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Pour imposer le bordel en France : votez oui !

Publie le lundi 16 mai 2005 par Open-Publishing

de Denis Dupré [1]

Aussi étrange que cela paraisse, il y a un lien entre les bordels et la constitution européenne. Nous ne parlerons pourtant ni des milliards d’euros engendrés par la prostitution forcée, ni de l’expansion des réseaux maffieux en Europe qui bénéficient de cet argent « facile », ni du blanchiment offert pour recycler l’argent de la prostitution offert par les nouveaux paradis fiscaux européens.

Parmi les 25 pays membres de l’Europe, la diversité de la réglementation concernant la prostitution est évidente. Quelques pays acceptent que les prostitués soient salariés et que les bordels soient propriété d’entrepreneurs.

En France, le proxénète est passible de peines de prison et d’amendes lourdes. Aujourd’hui, un entrepreneur gérant un bordel serait considéré comme un proxénète. C’est le choix de notre démocratie française, choix social dont on peut peut-être discuter la pertinence et qui pourrait évoluer en fonction de nos lois nationales. Mais si la constitution est adoptée suite au référendum, nous allons nous trouver dans l’obligation de faire fi de nos choix de société. Suivons l’exemple de Monsieur Oui-Oui :

Monsieur Oui-Oui est un actionnaire heureux. Citoyen d’un des pays de l’Union où cette pratique est acceptée, il a investit dans un bordel et a envie aujourd’hui de se diversifier en France. Monsieur Oui-Oui prudent se demande, à la veille du referendum sur la constitution, si la France est un pays sûr pour son investissement. Il s’aperçoit avec soulagement [2] qu’il est prévu que l’argent public français assurera l’amélioration des moyens militaires et donc a priori la paix pour protéger son investissement :

Article I-41-3 : « ...Les Etats membres s’engagent à améliorer leurs capacités militaires. Il est institué une agence...pour assister le Conseil dans l’évaluation de l’amélioration des capacités militaires ».

Cependant Monsieur Oui-Oui s’inquiète un peu, se disant que ces armements croissants pourraient augmenter la probabilité d’utilisation des moyens belliqueux. Mais en lisant les termes de la constitution, il se rend compte que son petit commerce sera le premier protégé en cas de crise :

Article III-131 : « Les Etats membres se consultent en vue de prendre en commun les dispositions nécessaires pour éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit affecté par les mesures qu’un Etat membre peut être appelé à prendre en cas de troubles intérieurs graves affectant l’ordre public, en cas de guerre ou de tension internationale grave constituant une menace de guerre, ou pour faire face aux engagements contractés par lui en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationale. »

De toute façon les bordels sont toujours des affaires qui marchent en temps de conflits.

Aussi, monsieur Oui-Oui, va donc acheter une maison en cœur de ville française pour proposer les services de travailleuses du sexe.

La France, appliquant sa réglementation, voudra faire fermer l’établissement.

Comme tout citoyen en aura le droit, Monsieur Oui-Oui saisira la Cour Européenne de justice.

Or même si une partie seulement de la Directive Bolkestein est adoptée [3] ce qui est fort probable puisqu’elle reste en discussion, la France devra laisser à toute entreprise européenne installée sur son territoire la possibilité d’offrir les mêmes services que ceux autorisés dans son pays d’origine.

Conformément à l’article de la Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL relative aux services dans le marché intérieur (présentée par la Commission) [SEC (2004) 21] :

« Afin de supprimer les obstacles à la libre circulation des services la proposition prévoit : le principe du pays d’origine selon lequel le prestataire est soumis uniquement à la loi du pays dans lequel il est établi et les Etats membres ne doivent pas restreindre les services fournis par un prestataire établi dans un autre Etat membre...

La directive ne s’applique pas aux services faisant l’objet, dans l’Etat membre dans lequel le prestataire se déplace pour fournir son service, d’un régime d’interdiction totale justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ; »

Mais la Cour Européenne de justice considèrera-t-elle l’interdiction de la France légitime ? Pour la santé publique, un bordel appliquant les règles d’hygiène est préférable à la prostitution non organisée.

La France devra soit plier et d’urgence autoriser les bordels soit verser des pénalités de plus en plus importantes si elle ne respecte pas la convention qu’elle a signée. Monsieur Oui-Oui sera largement dédommagé ! Il votera oui trois fois oui à la constitution.

A titre personnel, je ne suis pas forcément contre les bordels. Mais je suis contre une constitution qui m’impose un bordel dont ma société ne veut pas.
Nos élus européens n’ont déjà pas aujourd’hui le pouvoir de protéger nos choix de société et la constitution qu’on nous propose d’adopter, n’accorde pas aux états européens le droit à disposer d’eux-mêmes. Ne nous laissons pas berner par les ultralibéraux qui sont prêts à nous enfermer dans un joli bordel tout plein d’étoiles dont nous ne pourrons plus sortir.

Voter non c’est refuser la dictature du bordel obligatoire.


[1Maître de conférence à l’Université Pierre Mendès-France, dernier livre paru : Ethique et capitalisme, édition Economica, 2002

[2Je dois la connaissance de ces deux exemples savoureux à la conférence de Bernard Cassen à Gap du 20 avril 2005

[3la partie la plus controversée n’est pas celle-la mais celle qui permettrait à des travailleurs étrangers d’être soumis aux conditions du pays d’origine