune femme aura cette conversation avec les enquêteurs. Commissaire : « Pourquoi tu as fait ce scandale ? ». « Il a poussé ma mère. Même si c’est un représentant du makhzen, il n’a pas le droit de la pousser. » « Il peut la pousser et te pousser. » « On me tabasse à l’intérieur du hammam et l’on me sort toute nue et je mérite encore d’être frappée… » Inspecteur : « Je ne t’ai pas frappée. » « Tu es un menteur. Que Dieu te maudisse jusqu’au jugement dernier. » « Quoi, je vais t’envoyer ça à la figure putain de ta mère. »

Une réalité glauque

Alors que le thème de l’insécurité devient récurrent dans toutes les villes du royaume, ce documentaire que l’on peut visionner sur les sites de partage de vidéo (Youtube, dailymotion) revêt une importance vitale. Il montre tout d’abord que nos policiers ne disposent pas des moyens adéquats pour lutter contre la criminalité. Les mêmes policiers qui sont chargés de conduire les enquêtes, de commander les opérations de terrain sont ceux qui s’occupent de l’investigation, procèdent aux interpellations, aux interrogatoires et enregistrent même les plaintes. Ils seraient un peu plus de 40 000 policiers à avoir pour mission la sécurité de 30 millions d’habitants. Peu, très peu. Le documentaire montre également que les agents de police n’ont pas été sensibilisés au respect des droits des citoyens, surtout à l’encontre de ceux ou de celles qui sont en bas de l’échelle sociale. Est-il normal qu’un policier lors d’un interrogatoire demande à une fille si elle est vierge ou non ? Ou de lui livrer le nom de celui qui l’a dépucelée ?

« Commissariats du monde » est un voyage dans l’univers du commissariat. Il ne prétend pas répondre à des problèmes spécifiques à la profession comme la corruption par exemple. Sa force réside dans son impartialité : il montre des policiers en train de résoudre les problèmes des citoyens. Dans l’urgence. « Je voulais tout simplement montrer la réalité du Maroc à travers ce commissariat », conclut le réalisateur. Une réalité qui fait vraiment peur.