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Pourquoi le syndicat UGTT a joué un rôle aussi important dans l’intifada tunisienne

Publie le samedi 5 février 2011 par Open-Publishing
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Pourquoi le syndicat UGTT a joué un rôle aussi important dans l’intifada tunisienne
5 février 2011 par Yassin Temlali Analyse - syndicalisme
L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a joué un important rôle dans l’intifada tunisienne. Son engagement sur le terrain politique, symbolisé par sa disposition à participer au gouvernement, plonge ses racines dans un lointain passé. Depuis sa fondation, en 1946, elle a souvent été une organisation concurrente du Parti de Bourguiba-Ben Ali. Même en imposant à sa tête des syndicalistes destouriens, comme Habib Achour, le PSD-RCD n’a jamais complètement réussi à la transformer en une de ses nombreuses « antennes ».

Jamais un syndicat au Maghreb et au Proche-Orient n’a joué un rôle politique aussi important que celui joué par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) dans la révolte populaire en Tunisie. Mobilisés dès le début du soulèvement de Sidi Bouzid, ses cadres ont ouvert leurs locaux aux contestataires et porté leur voix dans les médias internationaux. Ils ont été à l’initiative de nombreuses actions de solidarité avec eux, en organisant des rassemblements, des marches et des grèves générales régionales dans différents gouvernorats. Sous leur pression, l’exécutif du syndicat a dû appeler à une grève nationale, le 14 janvier 2011, pour protester contre la répression.

Traînant le boulet de ses accointances avec le pouvoir en place (son soutien à la candidature de Ben Ali en 2004 et 2009), la direction de l’UGTT (représentée par son bureau exécutif) ne s’est pas spontanément rangée aux côtés des populations insurgées. Son soutien à leurs revendications n’est devenu franc qu’après que la protestation se soit étendue à l’ensemble du territoire prenant une teinte politique prononcée. Alors qu’elle s’était contentée de se faire l’écho des aspirations sociales de la jeunesse du Centre et de l’Ouest tunisiens (emploi, etc.), son discours s’est relativement radicalisé le 4 janvier 2011, lorsqu’elle a réclamé des réformes démocratiques en Tunisie.

Après la fuite de Ben Ali, cette direction a accepté de participer au gouvernement d’union nationale de Mohamed Ghanouchi avant d’en retirer ses représentants sous la pression de la rue et de ses cadres les plus radicaux. La déclaration de sa commission administrative réunie le 21 janvier 2011 montre que sa sensibilité aux revendications politiques populaires reste contrariée par le souci de ne pas couper les ponts avec les anciens maîtres du pays. Alors que l’exigence de démission du gouvernement Ghanouchi et de formation d’un cabinet de transition sans le RCD gagne en popularité, elle revendique, elle, un « gouvernement de salut national », dont elle évite soigneusement de définir la composition.

L’implication de l’UGTT sur le terrain politique s’explique, certes, par la nécessité pour son exécutif de se faire une nouvelle virginité, dans un contexte de radicalisation politique, marqué par la mobilisation de sa base et de nombre de ses structures intermédiaires aux côtés des Tunisiens révoltés. Cet exécutif redoute, en effet, de se voir violemment contesté, comme le sont actuellement le gouvernement Ghanouchi, le parti-Etat RCD, les anciennes directions des médias publics et privés, entre autres symboles du règne musclé du président déchu. Toutefois, le pragmatisme n’éclaire pas, seul, cet engagement politique croissant de la centrale syndicale tunisienne. Sa très grande politisation s’explique également par son histoire spécifique et par le pluralisme idéologique qui continue de la caractériser, en dépit des efforts de sa bureaucratie pour réduire au silence les syndicalistes indépendants, qu’ils soient nationalistes ou de gauche.

L’UGTT, un puissant rival du parti destourien

Dans un système aussi répressif que le système Bourguiba-Ben Ali, l’UGTT a été, dès les années 1970, un terrain d’action pour les mouvements hostiles au virage libéral bourguibien dont les nationalistes radicaux et une « nouvelle gauche » à sensibilité maoïsante ou trotskisante, en rupture avec l’héritage du Parti communiste tunisien.

