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REDA SEMOUDI : UNE MARCHE POUR LA JUSTICE
Alors que Nicolas Sarkozy a fait une visite éclair et surprise à Sartrouville hier soir, et que Fadela Amara présente aujourd’hui une partie de son « plan banlieue » (sans le Président ni le Premier Ministre) à Vaulx-en-Velin, LaTéléLibre revient sur la manifestation de la semaine dernière à Noisy le Sec, suite à la mort de Reda, sans papiers « suicidé » en sautant par la fenêtre de son appartement…
Mardi 8 janvier 2008, Reda Semoudi, 31 ans, mourait défenestré du neuvième étage pendant une perquisition de son appartement.
Il était sans papiers, et avait été arrêté la veille pour une banale affaire de stupéfiants.
Selon la police, Reda, menotté, aurait frappé l’un des trois policiers présents dans l’appartement avant de courir à la fenêtre et de sauter.
Cette version est contestée par sa famille. Samedi 12 janvier, une marche était organisée à sa mémoire.
Au pied du 8 rue Charles Baudelaire, devant la bande d’herbe où Reda Semoudi trouvait la mort cinq jours plus tôt, ses proches se sont retrouvés en avance. La marche est prévue pour 14 heures. En attendant, ses frères et soeurs, Tassadit sa veuve, ses amis, discutent avec les voisins venus témoigner leur solidarité. Nous sommes à Noisy le Sec, au Nord de Montreuil, dans la cité du Londeau. Le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues, pionnier de la dénonciation des crimes policiers, organise et encadre la marche. Des brassards découpés dans un drap ont été distribués à ses membres et à ceux d’AC le feu, dont le président, Mohamed Mechmache, dit être venu d’abord en temps qu’habitant de Noisy, touché par le drame. Mais tout le monde a en mémoire le combat d’AC le feu après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy sous bois en 2005. Le parallèle est vite fait entre la mort de Reda et celle des deux jeunes garçons. Quand Zyed et Bouna, poursuivis sans raison par la police, avaient trouvé la mort dans un transformateur électrique où ils s‘étaient réfugiés, la version officielle avait longtemps nié qu’ils étaient effectivement poursuivis, avant de le reconnaitre. Les deux jeunes garçons avaient même étés accusés de cambriolage, alors qu’ils rentraient d’une partie de football. Il avait fallu que leurs familles prennent des avocats, pour que l’affaire ne soit pas bouclée sans que ces questions ne soient posées. Cet empressement du parquet à donner une version officielle écartant d’emblée catégoriquement la responsabilité des policiers, qui scandalise les proches de Reda, trouve un écho encore plus récent dans les mémoires avec l’accident qui a coûté la vie aux deux jeunes garçons de Villiers le Bel, Larami et Mouhsin, en novembre dernier. Mais après la mort de Reda, Noisy le Sec ne s’est pas embrasé comme à Clichy sous Bois et Villiers le Bel.
« C’est parce que Reda n’habitait pas dans le quartier depuis très longtemps, il était arrivé en France depuis six ans », nous explique Simon, du MIB. « Si ça avait été un mec du quartier, ça aurait pété à coup sur. » Cela n’empêche pas certains jeunes du Londeau d’être présent à la marche, aux côtés des voisins plus agés, et des gens venus en « simples citoyens »
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Le cortège démarre et prend la route de la gare RER de Noisy le Sec, où Reda, nous dit son frère, avait l’habitude de retrouver ses amis à la cafétéria. Silencieux d’abord, puis au cri de « Justice pour Reda ».
Des passants s’arrêtent. Les passagers d’un bus bloqué par la marche se pressent contre les vitres pour lire les revendications imprimées sur des petits panneaux en carton.
En tête de cortège, Tarek Kawtari, du MIB, est un vieux routier des drames de ce type. A plusieurs reprises, il s’arrêtera pour refaire au micro le récit de cette scène dans laquelle Reda, dont il mime les efforts supposés pour ouvrir la porte de la chambre puis la fenêtre malgré ses menottes, aurait échappé aux policiers pour sauter par dessus le balcon, ce récit que personne ici ne veut croire. Il rappelle une fois que si « cette version ne peut pas être la vraie version », on ne sait pas non plus ce qui s’est réellement passé. La tentation est pourtant grande chez certains de tirer des conclusions hâtives. Le manque de clarté est le lit du fantasme, et on entend dans le cortège naître des hypothèses effrayantes. Une femme, venue après avoir lu article sur internet, nous affirme ainsi sa certitude que les policiers ont tué Reda et ont jeté son corps pour faire croire à un suicide.
C’est ce que nous dira également Rachid Yousfi, l’ex-mari de Tassadit, bouleversé par le drame. Reda s’occupait de ses deux filles, et il veut rendre lui rendre hommage. « Ce n’était pas un délinquant, c’était un homme. » Comme beaucoup de ses proches, Rachid a été choqué par la manière dont Reda a été présenté dans les médias. Qu’on écrive en titre qu’ « un délinquant expulsable » a sauté par la fenêtre le scandalise. « C’est pas parce qu’il avait pas de papiers que c’était pas un homme. » Il rappelle qu’avant le soir où il a été arrêté en flagrant délit de vente de subutex, Reda n’avait eu affaire à la Justice qu’en raison de cette condition de sans papiers. Il avait été placé deux fois en centre de rétention administrative. Mais sa situation était en voie de régularisation. Surtout il attendait un enfant.
Aucun des proches de Reda ne veut croire au suicide. Ses frères et soeurs en particulier sont bouleversants. Sa soeur Samia raconte comment Reda pleurait parfois de ne pouvoir aider sa femme quand celle ci partait au travail le matin. « Il faisait des petits boulots au noir pour 20 euros la journée ». « Il était tellement heureux que sa femme soit enceinte, il attendait de savoir si c’était un garçon ou une fille ».
Les intervenants se succèdent. Les manifestants sont calmes, mais l’ambiance est lourde. Les habitants regardent le cortège passer sans vraiment réagir. Un jeune qui passe lance à notre intention : « Ils l’ont tué pour rien, il faut tuer les schmitts ! » On apprendra plus tard que deux voitures ont étés brulées, loin de la manifestation, dont celle de la maire (MoDem) de la ville, Nicole Rivoire. Deux garçons de 14 et 16 ans soupçonnés d’être les auteurs ont étés arrétés, mais on en est resté là. Même les casseurs semblent avoir oublié Reda.
Le MIB, qui se défend de vouloir politiser la marche, veut en tout cas la replacer dans le contexte de « la trop longue liste » des bavures policières. Tarek Kawtari souffle un slogan au porteur du mégaphone. « Police partout, Justice nulle part ! » reprend le cortège. Des noms sont cités au micro, certains connus, d’autres oubliés, tous morts dans des circonstances troubles où des policiers étaient impliqués.
Quand il nous dit que les policiers ont bastonné Reda à mort, et qu’on lui rétorque que personne ne sait ce qu’il s’est passé, Rachid Yousfi se reprend : « Je vais vous dire moi qui le sait, c’est les trois policiers qui étaient avec lui. » Il nous dit la brutalité des policiers malgré le drame, le silence du parquet et des enquêteurs, le deuil impossible de la famille tant que toute la lumière ne sera pas faite. Sa tristesse est mêlée d’une révolte sourde, qui explose lorsqu’il prend le mégaphone, mais Rachid veut garder espoir, encore, en la Justice. Cette Justice que la foule réclame à grands cris. La famille a pris un avocat. Le 22 janvier, elle était toujours sans nouvelles.
Joseph Hirsch, Tristan Sala, Smaïn Belhadj