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SANDINO, 70 ANS APRÈS SON ASSASSINAT

Publie le samedi 28 février 2004 par Open-Publishing


par José Steinsleger

Devant la Fondation Woodrow Wilson (Washington), le président Franklin D. Roosevelt
déclara en 1933 : « … si j’étais engagé dans une campagne politique, en qualité de
citoyen d’une autre république d’Amérique, peut-être me sentirais-je fortement
tenté de jouer avec les peurs des compatriotes de cette république, et j’accuserais
les Etats-Unis d’Amérique du nord d’avoir une sorte de désir impérialiste de
s’agrandir égoïstement… ».

Transmis par radio aux délégués de la Conférence panaméricaine de Montevideo,
la « politique du bon voisinage » séduisit les gouvernements latino-américains.
Glosant sur les paroles du président Wilson (1913), Roosevelt ajouta : « La compréhension
doit constituer le sol sur lequel devront pousser tous les fruits de l’amitié ».

Quelques jours plus tard, l’aviateur états-unien Earle V. Kingsley parla à Managua
avec l’ambassadeur Arthur Vliss Lane des traités qu’il avait conclu avec Anastasio
Somoza, chef de la Garde nationale [1], afin d’affréter « un avion pour larguer
des bombes sur les Sandinistes ». Le diplomate retint le volontaire et l’avertit
que depuis le premier janvier de cette année-là, plus aucun soldat étranger ne
stationnait dans le pays.

Pendant ce temps, le général Augusto César Sandino ne savait que faire de la
paix. Après avoir livré six ans d’une guerre victorieuse contre l’armée la plus
puissante du monde (1927-32), le héros était parvenu à un accord avec le versatile
président Juan B. Sacasa une fois tenu sa parole de désarmer la « petite armée
folle » [2].

Oui. Que faire de la paix ? Depuis le Mexique, le dirigeant Vicente Lombardo
Toledano fit pression sur lui : « … que le général Sandino définisse mieux son
attitude après la paix, parce que le monde américain hésite, et cela ne convient
pas à l’intérêt général ni à Sandino en particulier. » Cependant, la Garde nationale
(organisée par les marines durant l’occupation) continuait d’assassiner, pourchassant,
fusillant les Sandinistes et brûlant leurs maisons.

Les relations de Sandino avec la gauche mexicaine étaient-elles tortueuses ?
En juin 1930, le bruit courant que le chef du « Parti libéral en armes » avait
reçu l’appui du gouvernement de Plutarco E. Calles, le Parti communiste mexicain
(PCM) publia dans El Machete un brûlot qui le déclarait « traître à la cause
de l’internationalisme prolétarien ».

Dans un communiqué du 29 mai, le PCM déclara : « Le guérillero nicaraguayen (Sandino),
en s’alliant au gouvernement contre-révolutionnaire du Mexique, est devenu l’instrument
de l’impérialisme yankee ».

Ce qu’il y a de curieux dans cette affaire, c’est que l’intervention de 1927
(des Etats-Unis) obéissait justement à l’aide que le Mexique apportait aux libéraux
nicaraguayens en lutte contre Adolfo Díaz [3], la marionnette conservatrice des
Etats-Unis, qui avait déclaré que l’intervention se justifiait parce que « … Le
Nicaragua est un pays faible et pauvre qui ne peut résister aux envahisseurs
et aux agents du bolchévisme mexicain ».

Conscient des risques qu’il courait, Sandino décida de rencontrer le président
Sacasa. Le 20 février 1934, il quitta son quartier général et partit vers Managua
accompagné de son père, de l’écrivain Sofonías Salvatierra, et des généraux Estrada
et Umanzor. Les Sandinistes dînèrent avec le président et, à neuf heures passées,
ils quittèrent la résidence.

En arrivant aux guérites du Champ de Mars, qui se trouve au pied de la demeure
présidentielle, la voiture de Sandino et sa suite furent arrêtées par un officier
de la Garde et conduites à la prison du Hormiguero. Le président Sacasa, mis
au courant par sa fille de ce qui se passait, parla au téléphone avec l’ambassadeur
des Etats-Unis, lequel promit de faire son possible « pour éviter le pire ».

Du Hormiguero, Sandino, Estrada et Umanzor furent transférés en camion dans un
endroit des environs de la ville appelé La Calavera. Des rafales de feux croisés
tuèrent le « général des hommes libres » (Sandino) et les siens. Quelques minutes
plus tard, dans un autre endroit de Managua, son grand frère Sócrates Sandino était
assassiné.

Quelques jours plus tard, Somoza ravagea le village sandiniste de Wiwilí. Les
corbeaux, les chiens et les porcs des environs s’offrirent un festin de chair
humaine. Le gouvernement annonça une amnistie pour les Sandinistes, à condition
qu’ils se présentent dans la ville de Jinotepe « pour leurs papiers ». Ceux qui
s’y fièrent tombèrent assassinés.

Le président Sacasa n’éleva pas la voix contre la tuerie. En 1936, Somoza le
chassa à coups de pieds du Palais de Tiscapa et le nouveau « paladin de la démocratie » se
fit rédiger un décret qui lui attribua simultanément la Croix de la valeur, la
Médaille de la distinction et la Médaille présidentielle du mérite.

Le 21 septembre 1936, après l’exécution de Somoza par le poète Rigoberto López
Pérez, le président Dwight Eisenhower déclara : « La nation et moi, personnellement,
déplorons la mort du président Somoza, survenue à la suite d’une lâche agression
commise par un assassin ». Il convient de signaler que le discours de Roosevelt
annonçant l’ère du « bon voisinage » fut prononcé un 28 décembre, jour des Saints
Innocents.

NOTES :

[1] Durant leur intervention au Nicaragua entre 1927 et 1932, les Etats-Unis
ont créé une garde nationale dont le jefe director sera un marine jusqu’en 1932.
Le flambeau fut passé ensuite au général Anastasio « Tacho » Somoza. (Rédaction
RISAL)
[2] Nom donné à l’armée de Sandino. (Rédaction RISAL)
[3] Adolfo Díaz, président de la République nicaraguayenne entre 1913 et 1916.

risal.collectifs.net

28.02.2004
Collectif Bellaciao