Réprimés et interdits d’expression publique, ces mouvements ont formé au sein du syndicat un courant qui montre des signes de continuité programmatique depuis de longues décennies (lutte pour la radicalisation de l’UGTT, établissement de passerelles avec les opposants démocrates, démocratisation interne, etc.) et qui, au prix d’énormes sacrifices (emprisonnements, exclusions, etc.), a renforcé sa présence aux échelons intermédiaires (syndicats généraux, unions régionales, etc.) et, partant, dans la commission administrative nationale.

Ce courant n’a pas été complètement aspiré par la bureaucratie syndicale, et si au contact de l’appareil, son radicalisme a pu décliner, il n’est pas devenu totalement inactif. Revigoré dans les années 2000 par le réveil des luttes démocratiques, il y a pris part, contre l’avis de la direction, conciliante envers le RCD. Il se sent fort, aujourd’hui, de ce que le Bureau exécutif, après un soutien plutôt mou et principiel à l’intifada tunisienne, réclame, au lieu du rituel « approfondissement de la démocratie » benalienne, un changement démocratique en profondeur.

On ne peut certainement pas qualifier l’UGTT d’organisation indépendante mais elle n’est pas non plus un « syndicat jaune », dont la seule mission serait de voler au secours du gouvernement et du patronat pour éteindre les incendies ouvriers. Malgré la fermeture politique en Tunisie avant le 14 janvier 2011 et tout en se compromettant avec les autorités, sa direction a conservé une certaine liberté de manœuvre vis-à-vis du parti officiel (le Parti socialiste destourien, PSD, rebaptisé Rassemblement constitutionnel démocratique, RCD, en 1988). Nombre de crises qu’elle a vécues depuis sa naissance en 1946 ont été des crises de rapports avec ce parti, qui a toujours œuvré à en faire une de ses antennes.

L’UGTT a, dès sa fondation, pris fait et cause pour l’indépendance. Loin d’être un simple affluent du courant indépendantiste, elle a formé avec lui un « front patriotique » commun. Elle s’en distinguera par le fait qu’elle ne subissait pas directement les pressions de la bourgeoisie nationale, favorable à un compromis avec la puissance coloniale. Le Néo-Destour voyait en elle, en même temps qu’un partenaire, un rival partageant la même base sociale que lui (Ridha Kafi, « Bourguiba, Hached, Achour et les autres », « Jeune Afrique », 1er juin 1999) et qui, en d’autres circonstances, aurait pu se transformer en une organisation concurrente de type travailliste. Il n’admettait pas que ses dirigeants soient aussi influents que ses propres ténors ni qu’elle puisse le critiquer aussi sévèrement qu’en 1956, lorsqu’elle a fustigé sa participation au gouvernement de Tahar Ben Ammar qui, pour le secrétaire général de l’UGTT, Ahmed Ben Salah, défendait les « intérêts de la grande bourgeoisie ».

Tentatives bourguibiennes de caporalisation : un succès relatif

Un des objectifs de Habib Bourguiba, après la proclamation de l’indépendance, en mars 1956, a été naturellement la caporalisation de l’UGTT, opposée à son alliance avec la bourgeoisie nationale. A la fin de l’année 1956, il a encouragé la création d’une éphémère organisation adverse, l’Union tunisienne du travail (UTT), dirigé par un dissident, Habib Achour. En multipliant les pressions sur Ahmed Ben Salah, il l’a contraint à la démission pour le faire remplacer par un nationaliste destourien, Ahmed Tlili, lui-même écarté en 1963, probablement pour avoir montré quelques velléités d’indépendance.

L’UGTT prendra une véritable revanche politique sur le Néo-Destour lorsque se confirmera l’échec de la voie de développement capitaliste dont celui-ci espérait qu’elle attire de l’étranger les investissements nécessaires à la relance d’une économie fragile, voire moribonde. En 1961, Ahmed Ben Salah a été nommé par Habib Bourguiba ministre du Plan et des Finances et jusqu’à 1969, date du tournant libéral bourguibien (nouveau code des investissements, etc.), il conduira une étatisation économique inspirée des résolutions du congrès du syndicat de 1956 (nationalisations massives des industries et des terres agricoles). L’on peut dire sans risque d’exagération qu’à ce jour, la Tunisie et son économie portent l’empreinte de cette expérience socialisante, qui a aussi profondément marqué la culture politique de l’UGTT.

