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Par : Aboubakr Jamaï

En atterrissant au Maroc, Hillary Clinton savait qu’elle n’arrivait pas en territoire ennemi. Le régime qui l’accueillait est un ami des Etats-Unis. Hassan II avait solidement positionné son pays dans le camp pro-américain. Les Américains se battaient contre les communistes, et le monarque était menacé par une opposition plutôt proche du camp socialiste. L’Amérique avait décidé de s’appuyer sur les monarchies aux fondements religieux pour contrecarrer la vague de socialisme qui menaçait le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Cela tombait bien. Lui aussi consacrera bien des efforts pour donner à la monarchie cette légitimité religieuse pour combattre les « athées » de gauche. Mieux, il mettra son armée au service de la stratégie américaine en Afrique Sub-saharienne.
Lorsque le dictateur Zaïrois Mobutu Sesseko sera menacé par une rébellion, ce sont des soldats marocains, financés par les Saoudiens et les Iraniens et dirigés par les services français- le SDECE du haut en couleur Alexandre de Marenches- tout cela suivant les directives de leurs maîtres américains à la Maison-Blanche, qu’ils iront sauver le régime d’un dictateur pro-américain. Les promoteurs de cette alliance de l’ombre l’appelaient le club Safari. C’est en tous les cas ce que découvrira le journaliste égyptien Hassan Haykel lorsque l’Ayatollah Khomeiny lui ouvrira les archives du régime déchu des Pahlavis. Sans oublier, bien sûr, les relations secrètes, mais néanmoins réelles, qu’entretenait Hassan II avec les Israéliens. Des liens fort appréciés à Washington et bien utiles pour jeter les ponts entre les Arabes et l’Etat sioniste.
Vint la-dite guerre contre le terrorisme, l’ennemi commun n’était plus gauchiste mais islamiste. Les relations entre les Américains et le règne de Mohammed VI s’inaugureront par les horreurs des « sites noirs », ces prisons secrètes où on torture à souhait. A la Maison-Blanche sévissaient les néoconservateurs. Ils adoreront la monarchie de
Mohammed VI. Elle met à leur disposition les spécialistes de la torture hérités des années de plomb et ne fera pas trop de vagues sur le conflit israélo-palestinien. Comme l’avait écrit cette publication amie du Maroc, Jeune Afrique, “plutôt Taza que Gaza”. Que pouvaient rêver de mieux les Wolfowitz, Pearle et autre Elliot Abrams ? C’est justement dans le département dirigé par Mme Clinton que le néo-conservatisme bushien, dans sa vision du Moyen-Orient, subsiste encore. La déclaration scandaleuse de la Secrétaire d’Etat américaine en Israël sur les soi-disant offres israéliennes « sans précédents » sur le gel des colonies en est une indication.
Que fallait-il donc attendre de cette visite ? Pas grand-chose. Et pourtant. Tout n’était pas à jeter dans cette visite. Il y eut, bien sûr, le sempiternel rappel que le Maroc a été le premier pays au monde à signer un traité d’amitié avec les Etats-Unis en 1786. Petite digression ici pour tout de même relever qu’après avoir signé ce fameux traité, le Maroc s’empressa de déclarer la guerre à ces mêmes Etats-Unis en 1803. A peine l’eut-il fait qu’un navire militaire américain vint rappeler à l’ordre le sultan marocain en menaçant de détruire la ville de Tanger. Mais c’est vrai, ce léger détail aurait fait désordre dans une visite officielle. Puis vinrent les compliments désormais sur les réformes entreprises par le royaume, surtout en matière de droits des femmes.
Tout cela était finalement conforme à la nature des relations entre les Etats-Unis et le Maroc. Des relations basées sur la realpolitik et les intérêts bien compris des deux Nations. Sauf que lorsque la question de la répression de la presse au Maroc fut soulevée, Hillary Clinton eut la décence de ne pas défendre le régime qui l’accueillait. Elle parla de l’importance de la liberté de la presse dans le monde arabe et de son nécessaire rôle de contrôle des activités des gouvernants. Et on se dit que la realpolitik, c’est aussi tenir compte de l’opinion publique. Et quand celle-ci va dans le bon sens, le résultat peut être intéressant. Car cette opinion publique peut se tromper, c’est après tout en grande partie pour suivre l’opinion publique US que le leadership américain est tellement pro-israélien. Mais là, la sacralité de ce fameux premier amendement de la constitution américaine qui garantit, entre autres libertés, celle d’expression a du bon. Au moins, la MAP ne dira pas que les Etats-Unis soutiennent la répression de la presse au Maroc. C’est déjà ça.