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Réouverture des maisons closes

Publie le samedi 20 mars 2010 par Open-Publishing
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Communiqué de l’Association Griselidis

avis de travailleuses du sexe

En ce mois de mars 2010, un grand tapage médiatique nous étourdit autour de l’annonce faite par quelques figures politiques autour de "la réouverture de maisons closes".

Nous rappelons que dès novembre 2002- la notion "d’espaces géographiquement ciblé" était déjà apparue simultanément à la proposition de loi visant à pénaliser le racolage, fameuse loi qui a été votée à la grande majorité de l’Assemblée, quatre mois seulement après sa proposition, c’est-à-dire au mois de mars 2003 et sans aucune concertation ni avec les personnes concernées ni les associations qui travaillent avec les prostituées, ne leur laissant certainement pas le temps nécessaire pour réorganiser leur vie !

L’article L50 - 225-10-1 du code de procédure pénale prévoit 2 mois

d’emprisonnement et jusqu’à 3 750 euros d’amende.

Ces mesures étaient sensées, selon le rapporteur du projet de loi Christian Estrosi, d’une part favoriser la dénonciation des exploiteurs par leurs victimes et d’autre part de décourager les réseaux mafieux puisqu’ils se verraient régulièrement déposséder de la valeur des amendes qu’auraient à payer les prostituéEs, ainsi condamnées !...

Nous considérons que ces arguments sont pour le moins machiavéliques, car il nous faut admettre alors, "qu’à la faveur et dans le contexte chaleureux d’une Mise en Garde à Vue" de potentielles victimes vont trouver le courage de porter plainte - et cela pourrait aussi bien valoir pour les femmes victimes de violences, les salariéEs qui subiraient des pressions au sein de leur entreprises, etc. Qu’il faut ensuite, pouvoir envisager que "le manque à gagner" des exploiteurs – lorsqu’ils existent - en condamnant leur victimes à des amendes les décourageraient.
Nous pourrions aussi traduire cette notion de façon simplifiée : l’argent des prostituées réquisitionné au profit de l’Etat c’est autant de moins dans les poches des exploiteurs !

Quoiqu’il en soit, toutes les TravailleusEs du sexe, qu’Elles soient victimes ou non se sont retrouvées délinquantes et coupables.

Dans Le Parisien.fr du 18 mars 2010, Chantal Brunel, députée (UMP) de Seine-et-Marne explique que dans les pays où les maisons closes sont autorisées, les filles reversent certes une somme à leur "tenancier", mais beaucoup moins importante que celle qu’elles donnaient à leur "mac" lorsqu’elles racolaient.
(?)
Nous sommes toujours dans l’élaboration de calculs comptables que nous jugeons très périlleux pour les prostituéEs et pour le moins acrobatiques...

D’ailleurs, dans un contexte de répression cette "solution" pourrait presque apparaître comme la "moins pire des plus graves". Or, il n’en est rien. Nous considérons même que la situation se dégrade depuis mars 2003.
Pourquoi ?

Parce que nous constatons que depuis plusieurs siècles les processus sont toujours identiques, et donc, tour à tour :
 Répression (lois qui visent à l’
 Eradication (et comme aucun Etat n’a obtenu de résultat probant , il peut sembler opportun de mettre en place l’
 Organisation (qui pourrait se nommer aussi bien “récupération”)

Pour exemple, cet extrait, selon la source : http://www.ladepeche.fr/article/2009/09/13/671851-Histoire-Le-Toulouse-coquin-a-l-epoque-des-maisons-closes.html

Ainsi, en 1499, les Capitouls, qui avaient déjà décrété de dures sanctions contre la prostitution (plongeons forcés dans la Garonne dans une cage de fer), expulsent de leurs « tavernes et autres lieux » pas moins de « 1500 entremetteurs et ribaudes ». Et, dans la foulée, ouvrent pour tout ce monde « un ostal del public » dont les revenus vont servir… à payer les robes et les manteaux de ces mêmes élus locaux. Cette maison publique est d’abord située à la porte du Bazacle, puis sur les actuels boulevards (en bas des allées Jean-Jaurès). On lui donnera tantôt le nom de Château Verd, tantôt de Grande Abbaye.

Ces quelques lignes mettent bien en évidence les différents processus et nous devinerons facilement que sur cet effet d’annonce portant sur la réouverture des maisons closes, nous en serions à la troisième phase

Il semblerait que le ministère de l’Intérieur prenne le sujet très au sérieux (nous l’avions déjà bien compris dès 2003), toujours selon Chantal Brunnel dans Le Parisien.fr, et qu’un groupe de travail sur la prostitution est en cours d’élaboration. La première réunion préparatoire est annoncée le 25 mars 2010, vraisemblablement sans les TravailleusEs du sexe...?
Or, les Assises annuelles de la prostitution se tiennent précisément le 24 mars, la veille. Depuis plusieurs années les prostituéEs et leurs alliéEs se réunissent ainsi chaque année autour du 18 mars, date anniversaire du vote de l’article “225-10-1”, pour mettre en commun leurs expertises et solliciter le gouvernement en premier lieu sur l’abrogation de la loi qui pénalise le racolage et autres réformes essentielles .
Mépris ou effet de manche de la part de nos députéEs ? L’on tendrait à nous “enfermer” sans nous avoir consulté, ni avancé plus sur l’abrogation de l’article 225-10-1 qui a été demandé récemment à l’Assemblée et que celle-ci a rejeté sans discussion ? Et il faudrait que nous prenions ces déclarations très au sérieux et que nous applaudissions de surcroît à cette ébauche de solution sans autres formes d’expression du respect de nos droits ?
Les TravailleusEs du sexe méritent mieux que ce traitement dérisoire.