Si dans les années 1960, l’UGTT était, politiquement, soumise au parti unique, elle ne s’est pas transformée pour autant en une de ses « organisations de masse ». Elle n’a pas perdu toute son autonomie comme le montre la résistance de Habib Achour (qui, pourtant, avait été l’instrument du putsch bourguibien contre le charismatique Ben Salah) aux tentatives de caporalisation du PSD.

Une de ces tentatives a visé, en 1965 à mettre en œuvre des résolutions du congrès du PSD recommandant de transformer les « organisations nationales » en démembrements du Parti-Etat. Une autre s’est soldée en 1978 par l’emprisonnement de Habib Achour suite à son appel à une grève générale quasi insurrectionnelle. Cet homme sera réélu à la tête du syndicat en 1980 mais, soupçonné de nourrir l’ambition de succéder à Habib Bourguiba à la tête du pays, il sera de nouveau arrêté en 1985. A ce jour et en dépit de son parcours paradoxal, il continue d’être célébré comme un « symbole de l’indépendance syndicale » (site internet de l’UGTT).

L’UGTT et la fin du règne de Ben Ali : vers la démocratisation ?

Le régime de Ben Ali a réussi, en 1989, à imposer à la tête de l’UGTT une direction docile, menée par Ismaïl Sahbani. Celui-ci fermera les yeux sur la libéralisation forcée de l’économie et luttera férocement contre la gauche syndicale. Il dirigera la centrale d’une main de fer jusqu’à 2000, lorsqu’il sera jugé et lourdement condamné pour malversations. Il sera remplacé au congrès de Djerba, en 2002, par l’actuel secrétaire général, Abdeslam Jerad.

La décennie 2000 a été une décennie de relance du syndicalisme combatif, presque éteint dans les années 1990. Si l’exécutif de l’UGTT a pu imposer à la Commission administrative de soutenir la candidature de Ben Ali à la présidence en 2004 et 2009, cette position sera jugée avec sévérité par nombre d’instances intermédiaires (syndicats généraux, unions régionales, etc.). Tenant compte des pressions des syndicalistes radicaux, il tentera de contrebalancer son appui au système par un discours à tonalité antilibérale, la participation aux initiatives altermondialistes (forums sociaux, etc.) et, au niveau politique, par la condamnation des ingérences gouvernementales dans le fonctionnement de la Ligue des droits de l’homme. A défaut de soutenir la contestation du bassin minier de Gafsa (janvier-juin 2008), il s’est contenté d’appeler à la libération des personnes arrêtées lors des violents affrontements qui l’ont émaillée avec les forces de police.

L’explosion de Sidi Bouzid a surpris la direction de l’UGTT en pleine conciliation entre les impératifs de sa propre survie (liée à celle du secteur public) et sa soumission à un régime maintenant au-dessus d’elle cette même épée de Damoclès qui s’était abattue sur Ismaïl Sahbani en 2000. Elle est aujourd’hui de plus en plus délégitimée. Les syndicalistes qui rejettent sa ligne modérée exploiteront-ils son affaiblissement pour lancer le processus de réappropriation du syndicat par les travailleurs ?

Les événements actuels ne resteront pas sans influence sur la situation syndicale, caractérisée par un début de conflit autour de l’amendement de l’article 10 du règlement intérieur. Cet article interdit aux membres du bureau exécutif de détenir plus de deux mandats successifs dans cette instance. Aussi bien l’actuel secrétaire général, Abdeslam Jerad, que son adjoint et rival, Ali Romdane, voudraient le faire abroger. La bataille pour son maintien pourrait s’avérer être une bataille pour un changement aussi serein que décisif à la tête de l’UGTT.

