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Sabiha AHMINE : Les droits des Roms entre mémoire et « errance »
Publie le mardi 9 novembre 2010 par Open-Publishing
« Si le présent que nous vivons n’interroge pas l’oubli, s’il n’est pas effervescent d’amour, de respect, de dignité, et d’une éthique vivante, notre future peut se retrouver envahi de passé », apostrophe Patrick Chamoiseau qui était avec nous hier lors d’une mobilisation citoyenne, festive et de débat au TNP de Villeurbanne, pour la défense des droits des Roms et des gens du voyage : « Le droit à l’errance ». Cette initiative courageuse, organisée par « La Maison des Passage » autour de chants et musiques tsiganes est surtout un moment de mémoire, de témoignages d’acteurs associatifs et de chercheurs engagés, intervient quelques jours seulement après l’évacuation forcée du camp de Roms de la rue Paul Bert, dans le IIIe arrondissement de Lyon ainsi que d’autres.
Une évacuation honteuse de plus, car au lieu d’appliquer les décision de la Cour Administrative d’Appel qui, dans son jugement du 7 septembre bien avant l’expulsion, a demandé aux parties concernées (Etat, Conseil Général, Grand Lyon, ville de Lyon) de trouver des lieux d’accueil correct à ses familles et enfants, qui vivaient là dans des conditions « indignes », aucune solution globale, au moins d’urgence, n’a été proposée. Ces mêmes familles, avec des enfants en très bas âge, sont jetées dehors les nuits qui ont suivi et tout le week-end du 6 et 7 novembre. Pour plusieurs associations, il y a non assistance à personnes en danger, Il est inacceptable vis-à-vis de tout être humain de les jeter à la rue, (dont malades, femmes enceintes et enfants)… Nous ne pouvons, dans ces conditions, considérer que les pouvoirs publics- en l’occurrence l’Etat-« agissent dans le strict respect de la légalité républicaine et avec un souci d’humanité »
Cette pour riposter contre cette stratégie du « bouc émissaire », lancée cet été contre les roms et autres gens des voyages, citoyens européens, par le gouvernement, explique les organisateurs. Ainsi, « dès la création d’un ministère de l’identité nationale et de l’immigration… jusqu’au bannissement collectif des Roms, se dessine en France un effondrement éthique d’une ampleur sidérante ». C’est pourquoi j’avais proposé, de mon plan de mandat en 2001, lorsque j’étais adjointe à la ville de Lyon, de « donner une éthique à la citoyenneté lyonnaise ». En effet, comme le montre notre exposition « l’Histoire du Peuple Tsigane, entre le silence et l’oubli », que nous avons organisé, pas son difficultés, au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon CHRD en 2007, la défense de notre mémoire commune contre le communautarisme et ses allies fascistes, passe aussi par la valorisation et la reconnaissance de l’autre. Voici des extraits :
« Au nom de la ville de Lyon, je suis très heureuse de vous accueillir ce soir au Centre D’histoire de la Résistance et de la Déportation, pour le lancement officiel de cette exposition originale qui aborde une des facettes les moins connues de notre mémoire commune : l’Histoire du Peuple Tsigane, entre le silence et l’oubli.
Cette initiative courageuse que nous avons soutenu ensemble avec nos partenaires, dès le départ, nous invite à découvrir une des périodes sombres de notre histoire. C’est celle du sort tragique et du traitement inhumain qui a été réservé par le gouvernement de Vichy aux Tsiganes présents sur le sol français. En particulier, dès les prémices de la Seconde Guerre mondiale.
En effet, si dès le début du XXe siècle, la méfiance vis-à-vis des minorités, juives, tsiganes et autres étrangers, grandissait en Europe, cette peur de l’autre a atteint son apogée avec la Seconde Guerre Mondiale. Le drame est que ce rejet de l’autre, ce racisme a été entretenu par les autorités de l’époque et par une partie de la population française. Sous couvert d’une approche stigmatisante, voir biologique et génitique, l’objectif était de « normaliser » le mode de vie de ces non-sédentaires et de ces étrangers....
Résultat : entre 1940 et 1945, plus de 6 000 Tsiganes sont internés dans des camps gérés par l’administration française. Leur assignation à résidence, puis leur internement, sont grandement facilités par une politique de discrimination dominante dans les thèses Nazis et leurs serviteurs. « Préservés » collectivement des camps de la mort, à la différence de centaines de milliers d’autres vivant en Allemagne et dans les pays occupés, les Tsiganes français connaissent un sort aujourd’hui encore largement occulté.
