Accueil > Silence de l’état français maintenu
de Jérôme-Alexandre Nielsberg
Hommages aux victimes du massacre commis sous les ordres du préfet de police Maurice Papon.
De funeste mémoire, le 17 octobre 1961 reste, dans l’histoire récente de la décolonisation et dans celle de la démocratie française, une date majeure. Ce mardi-là, plus de dix mille manifestants algériens, venant pour beaucoup des bidonvilles de Nanterre, ont été victimes, à Paris, de la pire des violences : la violence d’État, la violence exercée par les forces de l’ordre sur les civils. Plusieurs centaines d’entre eux en sont morts. Afin que ne s’efface pas le souvenir de cette terrible journée, le collectif « À Nanterre, donnons une place, un lieu à la mémoire du 17 octobre 1961 », Solidarité algérienne en Europe... ont organisé, depuis le 12 de ce mois, une série de manifestations qui se concluent dimanche, à l’Agora de Nanterre. Par ailleurs, La Courneuve et Sarcelles inaugureront ce week-end des plaques, et une trentaine d’associations et de partis politiques (dont le PCF) appellent à un rassemblement le 16 octobre, à 17 heures, sur le pont Saint-Michel, à Paris. Pourquoi une telle mobilisation ? Parce que l’État français continue d’empêcher l’accès aux pièces d’archives ayant trait à ce dossier et refuse de
reconnaître sa culpabilité. L’Assemblée nationale et le Sénat n’ont toujours pas reconnu la réalité et la nature des crimes commis par l’État français. À plusieurs reprises, l’Humanité s’est engagée auprès des associatifs et des historiens pour que la clarté soit faite et justice rendue. Car, comme le dit l’expression : les faits sont têtus.
Rappelons-nous : en 1961, la solution négociée au conflit algérien a fini par s’imposer aux responsables politiques. Le 20 mai, des pourparlers sont engagés entre la France et le gouvernement provisoire de la République algérienne sur les conditions de l’indépendance. Cependant, Maurice Papon, préfet de Paris depuis 1958, poursuit le travail de coercition contre les « Français musulmans d’Algérie » qu’il avait amorcé dès sa préfecture de l’Est algérien (1956-1958), il et recourt à des rafles, des contrôles au faciès et des détentions arbitraires. Le 1er septembre, il instaure même un couvre-feu pour les Nord-Africains. En octobre, le FLN
décide de boycotter cette mesure raciste et organise une manifestation pacifique importante. Interdite, celle-ci doit tout de même avoir lieu dans Paris. Les manifestants ont ordre de ne répondre à aucune provocation. « À l’institutionnalisation de l’arbitraire et du racisme », il s’agit de répondre, explique l’historienne Charlotte Nordmann, « par la revendication d’une existence politique ».
Le 17 octobre au matin, la préfecture et l’administration policière connaissent ce projet. Les forces de l’ordre se placent aux accès du métro pour arrêter les manifestants. Les policiers, très remontés, sont assurés par le préfet Papon de leur immunité en cas d’échauffourées. S’ils tirent les premiers, ils seront couverts. Ce qui devait arriver, arrive et « aux portes de Paris, à la sortie des métros Étoile, Opéra, dans les couloirs de la station Concorde, sur les Grands Boulevards, les manifestants seront systématiquement matraqués, à coups de crosse, de gourdin, de bâton, souvent jusqu’à ce qu’ils s’effondrent. Les policiers frappent au visage, au ventre, des manifestants qui ne font montre à aucun moment d’aucune violence ni d’aucune résistance », indique toujours Charlotte Nordmann. Mais les forces de l’ordre ne s’arrêtent pas à ce matraquage systématique. À plusieurs endroits de la capitale, ils tirent sur les manifestants, les précipitent dans la Seine et, pendant plusieurs heures, organisent une véritable chasse à l’homme. Papon n’ignore rien des événements. Il se rend lui-même sur place, à Étoile. Plusieurs milliers d’Algériens sont ainsi « interpellés » et immédiatement parqués au Palais des sports, au Parc des expositions, au stade Coubertin. Ils y resteront quatre jours, pendant lesquels ils seront encore victimes de violences physiques, voire d’exécutions sommaires.
Dès le lendemain de la manifestation, les autorités ont essayé de cacher la vérité. Elles déboutent une demande de création de commission d’enquête, interdisent les lieux de rétention aux journalistes, saisissent le journal Vérité-Liberté qui révélait la violence incroyable, inadmissible de la répression et reproduisait des témoignages. Malgré la censure, l’Humanité et le Libération d’alors dénoncent, dès le 18 octobre, cette extrême violence policière. La bataille ainsi commencée pour que soient reconnus les faits de cette journée noire se poursuit donc aujourd’hui.
http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-10-16/2004-10-16-446107