Yassin Temlali

Source : http://www.maghrebemergent.com

Source : AFRIQUES EN LUTTE

Messages

  • Décidément, certains veulent "blanchir" les bureaucrates de la direction de l’UGTT !

    Il est de notoriété publique que les dirigeants de ce syndicat se sont compromis avec Ben Ali - allant même jusqu’à accepter des postes ministériels - alors qu’à la base, syndicats ou fédérations, étaient effectivement parties prenantes du mouvement révolutionnaire contre l’avis de leur dirigeants.

    Qui a intérêt à transfigurer ainsi la vérité ?

    • ET SI ON LAISSAIT PARLER LES SYNDICALISTES TUNISIENS DE L UGTT :

      interwiew de SAMI AOUADI secrétaire général de la fédération UGTT de l’enseignement supérieur par EVA EMEYRAT pour le compte du mensuel " ENSEMBLE" des syndiqués CGT :

      quel a été le rôle de l UGTT dans le mouvement actuel ? :

      SAMI AOUADI : "....l UGTT n’ a pas été à l’origine du soulèvement mais elle a dès le départ joué un rôle phare et accompagné les manifestants en leur ouvrant ses locaux , en encadrant les mouvements.
      Très rapidement , les militants notamment dans les unions régionales et les secteurs ont contribué à la lutte par leurs écrits , leur forte présence sur le terrain .
      A l’enseignement supérieur , nous avons contribué à cette mouvance et pris une forte part à ces évènements , d’abord dans chaque établissement universitaire le 10 janvier , puis le 12 janvier , au campus universitaire de TUNIS ou nous avions organisé un grand rassemblement pour protester contre l’ assassinat de l’un de nos collègues enseignants , HATEM BETTABAR , tué par la police au cours d’une manifestation .

      L UGTT a eu aussi à certains égard des liens privilégiés avec le pouvoir et d’aucuns y ont même fait allégeance , mais c’est une grande organisation nationale qui a réussi à imposer une action syndicale dans le pays en dépit des surveillances et des restrictions ..."

      vous pourrez lire la suite de cet interwiew dans le mensuel des syndiqués de la CGT " ensemble " .

      ce que l ont peut toutefois retirer de cet extrait c ’est que LES MILITANTS DE BASE DE l UGTT dans les conditions imposées par la dictature ont essayé tant bien que mal de maintenir une activité syndicale , contre l’avis de la direction de l UGTT en grande partie acquise à BEN ALI et son gouvernement .

    • Tunisie : "Ni cellules destouriennes, ni partis politiques !"

      Depuis le soulèvement populaire de décembre-janvier en Tunisie, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), la principale organisation stalinienne qui a toujours eu un rôle central dans le gouvernement du pays, cherche sérieusement à accéder au pouvoir en récupérant le mouvement à son profit. Quelles sont les inévitables rivalités de clans qui se déroulent en son sein et y a-t-il une lutte interne entre la base et l’appareil ? Existe-t-il une frange dissidente qui serait capable de rompre vraiment avec la direction et son idéologie mortifère ?

      L’UGTT est le seul organisme syndical reconnu en Tunisie et il a participé directement à la construction de l’Etat tunisien : beaucoup de ses cadres ont été des responsables et des ministres dans les différents gouvernements du Pays depuis des décennies. Sa direction a été toujours un allié du pouvoir et a presque systématiquement soutenu ses choix économiques et sociaux. Son histoire est marquée par une trahison totale des aspirations des masses, qu’il s’agisse du soulèvement de Ksar Hellal en 1977-78 ou plus récemment de celui de la région minière de Gafsa en 2008 ou, bien entendu, de l’insurrection général contre le despotisme de Ben Ali.

      Mais à partir du moment où cette direction a compris que Ben Ali était sur le point de tomber, elle a retourné son discours et a même appelé à la grève générale qui avait été déjà décidée et appliquée par les citoyens (l’information fut transmise par internet et des réseaux sociaux). Les staliniens ont alors compris que la direction de l’UGTT était dans l’embarras et ils ont sauté sur l’occasion pour transformer le cadre organisationnel comme marchepied pour le pouvoir. Donc on peut dire que les intérêts ont convergé : la direction pour cacher leur trahison et les staliniens pour profiter du cadre de l’UGTT dans une visée conspiratrice.

