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ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil
Publie le vendredi 17 octobre 2008 par Open-Publishing7 commentaires

de Philippe Ridet
A la télévision, sur les photos de presse, il affiche dix ans de plus. Les joues toujours mangées d’une barbe de trois jours, le cheveu ras et noir, le regard voilé. Sur le visage marqué de Roberto Saviano, 29 ans, on devine les traces d’une vie traquée. Une vie sous protection permanente depuis que les Casalesi, le plus puissant des clans camorristes de Caserte (Campanie), l’ont rendu responsable de la condamnation à la perpétuité de leurs chefs.
Condamné à mort pour avoir écrit, à 26 ans, Gomorra (Gallimard, 2007) - une référence biblique - afin de raconter la violence de la Camorra napolitaine, ses crimes, ses personnages cruels, bien loin de l’imagerie du Parrain sicilien. Résultat : un récit noir et tendu, vendu à 1,2 million d’exemplaires en Italie qui font de son auteur une sorte de croisement entre James Ellroy et Pier Paolo Pasolini.
Mais, ce jour-là, au siège romain des éditions Mondadori, cet homme traqué a ce mélange d’indifférence, de décontraction et de gentillesse qui sont la marque de sa génération.
Avachi sur un canapé de cuir rouge, il s’apprêtait à "fêter", avec les policiers qui le surveillent jour et nuit, deux années sous escorte. Il les appelle ses "anges gardiens", eux lui donnent du "capitaine" comme s’il était devenu l’un des leurs. Souriant volontiers, mêlant la dérision au courage, il raconte sa vie errante, de commissariats en casernes, ses voyages en véhicule blindé, sa solitude. Comment il tue le temps entre l’élaboration de recettes de cuisine et des cours de boxe. Partir ? Laisser l’Italie à son sort et Naples à ses crimes ? "Je ne me résigne pas."
Drôle d’anniversaire. Le lendemain de cette rencontre, un repenti confiait à la police qu’un attentat se préparait contre l’écrivain journaliste. Nouvelles mesures de sécurité, nouveau déménagement. Lassitude. Mercredi 15 octobre, Roberto Saviano s’est confié à La Repubblica, le quotidien de centre gauche pour lequel il a souvent travaillé, et a annoncé qu’il voulait quitter l’Italie, au moins pour un certain temps. "La bulle de solitude qui m’enserre m’a rendu mauvais, soupçonneux, inquiet."
Jusqu’alors, c’est la colère qui l’a fait tenir. La colère et l’entêtement lui ont fait rédiger une postface vibrante à son livre dans La Repubblica du 22 septembre. Deux pleines pages titrées "Lettre à Gomorra", où Saviano déverse sa rage, et sa honte, après le massacre au kalachnikov, quatre jours plus tôt à Castel Volturno (Campanie), de sept personnes dont six Africains. Dernier épisode d’un été sanglant dans les faubourgs de Naples. Interpellant les Italiens et leur fatalisme, il leur lance : "Dans n’importe quel autre pays, la liberté d’action laissée à une telle meute de tueurs aurait suscité un débat, une polémique, des réflexions. Au contraire, ici, on traite ce cas comme si ces crimes étaient liés à la nature d’une province considérée comme le trou du cul de l’Italie."
La Camorra, sa traînée de sang. Encore et toujours. Il y revient, tenant la comptabilité de ses crimes. On s’étonne. Riche, primé, bientôt attendu à Hollywood, où le film du même nom, tiré de son livre, est sélectionné pour l’Oscar du meilleur film étranger après avoir reçu le Grand Prix du Festival de Cannes, il pourrait tourner la page. Ses amis - du moins ceux qui lui restent - lui conseillent d’abandonner ce combat sans fin. Lui-même pense s’installer aux Etats-Unis, mais pas tout de suite : "Je ne veux pas donner raison à ceux qui me veulent du mal", dit-il. Pour écrire quoi ? "Je veux m’intéresser à la criminalité moderne." Comme si le premier cadavre entrevu a 13 ans le poursuivait encore. "Je suis lucide et fataliste, dit-il. La guerre, la violence, c’est mon territoire. Seule la réalité m’intéresse." Fatalité ? Dans son livre, il écrit : "Aucun crime ne peut effacer le poids de l’appartenance à certains lieux qui vous marque au fer rouge."
