Accueil > Quand Bouteflika se fait douanier de l’Europe...
Quand Bouteflika se fait douanier de l’Europe...
Publie le vendredi 17 octobre 2008 par Open-PublishingCe 25 juin dernier, Abdelaziz Bouteflika, président autocratique de l’Algérie depuis 1999, a fait adopter par le Parlement algérien un nouveau texte de loi relatif aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie. On sait combien les relations entre Nicolas Sarkozy, qui conduit actuellement et pour six mois la présidence de l’Europe, et le dictateur algérien sont amicales. On se souvient aussi comment Sarkozy s’était réjoui en novembre 2006 de cette amitié et avait passé de la paumade à son homologue dans ces termes : « Sachez que j’ai passé en votre compagnie des moments particulièrement agréables et enrichissants. La pertinence de vos analyses sur la relation bilatérale comme sur les grandes questions internationales suscite mon plus grand respect. » C’est au point que notre président a passé les cinq heures de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques dans les tribunes en compagnie du leader algérien...
Mais ces "relations bilatérales" sont devenues multilatérales et il semblerait bien que cette entente cordiale avec le potentat d’Alger se soit étendue à l’ensemble des pays européens, puisque ce dernier s’est empressé de promettre à l’Union Européenne son concours à la grande oeuvre de fermeture des frontières européennes. On parle beaucoup de "co-développement" et d’Union pour la Méditerranée, périphrases qui ne cachent que trop mal la mise en place à grande échelle de l’externalisation des politiques migratoires européennes. Il n’y a rien de surprenant au fait que Sarkozy fasse la cour à Khadafi, à Ben Ali ou au roi du Maroc Mohamed VI, puisque les enjeux en terme de contrôle des flux migratoires sont assez importants pour qu’on ne s’embarrasse pas des droits humains.
Bien que le colonel Mouammar Khadafi considère le projet comme une humiliation (« Nous ne sommes ni des affamés, ni des chiens pour qu’ils nous jettent des os. » ), les autres leaders du pourtour méditerranéen semblent favorables à cette collaboration à grande échelle. Que leur promet-on en échange ? L’avenir nous le dira.
En tous cas, Bouteflika s’est déjà mis au travail, et voilà ce que ça donne :
Analyse de texte :
Loi n°08-11 du Jourmada Ethania 1429 correspondant au 25 juin 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie.
CHAPITRE III : CONDITIONS DE SEJOUR DES NON RESIDENTS
Art. 15. - A l’occasion de la demande du visa, ou lors de contrôles de police effectués par les services de sécurité au niveau des postes frontières ou sur le territoire algérien, des empreintes digitales ainsi qu’une photographie d’identité des ressortissants étrangers peuvent être relevées, mémorisées et faire l’objet d’un traitement informatisé.
Chaque contrôle aux frontières impliquera un fichage complet et fera l’objet d’un enregistrement dont la durée de conservation n’est pas précisée. On peut imaginer qu’à court ou moyen terme une mise en commun de ces fichiers avec le système européen Eurodac sera prévu. Cela sous-entend que les migrants seront profilés bien avant leur tentative d’entrée sur le territoire de l’espace Schengen.
CHAPITRE VII : EXPULSION ET RECONDUITE A LA FRONTIERE
Art. 35. - Est tenu de verser une amende civile forfaitaire de 150.000 à 500.000 DA, le transporteur d’un étranger en provenance d’un autre Etat vers le territoire algérien, non titulaire de documents de voyage réglementaires, et le cas échéant, du visa exigé en vertu de la loi ou des accords internationaux appliqués au titre de sa nationalité.
La loi algérienne s’emploie à punir toute personne transportant un étranger en situation irrégulière de 1800 à 6000 euros d’amende. Il reconnait donc le délit d’assistance.
Art. 37. - Il peut être créé, par voie réglementaire, des centres d’attente, destinés à l’hébergement des ressortissants étrangers en situation irrégulière en attendant leur reconduite à la frontière ou leur transfert vers leur pays d’origine.
Le placement d’un étranger dans ces centres peut être ordonné par arrêté du wali territorialement compétent pour une période maximale de trente (30) jours, renouvelable en attendant l’accomplissement des formalités de sa reconduite aux frontières ou son rapatriement vers son pays d’origine.
Des Centres de Rétention sont donc en voie d’être créés et la durée de rétention peut être supérieure à 30 jours sur simple rogation. L’Europe pourra donc se réjouir que d’autres pays, contestés en matière de droits de l’homme, se chargent d’enfermer les migrants avant qu’ils n’atteignent le territoire de l’espace Schengen.
CHAPITRE VIII : DISPOSITIONS PENALES
Art. 42. - Tout étranger qui se soustrait à l’exécution d’un arrêté d’expulsion ou d’un arrêté de reconduite à la frontière ou qui, expulsé ou reconduit à la frontière a pénétré de nouveau sans autorisation sur le territoire algérien, est puni d’un emprisonnement de deux (2) ans à cinq (5) ans, à moins qu’il ne justifie qu’il ne peut regagner son pays d’origine, ni se rendre dans un pays tiers et ce, conformément aux dispositions des conventions internationales régissant le statut des réfugiés et des apatrides.