Le 15 décembre 2008, une délégation de Travailleuses du sexe et Alliées a été reçue au ministère de l’Intérieur pour demander la publication des résultats en matière de lutte contre le proxénétisme et l’exploitation des êtres humains à des fins sexuelles depuis 2003 et la mise en place d’une commission interministérielle réunissant le ministère de la Santé, celui du Travail et des Relations sociales , des Finances, avec les prostituéEs et leurs AlliéEs

Nous attendons toujours la réponse sur la mise en place de cette commission ...
Nous attendons toujours que le ministère de l’Intérieur rende son rapport avec une réelle transparence et qui permette d’évaluer la pertinence – ou non - des conséquences de la LSI (lois sur la sécurité intérieure) sur la lutte contre le proxénétisme et le trafic d’êtres humains.
Nous avons été en mesure d’apporter des éléments concrets sur les conséquences désastreuses de la LSI sur les prostituéEs ( recrudescence alarmante des violences à leur encontre, de vulnérabilité accrue en terme de santé)

Mme Brunel dans une dépêche AFP du 18 mars 2010 , évoque encore : “ la création d’endroits où l’achat de services sexuels soit possible dans des conditions de protection médicale, judiciaire, financière et juridique”. D’ailleurs les fameuses “conditions” ne sont pas bien explicitées, comment déterminer au final s’il s’agit de conditions favorables aux intérêts des prostituéEs ou bien s’il s’agit de conditions favorables au respect de l’ordre public ?
Nous avons tout lieu de craindre que la notion de “protection”, s’applique plutôt en terme de “contrôle”.
Les TravailleusEs du sexe ont bien évoqué la notion de “maisons ouvertes” dans le sens d’organisation autogérées, mais certainement pas tenues par des “tenanciers”, même s’ils prennent moins que des macs. Il existent, d’ailleurs de nombreusEs prostituéEs qui “racolent” sans macs ! Que faut-il prévoir dans ces cas-là ? Qui seraient ces “tenanciers” ?
Nous n’avons pas la réponse.

A aucun moment, les TravailleusEs du sexe n’ont réclamé des droits particuliers, spécifiques.
Elles réclament un accès égal au droit commun et à la citoyenneté. Pas plus. Pas moins.

 Le droit à ne pas être pénalisées dans leur vie privée du simple fait que leur activité soit connue – pouvoir avoir un(s) ou une (des) partenaire(s) , pouvoir accompagner les enfants devenus majeurs sans que ni les uns ni les autres ne risquent de “tomber” pour proxénétisme, que le fait d’exercer cette activité ne devienne pas “une arme” pour remettre en cause la garde des enfants, comme c’est communément le cas à l’heure actuelle, les rendant vulnérables à diverses formes de chantage et de harcèlement.

 Le droit à utiliser des moyens de communication : la prostitution est légale en France, mais tous les moyens de l’exercer sont réprimés par la loi. Ainsi le “racolage” pour la rue et les annonces sur Internet.

 Le droit à l’association (pour celles/ceux qui en feraient le choix) l’aide et le soutien à la prostitution d’autrui rentre dans le cadre des lois réprimant le proxénétisme, les empêchant, selon le bon vouloir des différents Parquets ou des services de police, de s’associer, partager des frais professionnels, s’entraider, les empêchant même de se conduire en voiture régulièrement sur les lieux de travail.

 Le droit à l’accès à des lieux de leur choix dans lesquels les prostituéEs peuvent exercer seules selon leur choix, dans des conditions qui ne portent pas atteintes à leur dignité : le proxénétisme hôtelier réprimant tout bailleur ou hôtelier qui tient à disposition un local dans lequel s’exerce la prostitution peut être poursuivi pour proxénétisme, ce qui est plutôt dissuasif et expose les prostituéEs exerçant dans la rue et dans les voitures à l’exhibition sexuelle par exemple, en plus du délit de racolage .

 Le droit à une retraite décente, une couverture santé

 Le droit à pouvoir faire reconnaître toutes les formes de discriminations liées à l’exercice de leur activité (accès à l’emploi, au logement, ...)

Voilà les principaux points émergeant de longues années de réflexion des TravailleusEs du sexe et que l’effet d’annonce de cette tendance “politique spectacle” n’a pas abordé.
Et pour cause : cela exigerai plus de transparence, un travail de remaniement profond du contexte législatif et social, la capacité de considérer, enfin, les prostituéEs comme des interlocutrices/eurs aviséEs.

Le ministère des Finances, lui, reconnaît la prostitution depuis longtemps, sans ambages, très discrètement, très efficacement lorsque s’est jugé opportun : redressement fiscal, poursuite pour travail dissimulé, etc.

C’est pour cela aussi qu’il semblait plus pertinent en 2008 de demander une commission inter-ministérielle

J’espère que vous saurez m’excuser pour avoir pris autant d’espace. Il m’a semblé nécessaire de replacer cette question (absurde) de la réouverture des maisons closes dans son contexte global. Je n’ai pas su faire cela en raccourcis digestes. Si nos prévisions se révèlent être justes, il est probable que le prochain “débat” qui nous attend “au coin de la rue” pourrait porter sur ce néo-terme de “prostitueurs” et de leur pénalisation. Et nous serons alors repartis pour plusieurs lignes (si vous ne m’avez pas bannie avant !)

Isabelle Schweiger
Co-directrice association Grisélidis
Porte-parole Midi- Pyrénées Syndicat le STRASS
Prostituée( que nous le soyons ou que nous l’ayons été l’étiquette se porte au présent, alors je note dans le cas où un jour ça ferait “bien” de le préciser)