Accueil > Pour le sauver le Pô, il ne suffit pas de prier
Pour le sauver le Pô, il ne suffit pas de prier
Publie le lundi 2 avril 2007 par Open-Publishing1 commentaire

de CARLO PETRINI traduit de l’italien par karl&rosa
Ad petendam pluviam ! Deus, in quo vivimus, movémur et sumus : pluviam nobis tribue congruéntem La prière Ad petendam pluviam retentira-elle à nouveau dans nos campagnes, dans de longues processions entre champs et colonnes votives ? Ces anciennes manifestations de foi populaire, appelées rogations, devront-elles être remises à l’honneur ? Le printemps a été abondamment annoncé par un hiver qui n’en a pas été un.
Les changements climatiques entraînant toute la Terre se manifestent de plus en plus clairement et tous les facteurs sont là afin que la belle saison qui commence selon le calendrier s’avère très sèche. C’est déjà l’alarme : il pleuvra peu, il fera chaud, il y aura des fleuves maigres, des lacs bas, des mottes impénétrables et infécondes. Notre grand fleuve, le Pô, est déjà parmi les victimes prédestinées, un peu comme tous les plus grands cours d’eau de la Planète. Peut-être ne ressent-on pas tellement ces problèmes en ville. On peut les résoudre par la technologie, procurez-vous donc des climatiseurs, vous dira-t-on. Dans la circulation automobile, une pluie de moins est un ennui de moins, mais à la campagne non.
Pensez à la florissante Plaine du Pô, traversée par un fleuve de plus en plus sec chaque année : battra-t-il en 2007 tous les records ? Si les promesses sont tenues, dans certains cas il y aura à se désespérer. On ne saura presque plus « à quel saint se vouer » quand on ne trouvera pas où puiser l’eau pour irriguer les champs. A propos de saints, je me souviens encore des rogations, des prières qui jusqu’aux années 60 étaient commandées par l’Evêque le 25 Avril et les trois jours précédent l’Assomption. Il s’agit d’anciennes expressions de foi, ayant des racines païennes évidentes mais qui ont été recueillies par l’Eglise par le passé. Elles servaient pour s’adresser à Dieu et battre le rappel de tous les saints afin qu’ils intercèdent devant les risques qui incombaient.
De longues processions qui traversaient tout le territoire de la paroisse, avec des litanies, des listes de saints, des implorations quand on s’arrêtait, le prêtre levait la croix pour s’adresser aux quatre vents et puis disait à voix haute : « A folgore et tempestate » (« Des foudres et des tempêtes »). On répondait : « Libera nos Domine » (« Libère nous Seigneur ») .
C’est désormais une prière désuète, qui a aussi donné lieu, dans son histoire, à des formes mineures de processions rurales, même pour « défendre la vie des hommes de la colère d’un Dieu qui partout nous effraie ». Cette version « effroyable » a été ensuite remplacée par des formes plus accommodantes, mais des formulaires pleins d’« imprécations » contre les plaies, les insectes nuisibles, les rats, les vers n’ont pas manqué.
Il n’est pas difficile d’interviewer ceux qui se souviennent encore que dans la Langa, une terre de grands vins du Piémont méridional, après une grêle délétère pour les vendanges à venir on promenait le crucifix entre les rangées pour montrer à Dieu le désastre qu’il était parvenu à faire.
Devrons-nous promener le crucifix le long du Pô cet été ? Faire voir à Dieu le désastre concernant notre fleuve ? Jadis, au temps des rogations, on imposait même le crucifix aux nues qui amenaient la grêle, pour les dévier.
Un de mes amis, un grand homme de foi, me dit avec transport que, quand on faisait ce service, après « U piuviva nen ! » (« Il ne pleuvait pas ! », hurlé en piémontais en brandissant le poing). En somme, Dieu répondait toujours de quelque façon. Mais, si l’on faisait voir le Pô à Dieu, que pourrait-il nous répondre ? Je crois qu’il nous mettrait peut-être face à nos responsabilités parce qu’il n’y peut vraiment rien lui.
Le problème est que le Pô n’y arrive plus, la situation est arrivée à la limite et il faudrait une intervention drastique pour réexaminer toute l’exploitation sauvage que nous perpétrons vis-à-vis de notre fleuve. Le Pô est notre Nil, le fleuve le long duquel a été bâtie une grande partie de notre civilisation. Le Pô a besoin de respect. La pire malédiction contenue dans l’Exode concernait le fleuve pollué, inutile : « les poissons qui sont dans le Fleuve mourront, le Fleuve sera pollué et les Egyptiens ne pourront plus boire l’eau du Fleuve » (Exode 7 :18).
