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Si même Lyon III se met en grève...

Publie le mardi 3 février 2009 par Open-Publishing
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Si même Lyon III se met en grève...

EDUCATION – L’université Lyon 3 en grève. Une première ou presque. « D’autant plus historique que le mouvement a touché la fac de droit », souligne depuis la tribune Eric Carpano, maître de conférence en droit public à Lyon 3. Lors d’une AG, lundi, l’universitaire rappelle qu’il y a encore quelques semaines, le mot « grève » était encore ici perçu « comme un gros mot ». Certes, la mobilisation contre la réforme du statut et de la formation des enseignants-chercheurs est encore loin d’être massive. Mais elle est bien là et touche tous les départements de cette université pas vraiment rompue à la rébellion…

Pour ne pas dire totalement et historiquement sourde à tout mouvement social. Après soixante-huit, le monde universitaire lyonnais avait préféré se scinder en deux entités aux positionnements politiques assez clairs, l’une serait de gauche, l’autre de droite. A côté de Lyon 1 (facultés de sciences et médecine), furent créées donc deux autres universités de lettres, droit et sciences humaines : Lyon 2 et Lyon 3, qui garantissait à chacun de rester entre soi.

Un schisme qui a réussi à traverser, presque intact, les décennies. Durant les années 80-90, Lyon 3 a abrité un noyau dur d’enseignants d’extrême-droite (allant des négationnistes aux royalistes en passant des néocolonialiste, la nouvelle droite ou d’éminents membres du Front national) sans que la direction de l’université ne s’en émeuve vraiment. Les années brunes semblent refermées, mais l’image de l’université de droite perdure. L’an dernier, au moment du vote de la loi LRU de réforme de l’Université, Lyon 2 s’est retrouvée paralysée durant plusieurs mois, conflit locaux fermés et cours annulés. A Lyon 3, la vie universitaire continuait comme si de rien n’était.

Il aura donc fallu attendre l’arrivée sur le plateau de l’actualité des décrets d’application Pécresse sur la réforme du statut et de la formation des enseignants pour que l’université connaisse son premier mouvement social. Un enseignant de la fac de droit a une explication à ce brutal réveil. « Ce n’est pas un hasard si les juristes se mobilisent sur cette réforme. Il n’y a pas besoin d’avoir fait dix ans de droit pour savoir que ce que l’on nous propose, ce n’est ni plus ni moins que le droit divin accordé aux présidents des universités pour l’évolution de carrière des enseignants-chercheurs. C’est une aberration juridique ».

Grève illimitée

Lundi soir, ils étaient une centaine réunis en AG dans l’amphi C de la manufacture des tabacs, désormais site principale de l’Université. Des enseignants, mais aussi des étudiants. Tous sagement assis et levant la main pour intervenir chacun son tour. Au final, ils ont voté la reconduction illimitée de la grève tant que la ministre ne retire pas son décret, conformément au mouvement national mené par la coordination nationale des universités. Préalablement, et parce qu’on n’est pas chez les révolutionnaires autonomes, ils auront longuement discuté des enjeux de ce décret et des formes possibles et utiles de mobilisation.

Une AG, à Lyon 3, ça commence par un exposé argumenté et précis d’une prof de droit public, sur la réforme et ses dernières modifications. La terminologie n’est guère plus digeste que le décret lui-même, mais tout le monde semble comprendre que les enseignants-chercheurs vont désormais voir leurs évolutions de carrière et surtout leur ratio cours-recherches tomber aux mains de leur président d’université, amené à remplacé le CNU (conseil national des universités), instance nationale qui, jusqu’ici décidait seule de ces questions. Désormais, les profs mal évalués pourront être privés de recherche et devront prendre plus d’heures de cours.