      La lutte entre les différents clans du « Front du 14 janvier » a déjà commencé : par exemple, les nationalistes arabes ont attiré l’attention au fait que les chaînes de télévision n’ont permis qu’aux gauchistes de s’exprimer... Au fur et à mesure les militants de base découvrent les visées des soi-disant leaders du mouvement qui ont par exemple récemment déclaré qu’ils étaient pour un régime parlementaire tout en exigeant un gouvernement populaire, ce qui dévoile un double discours total. Et dans le même temps tout le monde assiste à l’intégration des mouvements gauchistes dans le système... On va donc assister à des divisions au sein même de ces formations. Car il faut dire que le soulèvement populaire a franchi un pas vers la rupture avec le système ancien y compris le spectacle politique (pouvoir et opposants) auquel nous somme conviés.

      Nous pensons que les idéologies gauchistes et intégristes ont perdu du terrain dans les têtes et qu’il incombe à chacun qui en est conscient de participer à leur faillite totale. D’ailleurs les gauchistes du 14 janvier nous ont interpellé pour nous demander les causes de notre refus d’adhérer à ce front : c’est un signe évident de faiblesse. Nous constatons qu’ils veulent éviter toute critique fondée d’où qu’elle vienne.

      La suite :

      http://www.magmaweb.fr/spip/spip.php?article438

    • tu m’excuses 93/145 (pourquoi l anonymat ?) mais je suis allé visiter le site que tu as indiqué au bas de ta contribution et je n’ai pas réussi à trouver qui vous êtes , quel est votre positionnement politique , peux tu nous éclairer ? car pour vérifier la crédibilité d’une info , il vaut mieux savoir qui la diffuse .
      MERCI

    • ce que l ont peut toutefois retirer de cet extrait c ’est que LES MILITANTS DE BASE DE l UGTT dans les conditions imposées par la dictature ont essayé tant bien que mal de maintenir une activité syndicale , contre l’avis de la direction de l UGTT en grande partie acquise à BEN ALI et son gouvernement .

      ce n’est pas exactement ce qui est dit. La poussée des militants de l’UGTT a été considérable, mais elle s’est faite par des structures entières de l’UGTT à tel point que la direction a failli sauter et qu’à un moment la direction de l’UGTT a fait un virage à 180°.

      Cette direction a toujours essayé, depuis le début du mouvement, de faire des tractations avec les anciens sbires de Ben Ali, étant elle-même ne grande majorité mouillée avec ces derniers.

      Dés le début, des syndicats entiers de l’UGTT, les militants UGTT, sont dans le mouvement, l’encadrent, l’aident, participent, sans le dévoyer.

      A un moment dans beaucoup d’endroits l’UGTT devient la colonne vertébrale du mouvement sans le freiner (à la différence de la direction qui tente sans cesse de faire des haltes à chaque fois balayées par les syndicats de l’UGTT et ses militants)

      Cette contradiction vivra tout le long de cette première phase aigüe de la révolution tunisienne, elle s’exprime entre deux orientations, les alliances de transition menées par la faction ben aliste dirigeante et d’un autre côté la chair en mouvement de l’organisation syndicale que le mouvement propre des choses pousse vers l’acceptation de son rôle d’expression organisée de l’énorme prolétariat urbain et donc de son rôle d’embryon d’un autre état, celui des travailleurs.

      Pour résumer l’UGTT a été parcouru par deux tentations, celle d’assumer son rôle de seule organisation d’une classe hégémonique, d’être l’embryon d’un état fusionnant à la base avec le mouvement révolutionnaire des masses, concurrent à l’état bourgeois et la tentation de la collaboration de classe, exprimée là par la tentation de collaborer avec les morceaux d’état dictatorial cherchant une transition qui ne les balaye pas.