Sa croisade, il la paie aujourd’hui d’un prix exorbitant. Dans la région de Caserte, où il traînait en Vespa à l’époque où il était libre de ses mouvements, on le prend désormais pour un traître. "Il a écrit tout cela pour se faire de l’argent", entend-on le plus souvent. A Naples, les voisins de l’appartement où il habitait avant d’entamer sa vie sous escorte se sont cotisés pour lui payer son loyer, à condition... qu’il parte au plus vite, de peur d’être victimes de représailles.
La police a fait des démarches pour lui trouver un autre logement. Peine perdue. Dès qu’un propriétaire s’avisait de l’identité de son futur locataire, les excuses fusaient : "Oh, désolé, je l’ai finalement loué il y a une demi-heure." Il fait semblant d’en rire, mais il avoue : "Il n’y a pas un jour où je me demande pourquoi j’ai écrit ce livre et si cela valait la peine."
Il pensait avoir fait une oeuvre salutaire, il découvre avec amertume l’ingratitude de ses concitoyens. Lorsqu’il se rend à Naples, les crachats constellent le pare-brise de sa voiture blindée. "On t’a finalement arrêté", lui lance-t-on quand il déambule dans les rues de sa ville avec les policiers de son escorte. "Saviano de merde", peut-on encore lire sur un mur de Casal del Principe, le fief historique des Casalesi. Il se croyait un héros, il se découvre un renégat.
La plupart des journalistes italiens spécialistes du crime organisé s’étonnent de son acharnement à le combattre. Selon eux, Saviano serait engagé dans un règlement de comptes personnel. "Ils sont jaloux, balaie-t-il d’un geste las. A 26 ans, moi, j’avais découvert et écrit ce que la plupart, au bout de trente ans de carrière, n’ont pu écrire et découvrir." Inquiétant moine-soldat pour les uns, menteur pour les autres. Saviano assume : "Je suis un bâtard : un journaliste pour les écrivains, un écrivain pour les journalistes. J’échappe à la notabilité."
Mais sa parole continue de porter. Le lendemain de la publication de sa "Lettre à Gomorra", le gouvernement italien prenait la décision d’envoyer 500 militaires jusqu’à la fin de l’année sur place en plus des policiers et des carabiniers déjà dépêchés. Saviano approuve : "Dans une phase d’urgence, c’est un signal important. Cela ouvrira peut-être les yeux de la classe politique. Mais trois mois qu’est-ce que c’est ? Ces gens-là peuvent se terrer des années." Cette guerre sera-t-elle gagnée un jour ? "La lutte contre la Camorra doit devenir européenne, explique-t-il. La France, la Finlande, l’Espagne, l’Allemagne sont touchées. Sans coordination de moyens, nous perdrons. La Mafia n’est pas seulement un problème. C’est le problème."
Est-ce encore le sien ? Il dit à présent qu’il veut partir, avoir une maison, boire des bières avec des amis, tomber amoureux et pouvoir choisir un livre dans une libraire sans risquer la mort. Briser les chaînes de Gomorra.
Messages
1. ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil, 19 octobre 2008, 08:19, par fcourvoisier
Merci pour cet article.
Faisons "du bruit" avant qu’il ne soit trop tard :"un accident est si vite arrivé" !
"Je n’ai rien dit...
Auteur : Martin Niemoller, pasteur
Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n’ai rien dit, je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n’ai rien dit, je n’étais pas catholique.Puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait personne pour dire quelque chose...
Pasteur Martin Niemoller, Dachau 1942"
2. ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil, 19 octobre 2008, 12:49
Grand courage de cet écrivain italien.
Dans ce pays gangrené par la Mafia au plus haut niveau, comme les USA par le racisme, il fallait oser.
Je n’ai pas lu livre, mais le film lui-même laisse sans nul doute un parfum de vérité et de désespoir. Le terreau ou se nourrit la Mafia à Naples, est celui ou prospère la misère. C’est le même que celui des lépenistes.
Il y eut, avant, les communistes, dans ces barres HLM. Il n’y a plus rien maintenant que des ventres affamés, des gens perdus totalement, sans avenir ni passé. Quoiqu’il se présente, il pourrait gagner leur adhésion. C’est la Mafia, elle a l’argent, la terreur et l’ancienneté.
