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Salut Charles Haroche

Publie le jeudi 26 février 2004 par Open-Publishing

Journaliste, critique, écrivain, il est mort hier à l’âge de quatre-vingt-six ans.

Il fut sans doute le premier journaliste marocain admis dans la presse d’expression française. Charles Haroche, qui vient de mourir à l’âge de quatre-vingt-six ans, fils d’un artisan tailleur de Safi, avait fait de son formidable appétit de connaissance une arme de libération. À dix-huit ans, il dévorait la poésie - Baudelaire, Verlaine, Villon, les symbolistes, Jean Rictus... - et se frottait à Kant, Marx, Mallebranche, Descartes et Bergson. Au lycée Lyautey de Casablanca où il préparait le bac philo, il sortait avec quelques condisciples son premier journal, l’Étincelle, afin, disait-il, " d’entamer une sorte de contre enseignement sous l’influence directe de notre livre de chevet À la lumière du marxisme, de René Maublanc ".

Chez un bouquiniste, il récupérait aussi bien l’Humanité que l’Action française, Candide ou Vendredi, lisant tout cela avec " une grande avidité, une curiosité disparate et confuse ". À dix-neuf ans, il jouait certes au football avec un talent de professionnel mais il créait aussi, les Amis de la culture, résonance du Front populaire de l’autre côté de la Méditerranée. Lorsque la guerre éclata, que les autorités coloniales refusèrent son engagement, c’est vers la presse et les communistes marocains que se tourna le jeune homme qui publiait alors de premiers poèmes. Il y croisait le juge Bellon, père de l’actrice Lolleh Bellon, maître Sultan, Ali Yata... et devint l’un des animateurs du Parti communiste marocain.

Après guerre, il est chef de rubrique à Front national dirigé par André Carrel, puis croise une première fois Aragon à Ce soir en 1947. Ensuite, sa vie de journaliste se déroulera pour trente-trois ans à France nouvelle et à l’Humanité durant les dix dernières années, critique littéraire amateur d’Yves Bonnefoy et de Borgès, d’Alain Bosquet ou de Guillevic. Il réalise des entretiens prestigieux, avec Jacques Berque sur le Coran, Jean Hamburger, Bernard Clavel, Evgueni Evtouchenko, Andreï Voznessenski Pierre Seghers, Jean Favier, Maurice Roche, Robert Sabatier, Tchinguiz Aïtmatov, Georges Simenon, Jacques Laurent, Jean Maitron, Jean Dausset, Emmanuel Roblès, Claude Simon... Une belle anthologie des talents.

À aucun moment, ni les impératifs du journaliste et l’activité du militant communiste, n’arrêtèrent sa soif de recherche, critique érudit de grands textes littéraires, historien pointilleux et incessant promoteur de la littérature arabe. Rien d’étonnant à ce qu’Aragon se soit tourné vers lui, puisant à cette source pour rédiger le Fou d’Elsa. Je parlais de fidélité. Elle fut tout entière maintenue à Aragon, même au temps d’une brouille qu’une dédicace effaça : " À Charles Haroche, peut-être mon seul ami, et que je ne vois plus. " Et, à la mort de l’auteur de la Semaine sainte, il célébra contre la férocité de certains critiques, " une ouvre ruisselante d’éclats ", " l’incendie de la jeunesse surréaliste ", comme " l’éblouissante nouvelle naissance " de la vieillesse d’Aragon : " Quelle est la place du feu dans le désordre des brandons " ? Le style donc. " Belle et fascinante, la langue française est objet d’amour et de passion.

Elle est un espace d’appropriation symbolique de savoirs et de créations admirables ", proclamait Charles Haroche, jusqu’au bout attaché à la voracité de culture du jeune Marocain qui déjouait les interdits du colonialisme. Ces dernières semaines, c’est sur l’histoire - la " grande " - de cette libération qu’il écrivait encore, célébrant sous la plume l’insoumission toujours de l’adolescent arabe, sa dévotion pour la langue française, leur mariage dans une belle figure d’intellectuel communiste. Qui dans ses derniers jours se préoccupait du sort de ses livres... Et dont les personnels et la direction de l’Humanité portent aujourd’hui le deuil.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-02-24/2004-02-24-388713