      Le refus de la direction de l’UGTT d’assumer ses responsabilités, c’est à dire d’être le gouvernement appuyé sur une base et des masses en mouvement pour prendre en main tout ce qui produit et échange des richesses, et son orientation vers une sortie apaisée qui signifie rendre le terrain conquis à l’appareil d’état bourgeois, sauver les interets capitalistes, sera un moment de temps fort, celui où une première chance a été ratée de tenter de se débarasser de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la dictature, du capitalisme et ses hommes de main dictatoriaux.

      Un gouvernement 100% UGTT aurait été ressenti d’une façon exceptionnelle dans le monde entier, malgré ses impuretés.

      Ce choix qui nécessitait un rapport de force supérieur des masses en mouvement notamment dans les rapports de force internes à l’UGTT entre une direction corrompue et le corps de l’organisation dans la plupart du pays et notamment également dans la fusion entre l’infrastructure à la base , dans beaucoup de régions, des syndicats entiers de l’UGTT ET le mouvement des masses, notamment une partie des comités qui se sont organisés pour résister aux provocateurs policiers benalistes en civil puissants et bien armées.


      Si on peut dire
      , je sais ici qu’on ne fait pas trop de distinction entre une classe , sa position dans les rapports de production ET des masses en mouvement qui ne sont pas à priori structurées autour de l’organisation même de la société, qui produit, même indirectement, qui profite . Pourtant il y a quand même des distinctions qui vont aimanter une société vers des solutions socialistes ou vers des solutions interclassistes dans une société capitaliste.

      Je parle de révolution comme d’un processus, pourtant, pour qu’il s’accomplisse il faut bien un autre état démocratique de la classe populaire structuré autrement, et très maillé (autrement dit le socialisme sera bien plus complexe organisationellement que le capitalisme mais il se caractérisera par : les travailleurs ont le pouvoir, et l’interdiction de l’exploitation de l’homme par l’homme).

      En Tunisie comme en France, il n’existe pas de pureté dans les processus qui nous permette d’aller feuilleter les livres des "grands hommes" pour trouver le verset et la recette de cuisine adaptée à l’édification d’une société autogestionnaire, et surtout il n’existe pas de recettes de cuisine évidentes pour la transition.

      Les processus partent de situations concrètes, avec les formes d’organisation de la classe ouvrière et du prolétariat moderne telles qu’elles sont , afin de les élargir ou les remplacer si besoin, de voir leur potentiel d’embryons d’état du pouvoir des travailleurs se développer ou non.

      Pas de la lecture des questions du socialisme au travers de la charte d’Amiens Française .

      L’entendement français uber alles, de la place respective des syndicats et des partis , même si le débat porte des traits universels, est .... français. Pas plus.

      Le mouvement d’émancipation des travailleurs a déjà exploré de multiples voies, du syndicalisme révolutionnaire, du syndicalisme de classe, du syndicat-parti, du parti-syndicat, des conseils ouvriers (on appèle cela comme on veut, soviets, comités, coordinations, etc).

      Toutes ces voies ont été produites par des cheminements concrets mais toutes marquées et aimantées vers l’émancipation des travailleurs, et toutes également marquées par les sirènes et tentations de la collaboration de classe

      Je me suis écarté du propos à dessein tant je remercie le peuple tunisien et sa révolution de nous permettre de revisiter les problèmes d’organisation des révolutions, et l’expression de celles-ci pour qu’elles soient réellement des révolutions socialistes.

      Là concretement, en Tunisie, nous avions affaire qu’à une seule forme d’organisation puissante avec une chair épaisse et la bataille en plein dedans.

      On aurait pu souhaiter autre chose , mais perso je ne souhaite rien d’autre que de partir d’une situation réelle et non livresque.

      Les passages d’une société à l’autre sont affaire de grandes et longues accumulations, mais la bascule d’un système à l’autre est affaire d’une formidable accélération des masses en mouvement du point de vue organisationnel afin qu’elles aient les moyens d’incarner le pouvoir et la force sur une société. C’est affaire de révolution, de moment révolutionnaire.

      La direction de l’UGTT n’a pas assumé ses responsabilités au moment où les rapports de force, la désagrégation du camp de l’état bourgeois, le permettait.

