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Schneider Electric branche ses fournisseurs sur la délocalisation
Publie le mercredi 21 avril 2004 par Open-PublishingUne lettre que s’est procurée « Libération » témoigne de pressions sur les sous-traitants.
Par Nicolas CORI
mercredi 21 avril 2004
C ’est une lettre comme en reçoivent sûrement des milliers de petits patrons sous-traitants de grands groupes. Elle n’est pas scandaleuse, ne trahit aucun secret industriel. Elle est juste révélatrice des pressions à la délocalisation que rencontre l’industrie française. Dans ce courrier, l’auteur un membre de la direction des achats de Schneider Electric cherche à convaincre l’un de ses fournisseurs d’aller installer sa production hors de France.
C’est l’application pratique de la nouvelle stratégie de Schneider, annoncée le 20 février à l’occasion de la présentation de ses résultats annuels, qui cumule suppression d’emplois en France et investissement massif dans les pays émergents. « La France ne peut pas être un sanctuaire pour l’emploi », s’était alors justifié Henri Lachmann, le PDG du leader français de l’outillage électrique.
« Prix plafond ». Le même jour, un courrier était reçu par un sous-traitant du groupe, une petite entreprise française située en Rhône-Alpes qui fournit à Schneider les composants servant à équiper ses appareils électriques. Bien que rédigé dans un style managérial alambiqué, il éclaire la nouvelle politique de la maison. « Dans le contexte actuel où les maîtres mots sont échanges et mondialisation, débute la lettre, Schneider accélère son développement à l’international. » Mais, devant la menace que fait peser la « concurrence locale et étrangère » dans les pays où Schneider est implanté, le groupe a décidé « de gagner en productivité ». Pour cela, il a besoin de la collaboration de ses sous-traitants. « Dans le cadre des achats des composants mécaniques, je suis en charge d’étudier avec vous les axes d’amélioration de notre productivité », explique le cadre de Schneider. Mais, comme la France a « atteint un niveau de "prix plafond" », « les gisements de gains se trouvent hors de nos frontières ». La conclusion s’impose : il faut suivre Schneider pour s’installer à l’étranger. « Je vous encourage à mener une réflexion pour atteindre les objectifs cités plus haut », à savoir l’amélioration de la rentabilité, poursuit Schneider, tout en concédant cyniquement qu’il est nécessaire de « maintenir l’outil de production en France ». Et, preuve de sa bonne volonté, le groupe propose l’aide d’un « cabinet de conseil spécialisé dans l’environnement des PME industrielles et possédant des relais dans les pays émergents (Chine, Roumanie...). Cette société vous offrira un prédiagnostic stratégique gratuit ».
Coincé entre la crainte de ne plus pouvoir écouler sa marchandise, et la possibilité de se faire conseiller gratuitement, un entrepreneur raisonnable aurait fait illico ses bagages pour l’Europe de l’Est ou l’Asie. Mais pas le destinataire de la lettre. Ce petit patron, qui souhaite rester anonyme, se dit attaché à sa région et opposé au principe des délocalisations. Il a déjà été sollicité par un autre donneur d’ordre : « Le groupe Salomon voulait que je m’implante en Roumanie, mais j’ai refusé. » Tout en admettant ne pas savoir s’il pourra tenir longtemps face à cette pression.
La direction de Schneider n’a pas voulu nous répondre sur l’ampleur du phénomène de ces courriers officiellement, personne n’était disponible , mais le sujet est abordé sans tabou dans des journaux confidentiels. « Notre ambition est d’atteindre 5 à 6 % de productivité d’achat par an, détaillait en 2003 Bernard Delvallée, le directeur des achats, au magazine de la chambre de commerce de Grenoble. S’il le faut, nous allons voir dans les pays à faible coût de main-d’oeuvre. (...) Nous ne demandons qu’à emmener les PME locales avec nous, en Chine ou ailleurs. »
Pays cible. Ce que confirme Jean-Marc Rouquette, le dirigeant du cabinet de conseil Multivalente, choisi par Schneider pour aider les PME : « Le phénomène touche tout le secteur de la mécanique, composé à 95 % de PME. Les petites entreprises qui ne suivent pas les donneurs d’ordre et ne peuvent pas baisser leurs prix s’exposent à perdre leurs marchés. » Le travail de ce spécialiste « en relocalisation », comme il se décrit, consiste à informer les patrons de PME de la culture et du droit des affaires des pays cibles (Chine, Roumanie, Tunisie...) tout en les mettant en contact pour qu’ils s’expatrient à plusieurs. « Une PME n’est pas capable toute seule d’envoyer quelqu’un pour prospecter un pays étranger », explique Jean-Marc Rouquette. Mais, même avec ces conseils, lui ne prévoit pas de miracle. « Les emplois peu qualifiés n’ont pas d’avenir en France, affirme-t-il. On est vraiment dans une phase de rupture. » La lettre de Schneider Electric à son sous-traitant est donc tout sauf anecdotique.