Après, on aura les sols abreuvés de dioxyne et autres saloperies, mais l’important est que la Mafia naît dans des tout petits bras morts, dans des endroits où les gens sont réduits par l’abandon des politiques, par le mépris de la presse, à n’être que tas de viande qui marchent. Et les tas de viande ça réchauffe les asticots.
Soleil Sombre
1. ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil, 19 octobre 2008, 16:35, par JdesP
Quel courage, mais il affronte un adversaire de taille : la Mafia est plus qu’une association du crime organisé, je ne sais pas qui a dit si justement, que c’est la forme la plus achevée du Capitalisme. C’est l’aboutissement total du Libéralisme économique. Un peuple a su éradiquer sans façons la Mafia : c’est Cuba avec Fidel Castro. La Mafia craint les Communistes : elle ne peut pas les acheter. Beaucoup de Camarades Italiens Communistes du PCI et d’autres dits d’extrême-Gauche ont affronté avec la population la Mafia dans les années 70, que sont-ils devenus ? Qu’est devenue leur lutte ? La Mafia tombera en même temps que la Misère, parce qu’elle se nourrit d’elle. Combien de mafias en France s’abritent derrière des lois votées sur mesure qui les rendent intouchables ? Aller aux USA ne change rien au problème : les bateaux ou les avions transportent toujours des rats dans leurs soute. J’ai vu Gomorra et je n’ai pas été dépaysé : tant que le modèle de la réussite par le fric sera roi dans les quartiers populaires,, le crime pourra toujours s’afficher comme moyen pour les exclus de tout
3. ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil, 19 octobre 2008, 19:03, par cdrhum
Le film "Gomorra" tout bon soit-il, n’est que l’étincelle qui brille sur le sommet de la partie visible de l’iceberg du livre de Roberto Salviano.
Normal, ce livre constitue, à la fois, un inventaire des pratiques réelles de la Mafia et des ses imbrications dans l’économie italienne et internationale (il serait bon d’y réfléchir en ces périodes de découvertes des pratiques financières !), et aussi un appel formidable à l’intervention citoyenne contre le silence et la "combinazione", de la part des médias et des politiciens.
Le lien est tellement fort et serré entre le système mafieux et le reste du système capitaliste que ce livre éclaire d’un jour nouveau ce qui, jusqu’alors, pouvait apparaître comme une légende... Ce qui explique son caractère éminemment dangereux pour certains... et la situation des plus "précaire" de son auteur...
Nous avons sûrement quelque chose à faire pour le protéger.
1. ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil, 20 octobre 2008, 00:19, par Orphée
Oui bien jeune.. mais n’y avait-il pas que la passion d’une jeune mec pour lancer un tel défi à l’italie et à l’Europe ?
4. ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil, 20 octobre 2008, 12:45
Pour ceux qui lisent l’espagnol :
La vida secrèta de Meyer LANSKY en La Habana
(La vie secrète de Meyer LANSKY à La Havane)
de Enrique CIRULES
Editions des Sciences Sociales. La Havane 2006.
Le livre a été imprimé à Bogota, en Colombie.
Résumé de l’introduction :
On y voit le petit Meyer Lansky (Suchowljansky), enfant d’immigrés Juifs dela Russie Tsariste, arriver en 1911 à New York, à l’âge de 9 ans. Dans son quartier vit aussi l’enfant de sicilien qui sera connu sous le nom de Lucky Luciano, et a 13 ans.
Meyer Lansky sera le premier non-sicilien à devenir chef mafieux. Dans la répartition des "territoires" avec Lucky Luciano, il est chargé des Antilles et des Caraïbes. Son comportement contraste avec celui de la mafia sicilienne par son entière discrétion, pour ne pas dire son invisibilité.
Lors de la guerre, des contacts se nouent pour la première fois entre mafia et gouvernement US. Ces contacts permettent à Lucky Luciano de sortir de la prison d’où il dirigeait les "affaires" depuis 1935 : il a en effet facilité le débarquement des troupes US en Sicile. Don Vito Genovese qui "parrainait" la mafia newyokaise et Meyer Lansky souhaitant tous deux éloigner Lucky Luciano, celui-ci fut alors "exilé" en Sicile.