      Cela n’aurait pas signifié qu’un gouvernement de l’UGTT aurait été le gouvernement des travailleurs, mais ce qui s’en serait rapproché le plus, malgré des déformations évidentes.

      Pour ceux qui pensent qu’un gouvernement est tout effectivement c’est difficile. Mais pour ceux qui pensent qu’un gouvernement n’a pas d’autres forces que celles des classes qui le portent, et également des moyens qu’il a réellement, une telle solution aurait été une avancée donnant une légitimité à une classe.

      La direction de l’UGTT a préféré rechercher les solutions de la restauration, ce qui avait une signification précise : un gouvernement de collaboration de classe, car il n’y avait d’autre bouregoisie en Tunisie que l’espèce de magma corrompu et pilleur réuni autour de la dictature. S’allier avec des dignitaires de la dictature était bien chercher des solutions de collaboration de classe

      C’est une première phase de cette révolution qui s’est close (leur révolution de
      Février à eux).

      Mais les problèmes restent entiers, tant en matière d’accumulation de la force du prolétariat moderne, qu’en matière d’impasse sociale comme en matière d’épuration de l’appareil d’état bourgeois dictatorial.

      On peut penser que nous allons vers de nouvelles secousses très dures. Avec des ré-accélérations ou un écrasement violent des espérances. Il va y avoir des heurts, des morts et des blessés à nouveau.

      Des batailles âpres

      la bombe sociale est toujours là, une jeunesse bien formée et précaire, un chômage galopant, la pression pour l’austérité capitaliste en pleine forme, les IDE (investissements directs étrangers) concentrés en grande partie sur les secteurs industriels comme chantage et expression de rapports de force par l’extérieur pour bloquer la révolution

      La difference avec des sorties de dictature d’autres périodes et d’autres lieux, vient d’un contexte international de crise du capitalisme et de sur-agressivité de ce dernier.

      Le capitalisme ne semble pas prêt aux concessions sociales qui lui permettraient d’acheter une paix sociale. De plus il est quasiment totalement gangréné par les caractéristiques spécifiques du capitalisme tunisien de la dictature.

      Enfin le capitalisme international se tape de sauver le prolétariat tunisien pour qu’il se calme.

      les tensions objectives dans la société tunisienne sont toujours maximales.

      Dés lors, pour ce qui est de l’UGTT, les choses sont recomposées et elle n’est plus seule à incarner le seul outil organisationnel des travailleurs que ces derniers ont sous la main pour prendre le pouvoir

      De jour en jours des partis se développent, il y a eu l’expérience d’une partie des comités de défense , d’autres formes d’organisation vont se faire jour, la réflexion sur la transition révolutionnaire peut éventuellement se poser differemment.

    • COPAS il n y a pas que des partis qui se développent , des syndicats également y compris avec l’aide de militants de base de l UGTT qui ne pardonnent pas la collaboration de l’appareil de L UGTT pendant 30 ans avec BEN ALI et sa tentative de canaliser la révolte en participant au gouvernement provisoire aux cotés des ministres de BEN ALI .
      Il est clair que l’UGTT va éclater et subir la concurrence de nouveaux syndicats qui veulent adopter des positions de classe et sortir de la tutelle du pouvoir .

      Dire que l UGTT était la seule organisation structurée qui aurait pu prendre le pouvoir ne correspond pas a la réalité car l UGTT n’ est pas monolithique , certaines fédérations auraient de toute façon refusées de participer au pouvoir et aurait même combattues ce pouvoir cela n ’aurait donc pas été la meilleur solution pour assurer la transition .

      La meilleur solution semble d ’assurer cette transition par une sorte de CNR , rassemblant des représentants des partis d’opposition , des organisations féministes, de l UGTT , des associations qui ont défendu les droits de l hommes , des intellectuels qui ont combattu la dictature ... qui aura pour mission d’organiser des élections libres et de préparer une nouvelle constitution qui sera soumise au nouveau parlement issu des urnes ...les tunisiens viennent de se débarasser d’une dictature ce n ’est pas pour confier le pouvoir même provisoirement à un seule faction , fusse t-elle l UGTT car elle ne dispose d’un crédit suffisant auprès de la majorité de la population .