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Refus de soins, traitements interrompus, interventions retardées faute de prise en charge

Publie le mercredi 23 juin 2004 par Open-Publishing

de Bertrand Bissuel

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme de l’aide médicale d’Etat (AME), de nombreux ressortissants étrangers, en situation irrégulière ou récemment installés sur le sol français, se heurtent à des difficultés accrues pour accéder au système de soins.

Médecins du monde, le Comité médical pour les exilés, Médecins sans frontières et le SAMU social de Paris ont rédigé un document qui met en évidence le phénomène, à travers une quarantaine de cas concrets. Morceaux choisis.

Soins retardés ou interrompus.
Balbine, 32 ans, a quitté le Cameroun pour la France en 1995. Aujourd’hui, elle n’a pas de titre de séjour. Pour prouver la durée de son séjour dans l’Hexagone, elle a seulement pu réunir une lettre, reçue en mars, et des papiers qui attestent de consultations effectuées en avril au centre de Médecins du monde à Paris. Mais, pour le mois de février, elle n’a rien à fournir. Résultat : en mai, elle n’a pas déposé de demande d’AME, faute de pouvoir certifier qu’elle se trouve en France depuis trois mois. Balbine a pourtant besoin d’être soignée. Sujette à des hémorragies utérines, elle "souffre d’une anémie très importante", qui "pourrait mettre sa vie en danger si on ne peut faire ni de diagnostic ni de traitement", d’après Médecins du monde. Elle a toutefois pu être orientée vers un hôpital qui a réalisé des examens complémentaires. Conclusion : elle pourrait être atteinte d’un "myome"(tumeur bénigne).

Mohammed, 65 ans, est arrivé en France en 1962. Il a longtemps été en situation irrégulière mais a aussi été titulaire d’une carte de séjour, qu’il a égarée, et a travaillé pendant plusieurs années. Aujourd’hui, il vit dans la rue et ne dispose d’aucun papier d’identité. De temps à autre, il s’adresse au SAMU social de Paris pour trouver un hébergement provisoire. Victime d’une fracture à la jambe droite au début de l’année, Mohammed a pu accéder aux premiers soins dans un établissement hospitalier, même s’il n’était pas affilié à l’AME. Il a subi une radiographie pulmonaire, un électrocardiogramme, un traitement anticoagulant avant d’être orienté vers un centre du SAMU social équipé de lits infirmiers. Dans l’absolu, Mohammed devrait suivre "des séances de rééducation" mais, faute de couverture maladie, "il n’aura probablement pas de kinésithérapie", estime le SAMU social.

Des pratiques parfois plus dures.
Installée en France depuis trois ans, Fatou a bénéficié, pour la première fois, de l’AME en novembre 2001. Ses droits ont été renouvelés l’année suivante pour douze mois. Mais elle a omis de faire les démarches nécessaires, à l’automne 2003, pour conserver sa couverture sociale. Au début du printemps 2004, elle se présente dans un centre de Médecins sans frontières, à Paris, qui l’aide à déposer une demande d’AME. Fatou produit divers documents qui attestent de sa présence dans l’Hexagone en août 2003, en octobre, en janvier et en mars. Son dossier est adressé, début avril, à la Caisse primaire d’assurance-maladie et rejeté. Motif ? Fatou "n’apporte pas la preuve de son séjour en France au cours des trois derniers mois".

Le recours aux bonnes volontés.
A la mi-mars, le centre de Médecins du monde, à Nice, accueille un bébé de 3 mois, qui vient d’arriver de Tchétchénie avec ses parents. Le ménage, qui a pris contact avec la préfecture afin de déposer une demande d’asile, ne bénéficie d’aucune couverture sociale. D’après le certificat médical établi par un médecin hospitalier, le nourrisson présente des "anomalies orthopédiques congénitales multiples : pieds bots, mains botes cubitales bilatérales...". Il est également atteint d’"amblyopie" (affaiblissement de la vue). "Son état actuel nécessite une prise en charge médico-chirurgicale avec rapidement une intervention au niveau des deux tendons d’Achille", insiste le praticien. Mais l’opération ne peut être envisagée, en l’absence d’AME. Durant plusieurs semaines, un kinésithérapeute de Médecins du monde va voir le bébé chaque jour "pour le stimuler". "Un orthoptiste en ville reçoit-l’enfant- gratuitement, précise l’organisation humanitaire. La prise en charge (...) s’organise donc bénévolement." Aujourd’hui, les soins nécessaires ont enfin démarré, indique Agnès Gillino, coordonnatrice du centre de Médecins de monde à Nice. "Il a fallu attendre trois mois, ajoute-t-elle. Qu’est-ce que ça change, un tel délai ? Il n’a permis de réaliser aucune économie et risque d’hypothéquer le développement de l’enfant."

Refus de soins aux hôpitaux.
En France depuis août 2003, Chanthirasegararampillai, un Sri Lankais de 35 ans, est un débouté du droit d’asile. Il n’a aucune couverture sociale. Le 5 avril, il se rend au Comité médical pour les exilés pour une "tuméfaction cervicale évoluant depuis deux mois". Après un premier bilan de santé et malgré la mise en route d’un traitement antibiotique, son état ne s’améliore pas. Il est alors aiguillé vers un hôpital de la région parisienne, reçu par le service des urgences qui ne l’hospitalise pas. Il y retourne trois jours plus tard et est finalement admis dans un autre établissement. Il en ressort deux semaines plus tard, avec une ordonnance de médicaments antituberculeux, qu’il ne peut pas acheter. Finalement, un centre de dépistage et de prévention le prend en charge gratuitement.

Dans la même période, l’hôpital où il a été soigné demande à être payé. Montant de la facture : 9 209 euros. Le Comité médical pour les exilés déplore avoir dû intervenir à deux reprises "pour faire appliquer le droit aux soins". Bertrand Bissuel

Des conditions d’accès plus strictes

Les conditions d’accès à l’aide médicale d’Etat (AME) ont été modifiées par les lois de finances rectificatives 2002 et 2003.

Une admission plus stricte.
Pour obtenir l’AME, les demandeurs doivent résider en France depuis au moins trois mois de façon "ininterrompue". Ils doivent prouver l’ancienneté de leur séjour à l’aide de documents "probants" : passeport, copie d’un visa ou d’un titre de séjour, contrat de location, etc. A défaut, d’autres éléments de preuve peuvent être avancés : notification d’un refus de demande d’asile, bulletin d’hospitalisation... Ces documents sont déjà réclamés, même si le décret énumérant les justificatifs recevables n’a pas encore été publié. L’évaluation des ressources des candidats à l’AME sera codifiée par un autre décret, à paraître lui aussi.

Création d’un ticket modérateur.
En contrepartie des soins qui leur sont prodigués, les bénéficiaires de l’AME devront payer une contribution. Son montant sera plafonné et certains publics en seront exonérés (femmes enceintes,...).

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-369970,0.html