Nous devons donc penser à concilier les besoins de l’un des plus grands dons que la Mère Nature a donné à l’Italie avec les besoins du développement économique sans freins. Selon Wolfgang Sachs il est temps que les hommes commencent à travailler non seulement pour leurs droits, mais aussi pour les droits de ce qui les entoure : les mers, les lacs, les écosystèmes, les bois, les montagnes, les fleuves.
Mais les droits du Pô à survivre, à ne pas être stressé par les prélèvements ni pollué par nos activités, dans quelle mesure peuvent-ils coexister avec notre envie de nous enrichir, de nous chauffer et de nous rafraîchir, de manger de plus en plus et d’exporter nos produits-symboles oeno-gastronomiques ? Peut-on demander qu’au nom du respect du fleuve on réorganise certaines de nos habitudes ?
Qu’on pense à la production d’énergie électrique, qui a créé à certains endroits des dégâts à cause des digues et des centrales, mais qui s’avère de plus en plus insuffisante chaque été, qu’on pense à la soif qu’ont les champs de maïs (dont l’extension a augmenté de 35% ces dernières années). En traversant la Plaine du Pô, il arrive de voir en été ces gros arrosoirs répandant de longs jets d’eau sur les étendues de maïs. Le prélèvement est fait à partir du fleuve et de ses affluents et beaucoup de cette eau s’évapore avant de se poser au sol ou sur les feuilles. Comment concilier le besoin de maïs pour les nombreux élevages de bétail avec le gaspillage de l’eau ?
Mais il y a aussi l’hiver : la production de neige artificielle se fait avec l’eau des affluents, en amont. Peut-on compromettre l’économie touristique de vallées entières pour donner du souffle au grand fleuve ? Et il y a les élevages de cochons, qui donnent des jambons, des culatelli et des salamis et qui exaltent le nom de la gastronomie nationale. Une Région abaisse le niveau de nitrates pouvant être introduits dans les nappes aquifères et dans les cours d’eau et une autre en amont le maintient élevé, rendant vaines les rares bonnes intentions.
La moitié du peuple italien vit dans la Plaine du Pô, la concentration urbaine est en hausse. De nombreuses villes, même de dimensions énormes, n’ont pas encore mis au point ou adapté leurs systèmes d’épuration des eaux.
Le système productif que nous avons mis en place détruit inexorablement nos ressources hydriques : nous pouvons l’ignorer et continuer sur ce chemin, mais pour combien d’entre nous est-il clair que c’est justement le manque d’eau qui sera la principale cause de l’effondrement du système et nous fera remettre en discussion nos priorités ? Ce n’est pas pour montrer du doigt quelqu’un en particulier, mais une fois arrivés au bout des saints à qui adresser nos prières et avec un Dieu qui se trouverait face à quelque chose de bien plus gigantesque que le fait de souffler pour dévier quelques nuages, nous devons nous sentir tous responsables.
Nous ne sommes pas comme la Turquie qui se dispute avec l’Irak et la Syrie à cause des digues sur l’Euphrate ou le Soudan qui se dispute avec l’Egypte à cause des digues que les Chinois veulent bâtir le long du Nil. Nous le Pô on l’a tout entier à l’intérieur de nos frontières. Le Pô est tout à nous et s’il va mal nous en sommes les seuls coupables. Ces résultats sont le fruit de contradictions causées par une gestion sans coordination, qui ne devrait pas être confiée au niveau local, mais affrontée de manière urgente au niveau national.
Avant donc de remettre à l’honneur les rogations et de répondre au curé implorant Dieu par un beau « Libera nos domine », il sera peut-être bon que ceux qui doivent intervenir le fassent. Et comme le Pô est un patrimoine national, l’unique sujet qui puisse faire quelque chose d’important pour un problème si complexe est notre Gouvernement avec l’aide de toutes les Régions baignées par le fleuve.
Il faut une autorité capable d’agir d’une façon souple et en mesure d’harmoniser les nombreuses sirènes qui se feront entendre quand on s’attaquera à la question : un sujet capable de redessiner les normes dans tous les territoires et sur les deux bords du fleuve, qui ne peut être créé que par les plus hautes autorités de l’Etat.
Extrema ratio, donc, les longues listes de saints, les litanies, la demande de miséricorde et de libération des calamités les plus disparates adressons-les à ceux qui nous gouvernent. .Pour le moment, dans l’attente de réponses, on leur épargnera les « imprécations » typiques des anciennes rogations : essayons de travailler ensemble pour sauver le Pô, avant qu’il ne soit trop tard.
(31 mars 2007)
Messages
1. Pour le sauver le Pô, il ne suffit pas de prier, 3 avril 2007, 10:34
De tout coeur avec vous, pour que le Pô vive, car s’il meurt, beaucoup d’Italiens souffriront. Sera-t-il un de plus sacrifié aux chimères financières ?
Woodman