Ceci fut décidé en Décembre 1946 à La Havane, à l’Hotel National de Cuba, lors de la plus grande réunion mafieuse de tous les temps, laquelle réunissait environ 500 personnes. Furent jetées lors de cette rencontre, entre autres, grâce aux contacts avec l’Intelligence Américaine établis pendant la guerre, les bases de l’Empire de Las Vegas. (Fut aussi décidée la fin de la vie du "copain" Juif de Meyer Lansky, Buggy Seigel.)
La collaboration mafia - gouvernement des USA avait été déclenchée par Franklin Roosevelt en 1943, lorsqu’il rentrait de la rencontre de Téhéran où il s’était réuni avec Churchill et Staline contre l’axe Rome-Pekin-Tokyo. Celle-ci l’avait convaincu de la priorité d’éradiquer le communisme, et il confia cette tâche à ... Meyer Lansky pour Cuba...
Les plans de Lucky Luciano comportaient son "règne" sur Cuba, ce qui contrariait Don Vito Genovese, mais aussi, fortement, Meyer LANSKY, d’autant plus qu’à cette époque les Juifs avaient seulement voix consultative lors des réunions du Comité National de la mafia nord-américaine.
Lucky Luciano est donc "tombé" en Avril 1947, condamné à rester définivement en Sicile... : une série de "scandales", dont la presse s’était fait abondamment l’écho, avaient eu raison de lui.
De ce moment, Meyer Lansky devint maître de l’Empire Cuba-Las Vegas, en relation avec un puissant groupe financier, et les "affaires" (drogue, sexe et jeux) devinrent florissantes : depuis le début des années 30 la pénétration à Cuba des groupes financiers dirigés par la famille Rockefeller s’était accentuée.
Survient un scandale qui choque les Nord-américains : une commission du Sénat, pilotée par le Sénateur Estes Kefauver, conclut à l’existence d’une puissante organisation en marche, qui réunit la politique, le crime et le commerce. Le coup d’état du 10 Mars 1952, qui portera BATISTA à la tête de Cuba est alors décidé, en coordination avec les services secrets des Etats Unis. (Les contacts entre Batista et Meyer Lansky sont avérés.)
Après le coup d’Etat, se construisirent à La Havane de fastueux bordels, casinos, etc... - en 1940, Cuba est déjà classé comme un des plus importants centres de délinquance internationaux et ceci "progresse" encore . Cet argent attirant la convoitise des mafias siciliennes Nord américaines, celles-ci revendiquèrent leur part du gâteau. Les quémandeurs furent assassinés et les survivants livrés à la police, tandis que Meyer Lansky disait s’être retiré des affaires...
Le "clan" de Meyer Lansky (La Havane-La Vegas) a gagné la guerre contre la mafia sicilienne nordaméricaine : la plupart de ses "parrains" sont morts ou en prison (Lui même mourra aux USA "de mort naturelles" en 1983.)
Entre 1933 et 1958, selon l’auteur, a eu lieu une transformation profonde de la mafia nordaméricaine, éloignée des clichés auxquels Hollywood essaie de nous faire croire : les clans mafieux nordaméricains s’organisent depuis de luxueux palaces, en association avec les banques, pour une domination accélérée à l’échelle mondiale, qui inclut la politique intérieure des Etats, le contrôle de la finance, l’avenir et l’orientation des grandes entreprises.
***
Conclusion : pas sûr que les USA soient le pays le plus sûr pour Roberto Saviano. Sauf à risquer d’y être l’objet de chantages odieux.
1. ROBERTO SAVIANO l’auteur de Gomorra choisi l’exil, 22 octobre 2008, 13:56
Estes Kefauver, liens sur les wikipedia :
En Français : http://fr.wikipedia.org/wiki/Estes_...
En Anglais : http://en.wikipedia.org/wiki/Estes_...
Elections présidentielles US de 1952 :
"On August 8, 1963, after eating some apple pie given to him, Kefauver, a heavy smoker and drinker,[6] suffered a massive heart attack on the floor of the Senate while attempting to place an antitrust amendment into a NASA appropriations bill"