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Rapport de la commission université / emploi : Critique
Publie le lundi 3 juillet 2006 par Open-Publishing3 commentaires
Commentaire sur le rapport d’étape de la Commission Université Emploi publié le 29 juin
Plusieurs fois repoussé, le rapport d’étape de la Commission Université Emploi (lancé par Villepin le 25 avril à la Sorbonne) a finalement été rendu public jeudi 29 juin. Il est consultable à l’adresse suivante : http://www.debat-universite-emploi....
Sans surprise, il s’inscrit dans la même logique que les « synthèses » des débats académiques (consultables à l’adresse suivante : http://www.debat-universite-emploi.... et se prononce pour la professionnalisation généralisée de l’enseignement supérieur.
Comme nous l’avons expliqué dans une autre contribution http://oxygenefse.free.fr/jour/juin..., la FSE Paris I et IV se prononce contre toutes les formes de professionnalisation qui vise à asservir complètement l’enseignement supérieur à la logique du capital, en en faisant une institution « intégrée » à finalité unique : produire des capitaux humains prêts à l’usage.
1. Le rapport part du postulat que l’enseignement supérieur porte la responsabilité du chômage de masse.
Ce postulat est une escroquerie intellectuelle : ce n’est pas le système de formation qui est responsable du chômage de masse mais le fonctionnement même du système capitaliste. Les capitalistes le savent bien, mais ils ont besoin de marteler ce postulat pour justifier leur attaque contre un enseignement supérieur pas assez soumis à leurs intérêts. Jugé coupable du chômage de masse, l’enseignement supérieur doit être selon eux restructuré et professionnalisé.
Le rapport prétend vouloir « placer l’étudiant au centre de sa réflexion et de ses préconisations » (p.3) et dresse un doigt accusateur vers cet enseignement supérieur trop archaïque insensible au destin de ses étudiants : « le service public de l’enseignement supérieur doit avoir davantage le souci de l’insertion professionnelle et du devenir des étudiants dont l’Etat lui confie la charge. » (p.3). Historiquement, c’est toujours au nom de l’intérêt de l’étudiant ou de l’élève que les experts de la classe dominante (Dubet, Meirieu, etc.) ont justifié leurs attaques au service de la bourgeoisie.
2. Le rapport plaide pour un changement du dispositif d’orientation : tout faire pour convaincre, dès le plus jeune âge, les étudiants de « choisir » ce que demande le patronat
Le rapport plaide pour un bouleversement global du système éducatif - et pas seulement de l’enseignement supérieur - afin de mettre au centre la question de l’insertion professionnelle : « notre commission préconise une évolution paradigmatique où la question de l’insertion professionnelle serait prise en charge plus en amont dans les cursus universitaires permettant ainsi une démarche moins brutale et donc nettement plus progressive. » (p.3-4)
De façon grotesque et artificielle, le rapport attribue l’échec en 1er cycle universitaire à une mauvaise information des étudiants ne permettant pas une bonne orientation. Il fait cette « analyse » pour en tirer la conclusion qu’il faut revoir le système d’orientation « y compris en amont » (p.5) - c’est-à-dire dès l’enseignement secondaire.
Même si le rapport ne rentre pas dans le détail, il suffit de consulter la synthèse du débat de l’académie de Paris pour comprendre ce que nos dirigeants entendent par « orientation choisie » : « Il faut donc donner aux lycéens une information aussi objective et complète que possible sur les études supérieures et leurs débouchés professionnels, et les aider dès la classe de seconde à construire progressivement leur projet personnel et professionnel pour pouvoir passer des envies et des représentations à la réalité ».
Autrement dit, il faut surtout éviter que l’élève s’oriente en fonction de son intérêt pour les différentes disciplines. Le système capitaliste doit le convaincre de « choisir » ce que le système attend de lui. Pour cela, « la commission préconise d’unifier au niveau opérationnel, les fonctions d’orientation et d’accompagnement à l’insertion professionnelle des étudiants » (p.12). Comment dire plus clairement que l’orientation doit se faire uniquement en fonction de la demande patronale ? Et pour qu’il fasse bien son choix d’orientation selon ce critère, le rapport souhaite la mise en place d’un « Observatoire des métiers et de l’insertion professionnelle » avec pour fonction la « collecte et diffusion de données sur le placement des étudiants » (p.12)
Mais rien ne vaut la participation directe des représentants du patronat à l’université pour convaincre les étudiants de bien s’orienter : « Le monde économique est prêt à établir des conventions avec les universités afin de mettre à disposition à temps partiel ou à temps complet pendant des périodes données, des personnels pour qu’une meilleure connaissance du monde professionnel puisse être acquise par les étudiants » (p.15)
A la fin du 1er semestre en filière générale, s’ils n’ont pas la moyenne, les étudiants auront l’obligation de passer un « entretien personnel d’évaluation et d’orientation », et pourront être réorientés par le recours à l’alternance ou à l’apprentissage. Il s’agit de s’appuyer sur l’échec de l’étudiant pour le convaincre qu’il n’a pas sa place dans une filière générale, et qu’il s’épanouirait bien sur davantage dans une filière courte et plus professionnalisée. La Commission préconise de « proposer 5.000 places en filières STS et en IUT à compter du 15 février 2007 (début du deuxième semestre d’une année universitaire traditionnelle) afin de limiter les situations d’échec et permettre les réorientations » (p.8).
