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Pologne : « Un coup d’Etat rampant »
par Yves PETIGNAT
Le Temps, 1er septembre 2007
L’arrestation de l’ancien ministre de l’Intérieur viserait à étouffer ses accusations d’abus de pouvoir envers les frères Kaczynski.
Depuis l’arrestation, jeudi 30 août 2007, de l’ancien ministre de l’Intérieur, Janusz Kaczmarek, en compagnie de l’ancien chef de la police, Konrad Kornatowski, et du président du plus grand groupe polonais d’assurance, PZU, Jaromir Netzel, la Pologne a l’amer sentiment d’être retombée au temps de l’Etat policier et de la dictature. « Le Rubicon a été franchi, celui qui sépare un gouvernement de droit démocratique du coup d’Etat rampant », accusait, vendredi 31 août 2007, le journaliste et ancien opposant au régime communiste, Adam Michnik, dans l’éditorial du grand quotidien polonais Gazeta Wyborcza. « Le comportement du gouvernement, c’est de l’héritage stalinien en ligne droite », a jugé le fondateur de Solidarnosc et ancien président polonais, Lech Walesa.
Alors que le parlement ne devrait voter que vendredi 7 septembre 2007 son autodissolution, pour permettre l’organisation d’élections anticipées, le sentiment dominant était que les frères Kaczynski, Lech, le président, et Jaroslaw, le premier ministre, cherchaient à étouffer les accusations d’abus de pouvoir. Pour la presse indépendante polonaise, il ne fait aucun doute que ces arrestations ont été ordonnées pour empêcher l’ex-chef de la police de confirmer, devant la Commission des services secrets du parlement, les accusations portées par l’ancien ministre sur la mise en place d’un « Etat totalitaire ». Janusz Kaczmarek avait en effet accusé le premier ministre, Jaroslaw Kaczynski, et le ministre de la Justice, Zbigniew Ziobro, d’avoir utilisé les services secrets dans le but de discréditer leurs adversaires politiques, en fabriquant de faux indices. Le premier ministre aurait également mis sur écoutes téléphoniques ses propres ministres, en particulier Andrzej Lepper, ex-ministre de l’Agriculture et surtout chef d’Autodéfense, le parti populiste ex-allié des jumeaux Kaczynski.
Officiellement, les trois personnalités arrêtées sont accusées d’entrave à la justice et de faux témoignage, pour avoir informé Andrzej Lepper d’un piège préparé par les services secrets avec l’aide d’agents provocateurs. Il s’agissait de le prendre en flagrant délit de corruption. La triple arrestation aurait toutes les apparences de la légalité, si le ministre de la Justice n’était aussi le procureur général, avec pouvoir de désigner ou de congédier les juges. Plusieurs journaux polonais indiquaient d’ailleurs que le coup de filet avait été décidé dans tous les détails lors d’une réunion entre le premier ministre et le ministre de la Justice.
« La Pologne traverse une crise politique profonde. C’est grave. Les frères Kaczynski sont aux abois. Ils n’ont plus de majorité au parlement. Les sondages placent leur parti, Droit et Justice (PiS), à dix points derrière leurs adversaires libéraux de la Plateforme civique (PO). Désormais il faut s’attendre à tous les coups bas », indiquait, vendredi 31 août 2007, par téléphone, l’un des analystes politiques les plus réputés, Pawel Wronski. « Ajoutez à cela que, pour flatter le sentiment anti-riches, le pouvoir cherche à arrêter l’homme qui détient la cinquième fortune du pays, Ryszard Krauze. On se croirait à Moscou, lorsque Poutine veut faire taire ses contradicteurs et arrêter le milliardaire Abramowitch. Mais ici la situation politique est encore bien plus compliquée », prévient le journaliste.
Vendredi 31 août, trois figures historiques du mouvement anticommuniste Solidarité, Lech Walesa, Tadeusz Mazowiecki et Bronislaw Geremek ont appelé à des élections anticipées et à « des changements au niveau du pouvoir ». Et d’accuser : « Les institutions qui devraient garantir l’Etat de droit deviennent un instrument dans les mains de ceux qui gouvernent. » Mais, selon Pawel Wronski, il n’est pas certain que le parlement, le Sejm, vote sa dissolution vendredi 7 septembre 2007. Il faut pour cela réunir 306 voix sur les 460. Le PiS des frères Kaczynski détient à lui seul 155 sièges et affirme vouloir aller aux urnes. Mais l’Alliance démocratique de gauche (SLD) et le reste de l’opposition pourraient s’opposer à la dissolution, car ils craignent qu’ainsi leur proposition de créer une commission d’enquête sur tous ces événements ne soit enterrée. Les partis populistes, anciens alliés des frères Kaczynski, sont eux menacés d’être éjectés du parlement, en cas de nouvelles élections. Mais, surtout, l’opposition craint fort que le parti au pouvoir, comme il vient d’en faire la démonstration, n’utilise désormais toutes les ficelles et tous les rouages de l’Etat pour se maintenir. « La Pologne est devenue un endroit où personne ne peut plus se sentir en sécurité, ne sachant pas si, dans l’imagination débile du pouvoir, on n’appartient pas à une conspiration dangereuse », s’inquiète Adam Michnik.
Yves PETIGNAT
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