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Royaume-Uni : la grande peur de la lutte des classes

Publie le mercredi 11 février 2009 par Open-Publishing
4 commentaires

de Philippe Marlière, Maître de conférences à Londres

La BBC est sans aucun doute la meilleure télévision au monde. Ses programmes sont dans l’ensemble de qualité et sa ligne éditoriale est plutôt pluraliste et centriste. C’est un fait rarissime dans un monde de médias bêtifiants et de droite. Cependant, trois sujets échappent à ce modus operandi.

Sur les ondes de la BBC, il n’est guère permis de critiquer la famille royale, la politique étrangère de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis ou la marche capitaliste du monde. Des événements récents ont concerné le troisième de ces interdits majeurs.

Début février, des "grèves sauvages" (Wildcat strikes) ont éclaté dans les raffineries Total et dans des centrales électriques à travers le pays. Les travailleurs britanniques protestaient contre le recours à une main-d’œuvre italienne et portugaise (employée à des salaires inférieurs aux normes locales), qui entraînait leur mise au chômage, puisque les emplois étaient réservés aux travailleurs étrangers.

Gordon Brown et Peter Mandelson sont montés au créneau pour dénoncer la nature "xénophobe" de ces grèves.

Une interview tronquée

La BBC, toujours servile en pareil cas, leur a emboîté le pas. Une interview de gréviste diffusée sur la BBC1 a été tronquée. On pouvait succinctement entendre un gréviste affirmer :

"On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens."

Le même reportage a été retransmis en intégralité sur la BBC2. Cette fois-ci, on pouvait entendre :

"On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens ; on est complètement séparés d’eux, ils viennent avec leurs propres compagnies."

Les éditeurs du programme de la BBC ont tronqué une réponse de gréviste pour en altérer radicalement le sens. Dans le premier cas, la réponse apparaît motivée par le rejet de l’étranger et la fermeture à l’immigration.

Dans la vraie version, il n’en est rien : le gréviste rapporte des faits, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de côtoyer les travailleurs étrangers, car ils arrivent avec l’entreprise qui les emploie et qu’on les tient volontairement à l’écart de la main-d’œuvre locale.

La BBC, confrontée à une question politiquement sensible, est devenue le porte-parole d’un gouvernement hostile aux droits des travailleurs. Car ce que craint Gordon Brown, c’est le renouveau de la combativité salariale et syndicale.

Tony Blair et Gordon Brown n’ont en effet pas défait la législation du travail thatchérienne. Dans le monde occidental, la Grande-Bretagne est le pays qui restreint toujours le plus sévèrement le droit de grève.

Derek Simpson, le coleader du syndicat Unite, a dit les choses clairement :

"Ces grèves n’ont rien à voir avec le racisme ou l’immigration. C’est une question de classe."

Il est tentant de préciser le propos : ces grèves britanniques sont une question de lutte des classes. Karl Marx considérait que la lutte des classes s’organisait autour d’une classe capitaliste qui détenait le capital, dirigeait et gérait la production et, enfin, s’appropriait la plus-value correspondant à l’exploitation du labeur des travailleurs.

Depuis l’époque victorienne, rien de nouveau sous le soleil de l’exploitation capitaliste ! En décembre 2007, la Cour européenne de justice (CEJ) avait abondé dans ce sens avec deux arrêts qui avaient fait beaucoup de bruit.

L’arrêt Laval avait interdit aux syndicats d’agir contre les entreprises qui refusent d’appliquer à leurs salariés détachés dans un autre pays communautaire, les conventions collectives applicables dans ce pays. L’arrêt Viking avait estimé que le droit de recourir à des pavillons de complaisance procède de la liberté d’établissement garantie par le droit européen. La CEJ en avait conclu que la lutte des syndicats contre ces pavillons est de nature à porter atteinte à cette liberté fondamentale.

De la xénophobie imaginaire

"Les emplois britanniques aux travailleurs britanniques" : c’est un vieux slogan du British National Party (BNP), une formation d’extrême droite. Il a récemment été repris par Gordon Brown, le très néolibéral Premier ministre, jamais à court de promesses démagogiques.

Ces mots empoisonnés ont été lancés au visage du démagogue par les grévistes qui ont demandé avec ironie qu’il tienne sa promesse ! La xénophobie dénoncée par le New Labour et la BBC était imaginaire. Les grévistes n’ont exercé aucun chantage sur les travailleurs italiens et portugais non-syndiqués, sous-contractés, sous-payés, ni n’ont exigé leur rapatriement.

Les cibles de leurs critiques ont été les employeurs et leur course au dumping social, ainsi que le gouvernement qui les soutient dans cette entreprise. Les militants du BNP qui avaient tenté d’infiltrer les grèves à la raffinerie de Lindsey dans le Lincolnshire ont été éconduits et on a même vu une affiche portant l’inscription suivante : "Travailleurs dans le monde, unissez-vous !"