C’est pourquoi la ville de Lyon est fière de ce formidable travail de mémoire qui restitue précieusement et fidèlement les conditions d’internement des Tsiganes à Saliers de 1942 à 1944, à une dizaine de kilomètres d’Arles, et ailleurs : à Poitiers ou à et Jargeau dans le Loiret. Je tiens à remercier en particulier le formidable travail "retrospectif" du photographe et historien Mathieu Pernot qui, sans lui, cette exposition n’aurait pas lieu.
En croisant documents récents, témoignages de survivants et documents d’archives comme des photographies anthropométriques et des courriers de l’administration, c’est tout un récit des années de souffrance et de captivité avec les témoignages, visuels ou sonores, des rescapés des camps, qui ont étaient recueillis Mr Pernot. C’est ce qui nous aide à lever ainsi le voile sur l’un des volets de l’histoire des camps d’internement français et livre des parcours de vie, contraintes et bafouées, qu’incarnent si parfaitement les carnets anthropométriques d’identité nomade, toujours en vigueur dans les années 1960.
C’est pourquoi cette œuvre prend aujourd’hui, au CHRD, en cette maison de la citoyenneté, la forme d’un projet libérateur qui vise, non seulement, à nous documenter sur le mode de vie et sur une culture passés sous silence. Mais aussi à construire une mémoire commune partagée en toute humanité. En effet, cette histoire et cette culture tsiganes, qui demeurent souvent mal connues du grand public, nous apprennent qu’au début de l’humanité, de l’Europe et du monde, c’était le passage, le voyage, la mobilité… C’est par l’ouverture, par l’échange et le métissage que se sont développer les grandes civilisations. Lyon, capitale de l’humanisme et de la résistance, a toujours était un carrefour d’échange et doit beaucoup aux différentes vagues d’immigration qui ont façonné sont image actuelle : moderne et authentique à la fois. Cette exposition nous aide surtout à consolider notre démarche commune pour faire de l’ouverture de Lyon sur le monde, à la fois un gisement de richesse, mais aussi un rempart contre la xénophobie, contre le repli et contre le mépris. Tout en donnant une dimension éthique à la citoyenneté lyonnaise, nous voulons ainsi réussir le bien vivre ensemble, la concorde et le dialogue dans le respect des uns et des autres et dans le respect des apport de chacun.
C’est dans cette démarche même, c’est dans ce sens du respect que, sous les recommandations du Maire de Lyon, nous avons érigé le Conseil des Résidents Etrangers CREL comme un outils de participation mais aussi comme un espace d’hospitalité dans l’accueil, un moyen de reconnaissance et un rempart contre le repli.
Nous agissant ainsi dans le respect, et dans la poursuite du combat de nos anciens contre la barbarie nazie et pour la défense des valeurs de la république : de liberté, d’égalité et de fraternité. Car avant toute chose, avant toute considération particulière ou clanique, la République dans sa diversité est notre premier fondement. La République est notre identité commune. A nous de partager sa devise et transmettre fidèlement ses valeurs et ceux de la résistance à notre jeunesse. »
Il ne faut jamais oublier que parler de la mémoire tzigane, c’est parler surtout des droits des Roms à circuler : « droit à l’errance ». Ainsi quel droit a-t-on aujourd’hui à errer, à la circulation et à la mobilité des citoyens du monde, Qu’elle droit à vagabonder en toute liberté, dans une société de surveillance normalisée par les lois du marché et du tout sécuritaire ?
L’exposition de Bruno Amsellem, qui est présentée actuellement au CHRD, retraçant les allers-retours de six familles Roms entre la France et la Roumanie, et que je vous invite à découvrir, peut nous éclairer sur une partie des conditions de vie de la population Roms en pleine agglomération lyonnaise et également en Roumanie.
Le passé comme le présent de l’Europe est émaillé des ces atteintes aux droits des Roms. C’est pourquoi, au delà de l’urgente l’ouverture de sites d’accueil dignes pour les personnes expulsées du bidonville Paul Bert et d’autres squats ces jours derniers pour celles menacées de l’être…, comme d’ailleurs pour toutes les personnes à la rue dans cette période, il faut réclamer le droits à l’errance comme un possible, comme une liberté, comme une chance et comme un droit imprescriptible.