Accueil > Qui veut des biens mafieux ?

de Jean-Jacques Bozonnet
Un jour presque ordinaire dans l’Italie profonde : mardi 15 novembre, les carabiniers ont confisqué, près d’Avellino, dans la région de Naples, une propriété appartenant à un clan de la Camorra. La maison est un véritable bunker ceint d’un rempart de béton armé et doté d’un système sophistiqué de télésurveillance. Rangées sur le parking privé, 19 automobiles, dont 3 blindées. Cet édifice, construit avec de l’argent sale, a vocation à devenir un jour une caserne, une école ou une coopérative sociale, selon le choix que fera son futur propriétaire, vraisemblablement la commune.
Depuis une loi de 1982, 6 556 biens immobiliers appartenant à des chefs mafieux emprisonnés ont ainsi été saisis. Mais 48 % seulement ont retrouvé un autre usage. La belle demeure de l’ex-parrain Salvatore Riina, à Corleone (Sicile), transformée en école d’agriculture, fait partie des exceptions les plus notables. Pour la seule Sicile, près de 1 550 biens saisis sont encore en attente d’une affectation. Malgré une loi de 1996 qui introduit la possibilité d’une réutilisation à des fins sociales, la majorité des terres confisquées à la criminalité organisée reste en friche ; les bâtiments, faute d’être entretenus, tombent souvent en ruine. Une ferme de la région de Palerme ayant appartenu à un prête-nom de Toto Riina est restée quinze ans à l’abandon avant qu’il soit décidé, ces dernières semaines, d’en faire un centre de recherches agricoles.
Entre la mise sous séquestre et la décision finale d’attribution, il faut compter en moyenne neuf ans et demi de procédures administratives et judiciaires complexes. Pour améliorer l’efficacité du système, le gouvernement Berlusconi souhaite faire adopter un nouveau projet de loi. Le texte, qui simplifie les démarches et confie l’attribution des biens à une administration unique - la Direction des domaines -, a été vivement discuté à la Chambre des députés, mardi 15 novembre.
L’opposition soupçonne la majorité de vouloir ouvrir des brèches dans cette législation qui frappe la Mafia au portefeuille. Elle souligne le laxisme des autorités dans la lutte anti-Mafia. Les confiscations, qui étaient au nombre d’un millier par an au début des années 2000, sont tombées à 347 en 2004 et à 161 pour les 10 premiers mois de 2005.
C’est un amendement introduit par Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, qui inquiète le plus la gauche : il prévoit que les ayants droit, notamment la famille des chefs de clan, pourront faire appel des décisions de confiscation. Devant la Chambre des députés, quelques dizaines de manifestants ont dénoncé, mardi matin, "une réforme qui risque de restituer aux mafieux les biens séquestrés". Rita Borsellino, la soeur du magistrat assassiné par Cosa Nostra en 1992, juge "intolérable qu’on discute de rendre aux mafiosi des terrains sur lesquels travaillent des coopératives de jeunes courageux et aux remarquables capacités entrepreneuriales".
Cette femme est l’une des responsables de l’association Libera, fondée par un prêtre, don Luigi Ciotti, afin de permettre à des Siciliens de créer des entreprises honnêtes sur les lieux mêmes où régnait auparavant l’illégalité. En recueillant un million de signatures en 1996, Libera a été à l’origine de la loi sur l’utilisation sociale des biens confisqués.
Aujourd’hui, la coopérative Placido Rizzotto est la vitrine de l’association. L’huile, le vin, le blé, les pâtes et tous les produits issus des terres du clan des Corléonais sont aujourd’hui sur les rayons des supermarchés de la Péninsule. Plusieurs dizaines d’emplois ont été créées par Placido Rizzotto.
Près de Trapani, la coopérative Sirio di Castelvetrano produit une huile désormais renommée à partir des oliveraies confisquées à un prête-nom de Bernardo Provenzano, le boss le plus puissant de l’île, en fuite depuis quarante-trois ans. Pour multiplier ces exemples, il faut réduire les délais d’instruction des dossiers, ont estimé les auteurs du projet de loi.
Pour Margherita Vallefuoco, la commissaire aux biens confisqués, "la loi a une valeur symbolique, car l’Etat, en s’appropriant les biens de la criminalité organisée, montre que le crime ne reste pas impuni, mais si le bien reste inutilisé, le message devient négatif".
Afin de décongestionner la bureaucratie, des formations spécialisées ont commencé à être dispensées, le 7 novembre, à 650 fonctionnaires territoriaux du sud de l’Italie.
L’ex-procureur national anti-Mafia, Pier Luigi Vigna, qui a pourtant été associé à l’élaboration du texte, regrette que la gestion de l’ensemble ait été confiée à l’administration des domaines. Il aurait préféré une structure plus proche du ministère de l’intérieur, "car il s’agit de biens mafieux sur des territoires mafieux qui nécessitent une protection".
Avant de produire leurs "pâtes anti-Mafia", les jeunes de Corleone ont subi beaucoup de pressions et de sabotages. Les retards ne sont pas seulement dus à la lenteur de l’administration : la superbe villa d’un tueur notoire, Pino Greco, est restée longtemps aux enchères. Personne n’osait faire la moindre proposition d’acquisition d’un bien aussi sulfureux.
Messages
1. > Qui veut des biens mafieux ?, 18 novembre 2005, 15:43
on pourrais parler de ce placido Rizzoto . Un syndicaliste,que je connais grace a un film . Danes