Dans la centrale électrique de Plymouth, les grévistes ont revendiqué les mêmes droits pour tous les travailleurs –britanniques et étrangers– dénoncé l’exploitation d’une main-d’œuvre étrangère, et exigé que les travailleurs britanniques ne soient pas écartés du marché du travail.

Gordon Brown, dont la politique économique a amené le pays au bord de la faillite, a répété le mot d’une interview à une autre : "Protectionnisme !" Une majorité de Britanniques considèrera que c’est la parade désespérée d’un gouvernement incapable de raisonner en dehors des mots d’ordre des années 80 et 90 : "Dérégulation ! Libre entreprise ! Flexibilité !"

Le New Labour agonise, mais ces travailleurs en lutte ont décidé de prendre leur destin en main. Bien leur en a pris. A Lindsey, les grévistes se sont vus accorder le double du nombre d’emplois que Total avait initialement offert ; ceci sans qu’aucun travailleur italien ne soit renvoyé.

Messages

  • ces grèves qu’"on" essaie de présenter comme xénopnobes ont montré que l’appel à de la "main d’oeuvre étrangère "c’était pour avoir une main d’oeuvre bon marché sans avoir besoin de délocaliser et pour faire baisser les salaires en général !

    Le danger est ,malheureusement ,comme dans les années 30 à Marseille (ou un peu avant autour d’Aigues Mortes)de monter les salarié(e)s les un(e)s contre les autres et faire oublier la lutte des classes au profit de la xénophobie ... c’est ce qui va se passer si les analyses sérieuses ne se font pas...

    A rapprocher les reproches qu’on nous faisait et qu’on fait encore (aux femmes ) de "prendre" le travail des hommes"....

    Entendre "certain(e)s" se gausser de Marx avec "ses"classes sociales montre assez que c’est toujours d’actualité et les mêmes font (tel(le)s mr Jourdain) de la lutte de classe sans vergogne....

    • je crois que c’est encore un brin plus tordu que ca.

      En fait, il ne semble pas que les salariés étrangers étaient moins payés que les anglais, mais les syndicats ont fait monter la mayonnaise pour avoir l’air de défendre les intérets de leur membres. Ils doivent en effet faire fasse à une désafection massive en ce moment. Et du coup ils(les leaders syndicaux) se retrouvent sur la même ligne que le BNP (FN anglais).

      article en anglais :

      Britain : Refinery dispute becomes focus of shift to protectionism within Labour
      By Julie Hyland
      5 February 2009

      A potential deal to end the series of strikes by mechanical engineering contractors over the use of non-British labour at power stations and refineries is to be moved by trade unions Unite and the GMB at a mass meeting at the Lindsey refinery at the centre of the dispute. It reportedly involves setting aside 100 jobs to be filled by UK workers by the Italian contractor, IREM.

      Whatever the immediate outcome at Lindsey, the dispute has become a focus for a shift to protectionism by the trade union bureaucracy that is also finding expression within the Labour government.

      On Tuesday, John Mann MP tabled an Early Day motion in the House of Commons "deploring" the use of Italian workers at Lindsey. Urging parliament to "congratulate the trade unions" for the strikes, the motion calls on the government to ensure that the capital building programmes it has brought forward in an attempt to halt the recession should be "built by companies employing primarily British labour."

      The motion, like the arguments of the trade unions involved in the dispute, is couched in terms of ending exploitation and upholding workers’ rights.

      Mann has never displayed any such concerns previously. Parliamentary private secretary to Minister for London Tessa Jowell, and a former member of the Treasury Select Committee, Mann’s parliamentary record shows him to be a stalwart supporter of Labour’s big business agenda, voting enthusiastically for student fees, identity cards and foundation hospitals (backdoor privatisation of the health service). He also voted "very strongly" for the Iraq war and "very strongly against" an investigation into it.

      Mann’s apparent conversion into an ally of the working man is in reality a response to the impact of the global financial crisis on British capitalism, especially as regards the development of the class struggle.

      The free-market economy championed by Labour and its policies of privatisation and deregulation have been revealed as a giant Ponzi scheme, designed solely for the benefit of the super-rich and major corporations at the expense of working people.

      Having dismantled large swathes of industry in favour of the City of London and the development of a cheap labour service sector workforce—sustained through massive indebtedness—the bourgeoisie rightly fears the economic and political consequences of global recession.

      From insisting that state involvement in the economy was unnecessary and wasteful, a section of the ruling elite now regards it as crucial. As the major conglomerates, banks and finance houses plead poverty, public monies are greatly in demand. And faced with the growth of protectionism in the United States and elsewhere, a layer within the labour bureaucracy are turning to economic nationalism as a means of trying to salvage the long-term interests of British capital against its major rivals.