Le rapport veut en outre « créer une commission de l’enseignement professionnel post-baccalauréat au sein de chaque académie » (p.10) pour « réguler l’admission des bacheliers dans les différentes formations » (p.10). En clair, cela signifie - en complément de « l’orientation choisie » - sélectionner les étudiants dans les différentes filières en fonction des besoins patronaux.
3. Les propositions sur les modalités de la professionnalisation
L’objectif est clair : il faut « professionnaliser toutes les filières » (p.15). Pour cela, le rapport propose notamment de « rendre obligatoire dans toutes les licences, un module projet professionnel personnalisé pour l’année universitaire 2007-2008 ainsi que l’acquisition de compétences de base dans trois domaines : 1. la maîtrise d’une langue vivante étrangère, 2. l’informatique et les outils bureautiques, 3. la recherche d’un emploi (rédaction de CV, entretien d’embauche, etc.) et la connaissance des secteurs économiques » (p.15). Le tronc commun, la base, des « enseignements » doit donc être constitué de modules professionnels (savoirs professionnels et savoir-être), dont la validation doit être rendue obligatoire pour l’obtention du diplôme de licence.
Le rapport plaide bien entendu pour le développement des stages dans tous les cursus : « Prévoir un stage obligatoire dans chaque cursus, y compris dans les licences généralistes » (p.17). Il propose également de développer l’apprentissage et l’alternance (notamment au niveau L3 et M2), dispositifs qui se rapprochent le plus de la fusion université / entreprise.
Le rapport ose en outre affirmer : « Aujourd’hui, de plus en plus d’étudiants mais aussi de salariés aspirent à pouvoir combiner une activité professionnelle et une activité de formation » (p.21). Ainsi, les étudiants pauvres (et seulement ceux-là comme par hasard) « aspireraient » à se salarier. Inutile donc de développer le système d’aide sociale ! Par contre le rapport propose que soit « décidé, au niveau national, que les étudiants salariés ont droit à un crédit d’ECTS pour l’obtention de la licence » (p.16). Logique du renoncement où, au lieu d’aider les étudiants à étudier à plein temps dans des cursus de qualité, on leur donnera des ECTS pour qu’ils obtiennent un diplôme totalement dévalorisé !
De plus, le rapport préconise d’encourager les sorties « volontaires » vers le marché du travail à la fin du L3. Il s’agit de « proposer un parcours professionnalisé en troisième année de licence (L3) » (p.15) à tous les étudiants dont on estime qu’il serait peu rentable qu’ils continuent leurs études. « Les modalités peuvent être variables : stage inscrit dans le cursus d’étude, alternance ou apprentissage mais tout doit pouvoir être mis en œuvre afin q’un étudiant qui souhaite s’orienter vers le marché de l’emploi à l’issue de la licence soit armé pour le faire » (p.15)
Bien sur, tous ces modules professionnels devront apparaître dans l’annexe descriptive au diplôme mise en place par la réforme Lang-LMD, livret de compétences - résurrection du livret ouvrier - permettant la traçabilité de l’étudiant. Le rapport fixe comme objectif de « mobiliser, pour le 1er octobre 2007, toutes les universités afin que tous les diplômes soient accompagnés d’un document annexe indiquant avec précision les compétences acquises en cours de formation » (p.16)
4. Le rapport plaide pour l’« ouverture » et la restructuration de l’université
La professionnalisation des cursus implique une modification de l’institution universitaire. Le rapport affirme que « les Universités doivent développer davantage de partenariats durables avec les milieux socioprofessionnels et accepter que l’un des indicateurs de performance utilisés pour les évaluer soit lié à l’insertion professionnelle de leurs diplômés » (p.6)
L’Université doit créer de nouveaux services : « Mettre en place dans chaque université française une direction des stages, des emplois et des carrières, qui disposera de l’appui d’étudiants moniteurs » (p.9). Pour que cela ne coût pas trop cher, on ne recrutera donc pas de fonctionnaires supplémentaires. On modifiera le statut des enseignants-chercheurs et on fera travailler des étudiants (qui « aspirent » à cela selon le rapport), bien entendu sous payés.
Enfin, le rapport propose d’« amplifier l’ouverture vers le monde professionnel par l’élaboration d’un nouveau rôle de professeur associé et par l’augmentation de leur nombre pour remplir des missions précises liées à la professionnalisation des cursus universitaires » (p.15). Il est en effet tout à fait logique - dans la logique de professionnalisation - que des représentants directs du patronat viennent donner des « cours » et parfaire le conditionnement idéologique, trop mal assuré par des enseignants-chercheurs qui n’ont pas encore intégrés leurs nouvelles fonctions.