La même peine est applicable à tout étranger qui n’aura pas présenté à l’autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l’exécution de l’une des mesures mentionnées au premier alinéa ci-dessus ou qui,à défaut de ceux-ci, n’aura pas communiqué les renseignements permettant cette exécution.
Le tribunal pourra, en outre, prononcer à l’encontre du condamné, l’interdiction de séjour sur le territoire algérien pour une durée n’excédant pas dix (10) ans.
L’interdiction de séjour sur le territoire algérien emporte de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement.
Est désormais punissable de 2 à 5 ans de prison le simple fait de ne pas pouvoir présenter les documents permettant sa propre expulsion ou le fait de retenter sa chance une seconde fois après une première mesure d’expulsion. La mesure d’expulsion sera appliquée à l’issue de l’emprisonnement La double peine est institutionnalisée et particulièrement sévère puisque le migrant ne pourra plus accéder au territoire algérien pour une durée allant jusqu’à 10 ans, à l’image de la nouvelle directive européenne La migration est ainsi lourdement criminalisée.
Art. 46. - Toute personne qui, directement ou indirectement, facilite ou tente de faciliter l’entrée, la circulation, le séjour ou la sortie de façon irrégulière d’un étranger sur le territoire algérien, est punie d’un emprisonnement de deux (2) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 60.000 à 200.000 dinars.
La peine est la réclusion à temps de cinq (5) ans à dix (10) ans et une amende de 300.000 à 600.000 dinars, lorsque l’infraction visée à l’alinéa premier ci-dessus est commise avec l’une des circonstances suivantes :
1. port d’arme ;
2. utilisation de moyens de transport, de télécommunication et autres équipements spécifiques ;
3. commission de l’infraction par plus de deux personnes, lorsque le nombre d’immigrants clandestins introduits est supérieur à deux personnes ;
4. lorsque l’infraction est commise dans des circonstances qui exposent directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;
5. lorsque l’infraction a pour effet de soumettre les étrangers à des conditions de vie, de transport, de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité de la personne humaine ;
6. lorsque l’infraction a comme effet, pour des mineurs étrangers, de les éloigner de leur milieu familial ou de leurenvironnement traditionnel.
La peine est la réclusion à temps de dix (10) ans à vingt (20) ans, et une amende de 2.250.000 à 3.000.000 de dinars, lorsque l’infraction a été commise avec au moins deux des circonstances prévues aux alinéas précédents.
Le juge peut en outre prononcer la confiscation des objets ayant servi à la commission de l’infraction ainsi que les produits provenant de celle-ci.
Art. 47. - Les auteurs des infractions citées à l’article 46 ci-dessus, peuvent encourir les peines complémentaires
suivantes :
1. l’interdiction de séjour en territoire algérien pour une durée de cinq (5) ans au plus ;
2. le retrait du permis de conduire pour une durée de cinq (5) ans. Cette durée peut être doublée en cas de récidive ;
3. le retrait temporaire ou définitif du permis d’exploitation d’une ligne de transport ;
4. l’interdiction, pour une durée de cinq (5) ans au plus, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise.
La loi prévoit donc qu’une personne venant en aide à un migrant mineur en le transportant en voiture risque jusqu’à 20 ans de prison et 37000 euros d’amende, pour le simple fait de réunir les points 2 et 6 de cet article. L’assistance est donc un délit lourdement sanctionné, qui peut mener une personne altruiste à passer un tiers de sa vie en prison. La perte du permis et de son emploi peut toucher toute personne qui vient en aide à un migrant dans le cadre de son travail ou de son association.
Est-il nécessaire d’ajouter que la collaboration de pays tiers à la maîtrise des flux migratoires en direction de l’Europe peut être responsable d’une quantité innombrable d’abus et de violations des droits de l’homme. Certains pays que nous choisissons d’associer à ce grand projet sécuritaire sont régulièrement épinglés par des rapports de l’ONU ou d’associations de droits de l’Homme (Amnesty International, Human Rights Watch...) pour leur irrespect total de nombreuse normes du droit international et de la déclaration universelle des droits de l’Homme.
Nous savons que certains pays ont engagé des polices privées pour effectuer des contrôles au faciès dans les aéroports et les avions en direction de l’Europe. Nous savons également l’usage de la violence qui est fait au Maroc à l’encontre des migrants présents à Ceuta et Melilla ou Belyounech. Nous connaissons la situation inquiétante des droits humains dans et en dehors des prisons en Tunisie ou en Lybie. Nous savons que les procédures démocratiques et le droits des minorités sont régulièrement bafoués en Algérie. Nous savons tout cela, mais nous nous permettons de signer avec ces pays des accords sur la gestion de l’immigration ! Combien faudra-t-il de morts et de violences pour que Nicolas Sarkozy et ses homologues européens soient destitués et traduits en justice pour toutes les politiques inconscientes et dangereuses qu’ils mènent ?
Texte original (+ loi en PDF) sur www.dissidence-nordiste.org