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Sauver l’école publique et réparer l’ascenseur social

Publie le jeudi 4 janvier 2007 par Open-Publishing
4 commentaires

De manière exceptionnelle, Boboration a permis à un non-pédadogue d’Etat de s’exprimer sur l’Ecole :

Soutenus par l’OCDE et le libéralisme ambiant, les « modernistes » de l’Education nationale écartent les élèves défavorisés du centre du système.
Sauver l’école publique et réparer l’ascenseur social
Par Maurice T. MASCHINO
QUOTIDIEN : mercredi 3 janvier 2007
Maurice T. Maschino ancien professeur de philosophie, journaliste et écrivain. Auteur de Parents contre profs, Fayard, 2002.

Vous dénoncez la politique de destruction de l’école, à l’oeuvre depuis des décennies ? Nostalgie ! Vous constatez que de très nombreux élèves savent à peine lire, ignorent l’orthographe et manquent totalement d’esprit critique ? Nostalgie ! Vous êtes scandalisé que les correcteurs du brevet et du bac reçoivent des consignes pour relever les notes de copies archinulles ? Nostalgie, vous dis-je !
Nostalgie, irrationalité, conservatisme : tels les médecins de Molière, les Diafoirus de l’Education nationale n’ont que ces mots-là à la bouche. Loin de réfuter, preuves à l’appui, les arguments de ceux qui constatent la mort de l’école, ils se contentent d’invectives et, retour à l’école de grand-papa ou à la grammaire de grand-mère, taxent de passéisme ceux qui défendent l’école de la République. C’est un peu court. Et rappelle la myopie de ceux qui, quand le doigt montre la lune, regardent le doigt.
Trop souvent, lorsqu’on s’interroge sur le présent ou le devenir de l’école, on raisonne comme si l’école était une entité, une sorte d’institution en soi, qui échapperait à toutes les contingences du moment. Alors qu’elle dépend étroitement du contexte socio-politique dans lequel elle s’inscrit et qui en fixe les modalités et les fonctions, qu’elle a toujours été au service d’une politique, d’une idéologie et des exigences des maîtres du moment, que ses fins, en un mot, ont toujours été extrascolaires : non pas la distribution au plus grand nombre du plus grand savoir, mais la répartition inégale du savoir entre les groupes sociaux et la place qu’ils occupent dans le processus de production.
Ces fins sont aujourd’hui très claires : au moment où le libéralisme gagne tous les secteurs de la vie socio-économique, où la privatisation des services, jusqu’à présent à la charge de l’Etat, s’accélère, l’école publique change complètement de nature. N’accueillant plus que les enfants des catégories sociales les plus « défavorisées » ou en déclin, comme les classes moyennes, elle n’a plus pour mission de transmettre des connaissances ­ des enseignants ont été sanctionnés pour continuer à le faire ­ mais de gérer au mieux une population dont il ne s’agit plus d’élever le niveau.
Si « l’ascenseur social » est en panne, comme on le répète, c’est pour la raison très simple que les classes dirigeantes n’ont plus besoin, comme à l’époque de Jules Ferry et de l’essor industriel, du savoir et du savoir-faire de la majorité des citoyens : que ceux d’en bas restent donc au sous-sol ou dans les caves de la société.
Et qu’ils y restent tranquilles. Mieux : qu’ils s’« épanouissent » dans cette école devenue un « lieu de vie », où l’on ne s’ennuie plus à apprendre la grammaire, à faire des dictées, des rédactions et des dissertations, à lire des textes auxquels on ne comprend rien...
Au diable le bourrage de crâne, que les verbes et les sujets s’accordent comme bon leur semble et qu’en attendant de trouver une place d’apprenti, dès 14 ans, les « apprenants » s’amusent à faire des crêpes (école élémentaire), s’initient aux jeux de la Bourse (« les Masters de l’économie », installés sur Internet dans les établissements par le CIC), rédigent un journal sportif, mettent en scène un JT ou, en seconde, racontent à la façon d’un journaliste people la rencontre de la princesse de Clèves et du comte de Nemours...
Facéties de maîtres « super-modernistes » ? Nullement : mise en pratique des directives de l’OCDE, que la France a contresignées : à l’avenir, estime l’un des rapports de cet organisme, « les pouvoirs publics n’auront plus qu’à assurer l’accès à l’apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l’exclusion de la société en général s’accentuera à mesure que d’autres vont contribuer à progresser ».
Et un fonctionnaire de l’OCDE, Christian Morrisson, de suggérer aux gouvernements européens une réduction drastique des crédits de fonctionnement de l’école publique, ainsi que l’instauration de partenariats avec des entreprises qui, en échange d’investissements financiers, ont déjà pris pied, très largement, dans l’école. Coca-Cola, la firme Morgan ­ dont il était possible, du temps de Jack Lang, de commander un tee-shirt par un simple clic sur le site du ministère ­, la SNCF, participent déjà largement au financement et à la mise en place des nouvelles finalités de l’école, chargée non plus de former des élèves, mais d’éveiller en chaque élève un consommateur. Comme le prescrit un membre de l’Institut de l’entreprise, Jean-Pierre Boisivon, on ne doit pas dire « l’élève est au centre du système éducatif », mais « le client est au centre du marché ».
Ce que Claude Allègre avait fort bien compris ­ et encouragé ­ en déclarant qu’au lycée il fallait apprendre à « rédiger un CV ou une lettre de motivation ». Ce que préconisait également l’ex-grand-prêtre du ministère de l’Ignorance nationale, Philippe Meirieu, pour qui les enfants des milieux défavorisés devaient « apprendre à lire dans les modes d’emploi d’appareils électroménagers et non dans les textes littéraires » ­ réservés, cela va sans dire, à l’« élite ».
Une école publique désertée par ceux qui demain dirigeront le pays, une école réservée, comme les bantoustans l’étaient aux Noirs d’Afrique du Sud, aux enfants des familles, de plus en plus nombreuses, que la société libérale rejette dans ses marges, une école qui les « occupe » en attendant qu’ils s’inscrivent à l’ANPE, telle est la réalité que camouflent les tirades « modernistes » des Tartuffes pédagogistes qui, en prétendant mettre l’élève au centre du système éducatif, y ont installé les marchands.
Des enseignants l’ont compris qui, dans leurs livres, leurs manifestes, leurs communiqués, dénoncent l’escroquerie des Pol Pot de la rue de Grenelle. « Sauver les lettres », « Sauver les maths », sont à l’avant-garde de ce combat. Mais, si la majorité fait la sourde oreille ou se contente d’ergoter sur des questions de méthode, d’horaire et de moyens, l’école de la République ne sera bientôt plus qu’un souvenir, et la République une dépouille.

