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Procès Fofana : la tribune d’un avocat de la défense

Publie le vendredi 17 juillet 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

par Me Jean Balan, avocat de l’une des accusées au procès du meurtre d’Ilan Halimi, se montre très critique envers la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie.

Je suis avocat. J’ai participé à l’intégralité du procès dit "du Gang des Barbares", suivi son déroulement tous les jours. C’est pourquoi je me sens assez légitime pour exprimer mon opinion sur l’appel interjeté, sur ordre, dans ledit procès.

Mais pas uniquement à cause de ça.

Tout le monde déplore l’intervention politique dans les affaires judiciaires. Soit. Ce n’est pas souhaitable mais cela existe.

Simplement, dans ce cas, c’est plus grave.

On intervient bêtement, et je connais la signification de ce mot, dans une affaire jugée. Sans avoir la moindre connaissance, hormis les ragots de certains avocats des parties civiles, de la tenue du procès, des raisons qui ont convaincu les jurés, Mme Alliot-Marie prononce son oukase.

Comme un dictateur d’opérette.

Après avoir, dans une interview au Figaro du samedi 11 juin (je conseille à tous les avocats de France de lire cet article), "menacé" les avocats – Bâtonnier de Paris en tête – de son courroux s’ils osaient attaquer un magistrat, la ministre se permet de mettre en cause la décision du peuple souverain. A mort les jurés. Vive les cours d’Assises spéciales… Aux ordres, bien entendu.

Michèle Alliot-Marie est ministre de la Justice depuis très peu de temps. On va commencer très sérieusement à regretter Mme Dati.

Ceci dit, l’affaire me paraît plus grave encore.

Le verdict rendu par la Cour d’Assises fut un verdict exemplaire. Il a tenu compte non seulement de la personnalité des accusés – le droit pénal français le prévoit – mais aussi et surtout de la participation de chacun dans le déroulement des faits.

Je suis le premier à dire et à redire qu’Ilan Halimi a connu un sort inhumain. Le mot de martyre le concernant n’est pas galvaudé.

Mais le principal accusé, le principal responsable, a eu la peine maximale prévue dans la loi française. Je rappelle que la peine de mort n’existe plus en France.

Quasiment tous les autres participants à ce calvaire, et sans chercher à leur trouver la moindre excuse, ont été dépassés par la situation. Et aucun d’eux n’avait prévu ou voulu cette fin horrible.

La Cour a parfaitement analysé, pas du tout "à la va-vite" mais pendant deux mois et demi de procès, le rôle de chacun. D’où les peines adaptées.

J’ai personnellement été partisan d’un procès public. Je le regrette d’autant plus que cela aurait permis à tous les commentateurs de se rendre compte de la justesse du verdict.

Je peux comprendre la famille Halimi. Mais je trouve particulièrement choquante l’attitude des avocats des parties civiles. Je crois que leur égo a pris le pas sur la simple raison.

Qu’ils le fassent. Finalement, cela m’indiffère…

Cependant, si au cours de ce procès on a pu observer une grande retenue, par respect pour la douleur de la famille Halimi, de la part des avocats de la défense, cela n’aura plus lieu d’être en appel.

Et la communauté juive sera une nouvelle fois prise en otage par les intérêts particuliers de ceux qui manipulent cette Communauté.

Je m’explique.

Je suis juif moi-même. Et lorsque j’entends autour de moi, venant de personnes qui n’ont pas l’ombre d’un soupçon d’antisémitisme en eux, dire que la communauté juive fait du chantage aux sentiments, cela me fait mal. Surtout si c’est vrai. Concernant ses "représentants" tout au moins.

Et rien n’est plus malsain dans une société libre et démocratique que de céder au chantage d’une communauté. Quelle qu’elle soit.

D’autant que l’immense majorité des juifs de France n’aiment pas être considérés comme appartenant à une "communauté" mais être considérés tout simplement comme les Français qu’ils sont. Point barre.

Et maintenant, que se passera-t-il dans le cadre d’un nouveau procès ? Sera-t-il public ? La loi devra être changée pour ça…

Personnellement, je le répète, je suis partisan.

Mais que va-t-on dire si Fofana fait provocation sur provocation ?

Car oui, bien sûr, le parquet n’a pas fait appel contre Fofana. Mais qui empêche ce dernier de faire appel lui-même ?

Et que se passera-t-il dans le cadre du nouveau procès ? La famille Halimi est-elle prête à revivre le calvaire de leur pauvre enfant ? Leur souffrance sera-t-elle allégée si l’un ou l’autre des accusés prend un an ou deux de prison en plus ?

Et qu’arrivera-t-il s’ils s’en sortent avec des peines moins lourdes, ce qui reste dans le domaine du possible ?

A moins que les avocats de la partie civile, avec la complicité de la ministre de la Justice, soient en mesure de nommer eux-mêmes les jurés. Etant donné ce qu’il se passe en ce moment, ce n’est plus seulement du domaine du possible mais du probable. J’exagère ? A peine...

Jean Balan
Avocat
AMCO
Ancien Secrétaire de la Conférence

http://tempsreel.nouvelobs.com/actu...

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