En haut de l’amphi, un enseignant prend la parole et s’adresse aux étudiants présents. « Tout cela est très technique, et vous pouvez croire que ce que nous défendons là relève d’un certain corporatisme. Mais c’est assez simple et très important pour vous aussi, et plus globalement pour l’université ». Ainsi, en bon traducteur, le prof explique ce qui se cache derrière la vilaine expression « modulation des services » qui fait bondir le corps enseignant. « Cela veut dire que les enseignants vont faire moins de recherche. » Puis il poursuit, devant un auditoire tout ouie, « notre statut d’enseignant-chercheur repose sur deux piliers essentiels : l’acquisition de connaissances, c’est-à-dire la recherche, et la transmission de ces connaissances, c’est-à-dire l’enseignement. Comment peut-on transmettre des connaissances que l’on n’acquiert plus ? Et pourquoi vais-je acquérir des connaissances si ce n’est plus pour les transmettre ? » L’enseignant voit là une remise en cause du rôle même de l’université. Il dit redouter que l’on ne transforme ainsi l’université en un « super lycée ». Ou qu’on transfère les connaissances « vers les écoles de commerces ».

L’UNI veille

Un étudiant de l’UNEF prend la parole. Il appelle les étudiants à soutenir le mouvement des enseignants car, explique-t-il, « ce décret fragilise toute l’université ». « On nous dit que les mauvais chercheurs devront faire plus d’enseignement. C’est clairement une dévaluation de l’enseignement ». Puis il enchaîne sur les revendications plus larges de l’UNEF pour l’université, avec le débit du leader syndical aguerri à devoir dire beaucoup en peu de temps. Comme on est à Lyon 3, à sa suite, c’est un représentant de l’UNI, syndicat de droite qui intervient. Il prévient : « on n’est pas là pour soutenir une politique anti-gouvernementale, ce n’est pas le sujet. Je ne crois pas qu’exiger le retrait pur et simple du décret soit une bonne chose. Il vaut mieux d’abord débattre ». Puis il conclut, prenant la posture du porte-parole de ministre, devant une assemblée mi-énervée, mi-amusée, « de toute façon, je vous garantis que vous ne l’obtiendrez pas ce retrait ».

A l’heure de prendre une décision sur la poursuite du mouvement, certains soulignent l’importance stratégique de ne pas s’éloigner du débat et de faire attention à ne pas tomber dans la revendication de « politique générale », afin de ne pas trop froisser les sensibilités pas toutes très à gauche de cette université.

« C’est un vrai problème ici. On sait très bien qu’une grève illimitée n’a de poids que si elle est massivement suivie. Que va-t-on faire si l’on est cinq par UFR ? », interroge une enseignante linguiste. Les enseignants-chercheurs de Lyon 3 ont finalement tranché. Décidant de suivre le mouvement national de grève illimitée. Une petite révolution entre ces murs que rien, jusqu’ici, n’était parvenu à faire trembler.

Alice GERAUD

http://libelyon.blogs.liberation.fr/info/2009/02/lyon-3-la-fac-q.html

Messages

  • Comme quoi l’espoir fait vivre. Il fallait juste un peu de patience pour amener tout le monde à s’ouvrir les yeux sur les orientations de Sarko qui sont catastrophiques pour tout le monde.

    Il faut penser à tout, le meilleur comme le pire, avec un Sarko, qui ment à volonté, dit blanc quand il fait noir. Il nous a trop habitués à ses retournements de dernière minute, en général négatifs.

    Ma réflexion ne m’avait pas encore conduite jusqu’à envisager que l’Université pourrait bien se transformer en un "super Lycée" , transférant les compétences et connaissances à des grandes écoles élitistes, surtout interdites aux jeunes issus de la classe ouvrière. Oui, il y aurait bien un quota, histoire de prendre en défaut les "mauvaises" langues, mais c’est probablement le but recherché, quand on voit comment Sarko ment avec autant de désinvolture sur ses vrais buts et ne parlons pas de la bourgeoise Pécresse qui n’entend rien à la recherche, pas plus qu’à l’enseignement universitaire.

    En tout cas, il n’y a pas pire qu’un arriviste pour faire chier son monde.