      This is being led by the trade unions, which explains Mann’s own role. Prior to entering parliament, he was a full-time functionary for the Trades Union Congress and head of Research and Education for the engineering union, the AEEU, now part of the Unite trade union that is leading the "British jobs for British workers" protests.

      He is also regarded as an ally of Phil Woolas, Labour’s immigration minister, who is another former full-time trade union functionary, this time for the GMB (the other union central to the current dispute). Woolas spelt out how he saw dealing with the economic crisis in an interview late last year : "In times of economic difficulties, racial stereotyping becomes stronger, but also if you’ve got skills shortages you should, as a government, attempt to fill those skills shortages with your indigenous population," he said.

      Former Labour minister Frank Field has demanded the government introduce new legislation compelling corporations to employ Britons first, writing that "the Government must move to declare illegal any contract awarded to foreign companies operating in this country that do not first offer all their jobs to British workers."

      He too claims that such a measure is necessary to combat racism and protect British workers—a spurious claim, especially given his own political record. A former member of the Conservative Party, after joining Labour in 1979 he was to play a key role in the witch-hunt against the left that was to prove so crucial in refashioning Labour as the party of the financial oligarchy.

      Field’s anti-immigrant stance is closely bound up with demands for a tightening up of welfare entitlement, which the Guardian said he blamed for creating "a benefit-dependent, work-shy sub-class." He is currently part of a cross-party committee anti-immigration group, demanding a cap on foreign workers.

      Jon Cruddas is probably the most high-ranking Labour MP to have backed the "British jobs for British workers" strikes.

      Cruddas received significant backing from the trade unions, including Amicus, in the contest for deputy leader of the Labour Party following John Prescott’s departure and was endorsed by Labour’s so-called "soft left" Tribune grouping. In his earlier position as deputy political secretary to then Prime Minister Tony Blair, he was regarded as a crucial link in maintaining relations between the government and the trade unions, i.e., in ensuring there was no potential upset to Labour’s right-wing agenda.

      Once again, on every major issue, from the Iraq war to foundation hospitals, Cruddas has backed the government. But his tenure as an MP has confronted him with the consequences of these policies in the collapse of support for Labour amongst broad layers of working people. He has complained of a "significant movement away" from the party amongst public sector workers, black and ethnic minority voters, "urban intellectuals" and an "especially huge shift" among "working-class voters, especially manual workers."

      The conclusion is that the party’s re-invigoration requires it to reconnect with the "white working class"—and, more broadly, that it is necessary to reaffirm the historic connection between Labour and the trade unions if capitalism is to weather the economic storm.

      Writing in the Guardian January 31, Cruddas said that the "recession is exposing the true nature of the British economy. We are a country that has been ransacked by the free flow of capital. The strikes are not about xenophobia, they’re about large corporations and free markets that are out of control."

      "Britain has lost control of key industries and their labour procurement procedures," he continued. "Britain is a country that no longer owns the productive processes that create its wealth. Crucial economic sectors have been handed over to unaccountable foreign ownership" and "The government has abandoned workers to exploitation."

      "The left," he asserted, "must offer a real and viable alternative."

      Cruddas makes no specific proposals flowing from his complaints against "unaccountable foreign ownership," referring vaguely to redistributing wealth, greater regulation of the labour market and the need for "strong trade unions." A more explicit enunciation of the outlook now developing within a section of the Labour and trade union bureaucracy and its ideologues, however, was given by the Guardian’s economic commentator Larry Elliot on February 3.

      Elliot, who is to chair a series of meetings organised by the newspaper on "capitalism in crisis," asked, "Is free trade the best way to beat recession ?"

      "It is universally accepted in the world of economics that the worst thing that could befall the global economy in its current parlous state would be the sort of tit-for-tat trade war that marked the 1930s," he wrote. "The historical evidence is conclusive : free trade is good, protectionism is bad."

      Questioning that "evidence," however, Elliot raised, "The real lesson of the 1930s is that if you think protectionism is in the offing, it makes sense to raise your barriers first."

  • merci de confirmer cet article que peu ont lu :

    Propagande de classe sur le racisme ouvrier

    La classe ouvrière britannique n’est pas plus raciste que l’homme en costume qui parle dans ton poste de télévision.....

    jeudi 5 février 2009, par nico

    http://melanine.org/article.php3?id_article=180

    au dela de cet episode, l’usage generalisé neo liberal de la sous traitance etrangere prefigure la tragedie a venir :

    C’est bien au Royaume Uni qu’un nouveau Tchernobyl est en route...

  • solution de facilité que de s’en prendre aux "etrangers" pour tenter de régler une crise... tellement facile car l’étranger est facilement identifiable et donc à conspuer...

    solution de facilité aussi pour les "medias libres" de focaliser le peu de libre-pensée des lecteurs et telespectateurs pour le manipuler quant à la cause de leur malheur sociale.

    ça me dégoute