5. Ce rapport n’est qu’un début ...
Le rapport définitif de la commission Université / Emploi est prévu pour octobre 2006. Ce rapport d’étape nous prévient : ce n’est qu’une mise en bouche : « C’est ainsi que dans une approche systémique de la thématique Université-Emploi, cette dernière ne saurait être isolée d’autres aspects très importants, comme par exemple la gouvernance des universités, le statut des enseignants chercheurs, l’évaluation du système d’enseignement supérieur français, la gestion des bourses, l’articulation du niveau national avec le niveau local du dispositif d’information et d’orientation, la formation tout au long de la vie ou encore les parcours internationaux des étudiants. » (p.22)
Ce simple aperçu de ce qui nous attend à la rentrée ne nous laisse guère de doute : à la suite du LMD, une attaque de grande ampleur se profile pour soumettre encore davantage l’Université à la logique du capital.
Alors que le syndicalisme cogestionnaire a renoncé à combattre les mesures qui s’annoncent - l’UNEF parlant à propos des mesures du rapport de « faible ambition » - le syndicalisme de lutte doit prendre ses responsabilités et combattre la mise sous tutelle capitaliste de l’Université, et pour une Université publique, gratuite, laïque, critique, de qualité et ouverte à tous.
Messages
1. > Rapport de la commission université / emploi : Critique, 3 juillet 2006, 14:22
On continue d’attaquer tous les espaces de libertés : les universités, l’agriculture, manque plus que les mères au foyer et toute la société sera quadrillée, contrôlée. Ah si, il manque Internet. Big brother a de beaux jours devant lui.
2. > Rapport de la commission université / emploi : Critique, 4 juillet 2006, 13:49
La réponse au problème résiderait plus dans le développement des filières de type BTS/DUT/Licences Pro que dans la professionnalisation des filières existantes dans l’enseignement supérieur.
Cependant, les critiques de notre système actuel doivent aussi être entendues : sur 10 étudiants de L1, combien terminent leur licence ? Et sur 10 diplômés, combien trouvent un travail stable du fait de leur diplôme ? Il ne faut pas remettre en cause la filière d’excellence de l’université, mais il faut par devoir moral se poser le problème de ceux qui n’arrivent pas au bout ou ceux qui peinent à trouver un emploi. Dans ce domaine, il ne faut pas brader l’idéologie, mais il ne faut pas non plus que celle ci nous rende aveugle face à la nécessité pour tous de se nourrir.
3. > Rapport de la commission université / emploi : Critique, 7 juillet 2006, 18:20
Vous abusez un peu sur ce dossier. Je suis désolé mais, tous les jeunes qui entrent en Fac ne désirent pas être profs ou avoir une carrière administrative. Ils sont très nombreux à aller en Fac, parce qu’aujourd’hui on ne connaît ni les IUT et les BTS. Il est nécessaire de veiller à l’indépendance de l’Université et à sa capacité de produire des chercheurs comme des personnes à la culture développée. Je suis entièrement d’accord avec ça et je lutterais si je vois un quelconque danger dans ce domaine. Mais pour avoir lu le dossier, je constate juste qu’il est question d’augmenter l’éventail des possibilités de réussite par l’université pour l’insertion des jeunes dans le monde du travail. Moi, je sors comme beaucoup de la Fac, je suis resté 9 mois au chômage avant qu’une association veuille bien m’embaucher. Je n’ai jamais eu de scrupules à faire les études dites "non rentables" que j’ai suivi (Philosophie) mais j’ai toujours souhaité trouvé une porte qui m’amènerait à un univers professionnel qui me convienne mieux que l’enseignement et qui pour autant reconnaisse l’investissement que j’ai fait pour mes études... Je trouve qu’il y a pas de quoi sortir des boucliers s’il nous propose des solutons d’apprentissage. Je ne lutterais pas contre la réforme qui pourrait naître de ce rapport (faut-il encore qu’ils aient les couilles de se confronter avec les étudiants...). Ou en tout cas pas en l’état, et pourtant je n’aime vraiment pas la droite. Pour ce qui est des étudiants en première année, la rencontre de ré-orientation n’est obligatoire qu’en cas de notes inférieures à 10, elle est facultative dans les autres cas. Mais où avais vous vu qu’ils nous mettraient un revolver sur la tempe ou qu’ils nous retirerais les bourses si on ne suit pas leurs conseils ? Qu’une discussion soit obligatoire pour choisir son avenir, moi, je trouve que c’est une chance. Avec qui et quand avons nous l’occasion de se concerter sur nos choix professionnels ? On a pas assez de conseillers, personne qui pige le système français des dilpômes. Moi j’applaudis toutes les personnes qui me parlent de plus de trois DUT ou BTS, aujourd’hui ! Ne jouons pas les petits bourgeois qui ne jurent que par l’enseignement général et qui n’ont pas à se soucier de leur avenir (moi qui pensais que l’enseignement s’était ouvert à d’autres classes sociales, je suis déçu). N’ayons pas peur non plus de penser qu’il y a autre chose que des choix solitaires (tendance individualiste et pas si loin des capitalistes) sans discussion et sans rencontres d’autres personnes qui peuvent nous rendre maître de notre avenir !