Messages

  • Un cri dans le désert ! L’école publique se meurt ! L’école publique est morte !
    Faites sonner le tocsin !

  • Désolé, le lien n’était pas le bon ! Le tocsin, c’est ici !!

  • si vous avez conscience de tout ceci, vous avez déjà inscrit votre enfant dans une école privée !Et encore, pas n’importe laquelle !Le problème c’est que la majorité des parents n’ont même pas conscience de ce qui se joue, et que cette nouvelle école - celle où on apprend à faire du roller, mais pas de la grammaire - répond exactement aux attentes : une "garderie" de 7 h 30 à 18 h, voire 18 h 30, pas d’école le samedi, pas de travail à la maison, redoublement uniquement en fin de cycle (en réalité jamais) ne nécessitant aucun investissement de la part des parents, dont la plupart seraient bien dans l’embarras d’aider leurs enfants.....
    Il serait bon de se souvenir que, de mon temps (et oui, je suis une vieille) nous allions à l’école de 9 h à 12 h et de 13 h 30 à 16 h 30, tous les jours de la semaine sauf le jeudi et le dimanche. Que nous avions des devoirs et des leçons, et des poésies à apprendre par coeur, et à illustrer, que la maîtresse jouait du piano et nous faisait de vraies leçons de musique, etc. Au certif. j’ai présenté en chant un extrait de la Flûte enchantée de Mozart . Mais aussi que les enfants en échec scolaire étaient orientés en classes de fin d’études, puis en apprentissage dès 14 ans, et que très peu d’enfants fréquentaient le lycée classique, la grande majorité était orientée sur les CEG vers un BEPC qui permettait alors d’entrer dans les banques, administrations, commerces et services dès 16 ans.
    Que sont devenus ces emplois ? A moins de Bac + 2 aucune chance de décrocher un poste de gratte papier dans une administration.........L’aide ménagère qui m’aide 3 heures par semaine a obtenu un BTS de comptabilité, mais aucun emploi correspondant à sa formation.Sans parler de la jeune femme qui fait visiter les appartements dans mon quartier, et qui elle a un doctorat d’histoire !
    Un article dans un numéro du Monde de cette semaine indiquait les emplois porteurs d’ici 15 ans. En résumé : 10% d’emplois ultra-qualifiés, réservés à nos élites et leurs dignes rejetons, et 90% d’emplois dits de service, rémunérés au minimum. Pour passer la serpillière, ou torcher un gamin, il n’est pas nécessaire d’avoir lu Kant, ou Ronsard.Inutile donc d’investir dans l’enseignement de masse.

  • Bravo à Maschino : le pédagogisme d’Etat a constribué à l’accroissement des inégalités, sous couvert de bons sentiments. La mission de l’Ecole est d’instruire, non d’organiser la garderie.